Bonnie l’installa dans la chambre de sa seconde sœur, partie à l’université. Elena s’empressa de vérifier la fenêtre : elle était verrouillée de l’intérieur, et inaccessible du dehors. Elle inspecta ensuite, le plus discrètement possible, la chambre de son amie, et celles dans lesquelles elle put jeter un coup d’œil Toutes les ouvertures étaient en effet fermées à double tour. Personne ne pouvait pénétrer dans une telle forteresse.
Elena resta longtemps éveillée à contempler le plafond. Elle n’arrêtait pas de penser à l’étrange strip-tease de Vickie. Qu’est-ce qui lui était arrivé ? Peut-être que Stefan aurait une petite idée. Stefan… La pensée de l’être cher la réconforta. Le sourire aux lèvres, elle s’abandonna à sa rêverie : le jour où toute cette affreuse histoire serait finie, ils pourraient songer à leur avenir. Pour elle, il n’y avait aucun doute. C’était Stefan qu’elle voulait comme mari.
Elle sombra dans le sommeil sans en avoir conscience mais, curieusement, elle sut qu’elle rêvait.
Elle était assise dans un long couloir pourvu de hautes fenêtres d’un côté et de grands miroirs de l’autre. Elle attendait quelqu’un. Soudain, elle vit apparaître Stefan derrière un carreau. Son visage blême était défiguré par la colère, et il criait derrière la vitre. Il tenait un livre à couverture de velours bleu qu’il ne cessait de désigner. Puis il le laissa tomber et disparut.
Elle bondit à la fenêtre et plaqua les mains sur le carreau.
— Stefan, ne t’en vas pas ! hurla-t-elle. Ne m’abandonne pas !
Remarquant un loquet sur le côté de la fenêtre, elle l’actionna. Lorsqu’elle passa la tête à la fenêtre, Stefan n’était plus là. À sa place demeurait un nuage de brouillard Désespérée, elle s’aventura le long des miroirs. Soudain, elle fut frappé par l’un de ses reflets : s’étaient bien les siens, mais une lueur étrange malicieuse y brillait, comme dans ceux de Vickie. Ils avaient quelque chose de cruel. Alors qu’elle était parfaitement immobile, son image se mît brusquement à danser. Saisie d’horreur, elle se mit à courir. Mais tous les reflets semblaient dotés d’une vie propre : certains s’agitaient dans tous sens, d’autres lui faisaient des signes ou se moquaient d’elle. Elle accéléra comme si elle avait le diable aux trousses, et finît par atteindre une porte à double battant qu’elle poussa à toute volée.
La vaste salle dans laquelle elle se retrouva était magnifique. De délicates moulures dorées ornaient le plafond d’une hauteur spectaculaire, les encadrements des portes étaient en marbre blanc, et des niches abritaient des statues antiques. Elena n’avait jamais vu une telle splendeur. Elle devina aussitôt où elle se trouvait : dans l’Italie de la Renaissance…
Elle baissa les yeux sur son vêtement : c’était une robe en soie semblable à celle qu’elle portait à la soirée d’Halloween. Seulement celle-ci était d’un rouge profond. Autour de sa taille brillait une fine ceinture à rubis, et ses cheveux étaient rehaussés de pierres précieuses assorties. À chaque mouvement l’étoffe miroitait comme les flammes de centaines de torchères.
L’immense porte s’ouvrit à l’extrémité de la salle, une silhouette se dessina dans l’embrasure. Un jeune aristocrate en pourpoint et manteau d’hermine s’avança vers elle. Stefan ! Elle s’élança vers lui, un peu gênée par le poids de sa robe qui l’entravait à chaque pas. Soudain, elle s’arrêta, réprimant un cri.
C’était Damon. Il venait à sa rencontre d’une démarche assurée, arborant un sourire victorieux. Lorsqu’il parvint à sa hauteur, il posa la main sur son cœur et s’inclina, avant de la lui tendre d’un air narquois.
— Tu veux danser ? demanda-t-il sans que ses lèvres ne bougent. La terreur d’Elena se changea brusquement en gaieté. Elle se mit à rire. Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’avoir peur de lui ? Ils se comprenaient si bien ! Pourtant, elle lui refusa sa main, pivotant sur ses talons pour se diriger vers l’une des statues dans un bruissement de soie. Elle n’eut pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’il la suivait. Elle feignit de s’absorber dans la contemplation de la sculpture, et, au moment où il la rejoignit, elle s’éloigna en étouffant un rire. Elle se sentait merveilleusement bien, si vivante et si belle ! Elle avait tout à fait conscience de jouer avec le feu. Mais elle avait toujours aimé le danger…
Lorsque Damon s’approcha, elle s’échappa de nouveau en lui lançant un regard espiègle. En voulant la retenir, ses doigts se refermèrent sur la ceinture de pierreries. Il retira vivement sa main : il s’était piqué à la monture d’un rubis.
La goutte de sang qui perlait au bout de son index était même rouge que celui de sa robe. Damon lui tendit son doigt blessé d’un air provocant « Tu n’oseras pas … semblaient dire ses yeux. « Tu crois ça ? lui répondirent ceux d’Elena. Elle lui prit la main et la tint un moment en suspens devant sa bouche. Puis, elle attrapa avidement son doigt entre ses lèvres pour en aspirer le nectar. Elle planta son regard dans celui de Damon.
— J’ai très envie de danser. Elle aussi pouvait communiquer par télépathie ! C’était une sensation incroyable ! Elle s’avança au centre de la pièce, et il la rejoignit avec la grâce d’un félin s’élançant sur sa proie. Tandis que sa main chaude et ferme se refermait sur la sienne, une musique lointaine résonna. Damon lui enserra la taille, Elle releva délicatement le bas de sa robe, et ils se mirent à danser. C’était merveilleux. Elle avait l’impression de voler, accordant sans aucune difficulté ses pas à ceux du jeune homme : ils tourbillonnaient dans la salle en parfaite harmonie. Lui riait à en perdre haleine, et ses yeux brillaient de plaisir. Elle se sentait si belle, et si pleine de vie. Jamais elle ne s’était autant amusée !
Peu à peu, le sourire de Damon s’évanouit, et leur danse ralentit jusqu’à ce qu’elle se retrouve immobile dans le cercle de ses bras. Les yeux de son cavalier étaient devenus ardents et passionnés. Mais elle n’avait pas peur, car elle savait que cette scène aux accents si réels n’était qu’un rêve. La pièce se mit à tourner autour d’elle, et son champ de vision fut tout entier empli des yeux de Damon : les fixer lui donnait une irrésistible envie de dormir. Ses paupières palpitèrent, et sa tête partit sur le côté. Elle sentit alors le jeune homme lui caresser tes lèvres du regard, puis la gorge. Ses yeux se fermèrent complètement, et elle sourit. Il posa sa bouche brûlante sur son cou : deux aiguilles lui transpercèrent aussitôt la peau. La douleur passée, elle s’abandonna dans ses bras.
Elle avait l’impression de flotter sur un nuage : une délicieuse lassitude gagnait ses membres. La tête de Damon plaquée contre son cou, elle caressait langoureusement ses cheveux bruns. Ils étaient incroyablement soyeux. Elle entrouvrit les yeux : leurs reflets irisés, dans la lumière du candélabre, lui faisaient vaguement penser à ceux d’un plumage.
Soudain, une douleur insupportable lui irradia la gorge. Damon lui fouillait la chair comme s’il voulait la tuer. Elle riposta en lui enfonçant de toutes ses forces les ongles dans le dos. Lorsqu’elle parvint à se dégager, elle se rendit compte que ce n’était pas le jeune homme. C’était un corbeau, dont les ailes immenses lui fouettaient le visage.
Ses hurlements l’avaient enfin réveillée. La salle de bal s’était évanouie pour laisser place à une chambre, où le cauchemar se poursuivait. Quand elle parvint à allumer la lampe de chevet, l’oiseau fondit sur elle, cherchant à atteindre son cou. Elle se débattit en hurlant, une main devant les yeux, essayant vainement de se débarrasser du volatile. Les battements d’ailes frénétiques l’assourdissaient.
La porte s’ouvrit à toute volée. Quelqu’un cria. Le corbeau choisit ce moment pour plonger son bec dans la gorge de sa victime, qui hurla de plus belle. Soudain, elle fut tirée du lit et se retrouva à l’abri derrière M. McCullen qui, armé d’un balai, s’efforçait de chasser le volatil. Elena se jeta dans les bras de Bonnie, pétrifiée sur le seuil. Elle entendit les vociférations de son sauveur, dans un claquement de fenêtre.