— Ça y est, il est parti, annonça celui-ci, essoufflé.
— Tu es blessée ! s’exclama la mère de Bonnie, elle s’était avancée dans la pièce avec Mary. Cette sale bête t’a donné des coups de bec !
— Ce n’est rien, la rassura Elena en essuyant son visage ensanglanté.
Elle tremblait pourtant de tous ses membres.
— Comment est-ce qu’il est entré ? s’étonna Bonnie. Son père inspecta la fenêtre.
— Pourquoi as-tu repoussé le verrou ? demanda-t-il.
— Mais… je n’y ai pas touché ! se récria Elena.
— Quand je suis entré dans la chambre, la fenêtre était grande ouverte. À part toi, je ne vois pas qui a pu l’ouvrir.
Elena s’approcha en ravalant ses protestations. Effectivement, le verrou avait été actionné. On n’avait pu l’ouvrir que de l’intérieur.
— Tu es peut-être somnambule, avança Bonnie. Viens on va désinfecter ta blessure.
Somnambule ? Elle se rappela brusquement son rêve. Elle revit les miroirs du couloir, la salle de bal… Damon. Elle avait dansé avec Damon ! Saisie d’effroi, elle libéra brusquement son bras.
— C’est bon, je peux m’en occuper toute seule,… , bafouilla-t-elle.
Elle se réfugia dans la salle de bains où elle s’enferma, et s’adossa, essoufflée, contre la porte. Elle était terrorisée à l’idée de se regarder dans la glace. Pourtant, elle devait absolument dissiper ses doutes. Elle s’approcha lentement du lavabo, et tressaillit à la vue de son reflet.
Elle était pâle comme la mort. Ses yeux cernés étaient écarquillés d’effroi. Lentement, elle pencha la tête pour soulever ses cheveux. Elle faillit pousser un cri en découvrant ce qu’ils dissimulaient. D’eux petites plaies à vif sur la peau délicate de son cou.
9.
Après avoir jeté un regard sur la banquette arrière, Matt tourna vers Stefan ses yeux rouges de fatigue :
— Excuse-moi d’être si direct, mais je ne vois pas en quoi le bouquet que tu as cueilli pourrait plaire à Elena…
Les brins de verveine, derrière Stefan, avaient en effet piètre allure : leurs fleurs minuscules, à moitié desséchées, ne pouvaient vraiment pas être appréciées pour leur aspect décoratif.
— C’est parce que tu ignores qu’on en fait c’est un excellent collyre, cent pour cent naturel, répondit l’intéressé après un moment de réflexion. Ou une délicieuse tisane.
— Continue à te foutre de moi et je te mets un pain, feignit de s’énerver Matt.
— Stefan eut un sourire. ca faisait une éternité qu’on ne l’avait pas charrié. Enfin quelqu’un qui l’acceptait tel qu’il était ! Sans compter Elena, bien sûr. Cette confiance le réconfortait tellement… même s’il n’était pas sûr de le mériter. Il eut l’impression, l’espace d’une seconde, d’être redevenu l’être humain de jadis.
Elena fixait son reflet avec horreur. La découverte qu’elle venait de faire la traumatisait au plus haut point Ce n’était donc pas un rêve…
Elle comprit soudain comment la fenêtre avait pu s’ouvrir : comment avait-elle pu oublier qu’elle-même avait invité Damon chez Bonnie, lors du souper muet ? Et cette invitation était manifestement valable pour l’éternité… Son ennemi pouvait revenir à n’importe quel moment, et même à cet instant s’il le désirait. Dans l’état où elle était, il n’aurait aucun mal à la persuader d’ouvrir la fenêtre, comme il l’avait visiblement déjà fait dans son sommeil.
Elle quitta précipitamment la salle de bains et passa devant Bonnie sans s’arrêter. Dans sa chambre, elle attrapa son sac et y entassa ses affaires en toute hâte.
— Elena ? Qu’est-ce que tu fais ? Tu rentres chez toi ? s’étonna Bonnie.
— Il faut que je parte immédiatement ! Elle s’avança vers le pied du lit à la recherche de ses chaussures, et s’arrêta net. Sur l’extrémité du drap blanc qui traînait par terre de détachait une immense plume d’un noir luisant. Elena recula en poussant un cri, au bord de la nausée.
— Bon OK, finit par consentir Bonnie, je vais demander à mon père de te ramener.
— Tu dois partir aussi, affirma Elena.
— Quoi ?
Elle n’avait pas oublié les menaces de Damon à l’encontre de son entourage : Bonnie n’était pas plus en sécurité qu’elle dans cette maison.
— Viens avec moi, Bonnie la supplia-t-elle en lui agrippant le bras.
Redoutant la crise de nerfs, les parents de son amies finirent par accepter d’emmener les deux filles chez les Gilbert, où elles pénétrèrent sur la pointe des pieds.
De retour dans sa chambre, Elena ne parvint pas pour autant à trouver le sommeil. Allongée à côté de Bonnie paisiblement endormie, elle guetta le moindre mouvement derrière la vitre. Mais mis à part les branches du cognassier agité par le vent, rien ne bougea jusqu’à l’aube.
Au petit matin, elle entendit un moteur asthmatique, dans la rue. À n’en pas douter, c’était celui de la vieille Ford de Matt, reconnaissable entre tous. Elle se précipita à la fenêtre pour s’en assurer, puis dévala les marches jusqu’au perron.
— Stefan ! Elle lui sauta au cou, folle de joie, sans lui laisser le temps de claquer la portière. Le garçon, un peu surpris par tant d’effusions, dut s’adosser à la carrosserie pour ne pas tomber en arrière.
— Eh, attention aux fleurs, se plaignit-il.
Malgré ses traits tirés, ses yeux brillaient. Quant à Matt, il avait le visage bouffi de fatigue et les yeux injectés de sang.
— Dans quel état vous êtes ! s’étonna-t-elle. Venez entrez.
— C’est de la verveine, lui expliqua Stefan un peu plus tard.
Ils étaient assis côte à côte à la table de la cuisine, La porte entrebâillée laissait voir Matt endormi sur le canapé du salon. Il s’y était affalé après avoir englouti trois bols de céréales. Tante Judith, Bonnie et Margaret dormaient encore en haut.
— Tu te rappelles ce que je t’ai dit sur cette plante ? murmura Stefan.
— Elle aide à garder l’esprit clair lors d’une tentative d’hypnose, répondit Elena, d’une voix dont elle réussit à maîtriser le chevrotement.
— Exact. C’est ce que pourrait tenter Damon. Même pendant ton sommeil. À ces mots, Elena eut grand-peine à retenir ses larmes. Elle fixait les minuscules fleurs de verveine toutes desséchées.
— Même endormie ? demanda-t-elle en tremblant.
— Oui, il peut te persuader de sortir de chez toi, ou bien de le laisser entrer. Mais, avec cette plante, tu n’as rien à craindre !
En dépit de tous ses efforts, une larme roula sur sa joue. Si seulement il savait… Il était arrivé trop tard. Le mal était fait…
— Elena ! Qu’est-ce qui se passe ?
Il essaya de lui relever le menton, mais elle s’obstina à garder la tête baissée, pressée contre son épaule.
— Dis-moi, insista-t-il en l’entourant de ses bras. C’était le moment ou jamais de lui dire la vérité. Mais ses aveux risquaient de le monter davantage contre son frère…
— C’est que… j’étais inquiète pour toi, improvisa-t-elle. Je ne savais pas où tu étais passé…
— Excuse-moi… , J’aurais dû te prévenir. Et… c’est tout ?
— Oui, c’est tout.
Elle allait devoir demander à Bonnie de garder le secret au sujet du corbeau. Pourquoi un mensonge en amenait-il toujours un autre ?