Sur le pont, le vent redoubla d’intensité au point de lui entraver la respiration. Elle avait la certitude que Damon mentait : si Stefan était mort, elle l’aurait senti. Mais elle ignorait où devaient s’orienter ses recherches. Il pouvait être n’importe où, blessé, à l’agonie, peut-être…
Son être tout entier était tendu vers un seul objectif le retrouver. Elle peinait de plus en plus à maintenir le cap. La route était bordée à sa droite par la forêt, et, à sa gauche, les eaux tumultueuses de la rivière. Titubant de fatigue elle profita d’une accalmie du vent pour s’arrêter. Elle avait besoin de se reposer, juste une minute.
Elle s’effondra sur le bas-côté. Une idée folle lui apparut alors : Stefan viendrait tout simplement à elle. Elle n’avait qu’à l’attendre là. Il était sans doute déjà en route… Elle ferma les yeux, appuyant la tête sur ses genoux repliés pour se réchauffer. Le bien-être l’envahit progressivement, et son esprit partit à la dérive.
Stefan se tenait devant elle, souriant. Il la prit dans ses bras, et elle se laissa aller contre lui avec un immense soulagement. Elle ne craignait plus personne maintenant qu’il était là. Soudain, il la secoua comme un prunier. Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Elle était si bien ! Elle leva les yeux vers lui et découvrit un visage triste et pâle. « Elena, lève-toi », disait-il.
— Elena, essaie de te lever ! reprit une voix affolée. Je t’en supplie. Tu es trop lourde ! On peut pas te porter…
Elena battit des paupières et finit par distinguer un visage encadré de boucles rousses devant elle. De grands yeux inquiets aux cils blancs de neige la fixaient.
— Bonnie… , articula-t-elle péniblement. Qu’est-ce que… tu fais là ?
— On t’a cherchée partout… , répondit une autre voix, plus grave.
En tournant la tête, Elena reconnut les beaux sourcils et le teint mat de Meredith. Son regard, d’ordinaire remplie d’ironie, trahissait une vive préoccupation.
— Elena, tu va te transformer en glaçon tu ne te lèves pas.
Elle s’exécuta tant bien que mal en s’appuyant sur ses amis, qui l’aidèrent à atteindre la voiture de Meredith.
Voyant Elena trembler comme une feuille, celle-ci mit le chauffage à fond. Ses membres frigorifiés revenaient à la vie. « L’hiver est une saison impitoyable », se rappela-elle tandis que la voiture démarrait.
— Qu’est-ce qui t’a pris de t’enfuir comme ça ? demanda Bonnie, à l’arrière. Et pourquoi t’es venue ici ?
Elena hésita un instant. Elle avait un irrépressible besoin de déballer toute l’histoire, y comprit ce qui concernait Stefan, Damon et la mort de M. Tanner. Mais elle ne devait pas.
— Tout le monde te cherche au lycée, et ta tante est dans tous ses états, expliqua Meredith.
— Désolée, murmura Elena en essayant de maîtriser le tremblement qui la parcourait encore.
La voiture s’arrêta devant sa maison. Tante Judith l’attendait avec des couvertures.
— Enfin, te voilà ! s’exclama-t-elle en se précipitant vers sa nièce. Tu dois être gelée ! De la neige un lendemain d’Halloween ! C’est incroyable ! Où l’avez-vous retrouvée ?
— Sur la route, après le pont, répondit Meredith. Judith blêmit.
— Près du cimetière. Mais c’est là qu’ont eu lieu les agressions ! Elena, qu’es-ce qui t’a pris ?
Elle s’arrêta net en remarquant que la jeune fille claquait des dents.
— Bon, les reproches, ce sera pour plus tard, dit-elle. Il faut d’abord te débarrasser de tes vêtements mouillés.
— Je dois y retourner ! déclara soudain Elena. Elle comprit enfin qu’elle n’avait fait que voir Stefan en rêve : celle-ci devait poursuivre les recherches.
— Certainement pas, intervint Robert, le fiancé de Judith, d’un ton catégorique.
Elena ne l’avait pas remarqué, sa présence dans un coin du salon.
— Les policiers vont retrouver Stefan. Laisse-les faire leur travail, conseilla-t-il.
— Mais ils pensent qu’il a tué M. Tanner !
Tandis que sa tante lui ôtait son pull trempé, Elena les regardait tour à tour. Tous en restaient silencieux.
— Vous savez bien qu’il n’a rien fait ! reprit-elle d’une voix désespérée.
Il n’y eut aucune réaction.
— Elena, finit par répliquer Meredith. On voudrait bien te croire. Mais, tu vois, il s’est enfui, et ça ne plaide pas en sa faveur…
— Il ne s’est pas enfui ! hurla Elena.
— Elena, calme-toi, intervint sa tante. Tu dois avoir de la fièvre. Tu n’as dormi que quelques heures la nuit dernière, et avec ce froid…
Elle lui tâta te front. La jeune fille était sur le point d’exploser : personne ne la croyait, pas même sa famille ses amies, ils étaient tous contre elle !
— Je ne fuis pas malade ! s’écria-t-elle en se dégageant. Et je ne suis pas folle non plus, comme vous avez l’air de le penser ! Stefan ne s’est pas enfui et il n’a pas tué M Tanner. D’ailleurs, je m’en fous si personne ne me croit !
L’émotion l’empêcha de continuer, et sa tante en profita pour la pousser vers l’escalier. Elle se laissa faire sans protester mais, dans sa chambre, elle refusa de s’allonger, Une fois changée, elle retourna au salon s’installer sur le canapé, près de la cheminée, enveloppée dans des couvertures.
Judith répondit au téléphone tout l’après-midi, assurant aux amis, voisins, et au proviseur qu’Elena allait bien, malgré une légère fièvre ; une bonne nuit de repos la remettrait sur pied.
Bonnie et Meredith étaient restées tenir compagnie à leur amie.
— Tu as envie de parler ? demanda cette dernière.
Elena secoua la tête, les yeux fixés sur le feu. Elle avait l’impression de n’avoir que des ennemis autour d’elle. Et tante Judith se trompait : elle n’allait pas bien. Comment le pourrait-elle alors que Stefan était en danger ?
La sonnette de la porte d’entrée retentit C’était Matt, les cheveux et la parka couverts de neige. Elena leva vers lui des yeux pleins d’espoir. Peut-être avait-il du nouveau ? Lorsqu’elle comprit qu’il ne savait rien, elle se recroquevilla davantage.
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? lui demanda-elle, durement. Veiller sur moi pour tenir ta promesse ?
Matt la regarda d’un air douloureux.
— Je n’ai pas besoin de ça pour prendre de tes nouvelles. Je m’inquiète pour toi, c’est tout. Écoute…
Mais elle n’était pas d’humeur à entendre un quiconque discours.
— Je vais bien, merci. Tu n’as aucune raison de te faire du souci. Et puis, je ne vois pas pourquoi tu tiendrais une promesse faite à un assassin.
Matt lança un coup d’œil stupéfait à Bonnie et Meredith.
— T’es vraiment injuste, se lamenta-t-il.
— De toute façon, ce ne sont pas tes oignons, ajouta Elena.
Matt, vexé, tourna les talons sans un mot en direction de la sortie. Au même moment, tante Judith apparut, un plateau dans les mains.
Meredith, Bonnie, tante Judith et Robert dînèrent devant la cheminée en s’efforçant de faire la conversation. Elena n’avait pas le cœur à manger ni à parler. Sa petite sœur Margaret, âgée de quatre ans, était la seule à ne pas afficher une tête d’enterrement : elle vint avec entrain se blottir contre Elena en lui offrant ses bonbons d’Halloween. Elena la serra tendrement dans ses bras et enfouit son visage dans ses cheveux blonds en quête de réconfort. Si Stefan avait pu lui téléphoner ou lui faire parvenir un message, il l’aurait déjà fait. À moins qu’il ne fût gravement blessé, pris au piège quelque part, ou pire encore… Elle préféra ne pas penser à cette éventualité. Stefan était vivant. Le contraire était impossible. Damon avait menti.