— Ah, Elena, te voilà ! s’exclama Robert avec entrain. Nous parlions justement de toi. Je te présente Damon…
— Smith, compléta Damon.
— Figure-toi qu’il fait ses études dans l’université où j’ai moi-même été. On s’est rencontrés à l’épicerie. Comme Damon cherchait un endroit pour passer la soirée, je l’ai invité. Damon, voici les amis d’Elena, Matt et Bonnie.
— Salut, fit Matt avec le plus grand flegme. Bonnie ouvrait les yeux comme des soucoupes. Elle jeta un regard horrifié à Elena, qui, elle, se demandait si elle devait s’enfuir à toutes jambes, ou bien jeter rageusement son verre de vin à la tête de Damon.
Matt alla chercher un siège dans le salon. Comment faisait-il pour garder son calme ? Elena se rappela soudain qu’il n’était pas à la fête d’Alaric. Bonnie, en revanche semblait au bord de la crise de nerfs.
Damon tirait déjà une chaise pour inviter Elena à s’asseoir lorsque Margaret vint faire diversion.
— Matt, t’as vu mon chat demanda-t-elle de sa petite voix haut perchée, je viens juste de l’avoir. Il s’appelle Boule de Neige.
— Il est mignon, dit le garçon en lui adressant un sourire bienveillant.
Il se penchait sur la boule de poils, dans les bras de la petite fille, lorsque Elena se précipita pour lui arracher des mains. Une idée lui avait traversé l’esprit.
— Eh Margaret, on va présenter ton chat à l’ami de Robert ! dit-elle en fourrant la petite bête sous le nez de Damon.
Un chaos indescriptible s’ensuivit. La queue de Boule de Neige tripla de volume, et il se mit à cracher furieusement tout en administrant de grands coups de pattes à Damon. Il finit par s’enfuir comme une tornade, non sans, au passage, planté ses griffes dans le bras d’Elena. La jeune fille était néanmoins satisfaite par l’expression d’indéniable de surprise que les yeux de Damon avaient trahie. Mais ils retrouvèrent vite leur sérénité d’oiseau de nuit.
Les réactions ne se firent pas attendre : Margaret hurlait à en crever les tympans de l’assistance tandis que Robert s’efforçait de la consoler. Il finit par l’accompagner à la recherche du chat. Bonnie se tenait au mur, l’air profondément choqué. Quant à Matt et tante Judith, ils semblaient consternés.
— Les animaux n’ont pas l’air de beaucoup vous aimer, lança sévèrement Elena à Damon.
Elle s’attabla, faisant signe d’en faire autant à Bonnie, qui s’exécuta en tremblant. Damon s’assit à son tour, sous je regard plein de défiance des deux amies et l’air perplexe de Matt. Quelques instants plus tard, Robert revint avec Margaret, toujours en pleurs. Il décocha un coup d’œil sévère à Elena.
Le repas put enfin commencer. À eux tous, ils incarnaient parfaitement la famille classique réunie autour de la dinde de Thanksgiving. Mais pour qui savait qu’un vampire se tenait dans l’assemblée, le dîner n’était pas si ordinaire que cela. Elena ne percevait que trop l’atmosphère surnaturelle qui régnait dans la pièce. Quant à Bonnie, elle était tellement occupée à lancer des regards interrogateurs à son amie qu’elle ne toucha pas au contenu de son assiette.
Elena ne savait absolument pas comment réagir face à l’intrusion de Damon. Elle se remettait à peine de l’humiliation. Se faire piéger sous son propre toit ! Et pour compléter le fiasco, tante Judith et Robert étaient visiblement charmés du tour agréable de sa conversation. Même Margaret avait fini par lui sourire, et Bonnie, malgré ses craintes, pouvait très bien succomber à son tour.
— Fell’s Church commémore sa fondation la semaine prochaine, annonça tante Judith à l’invité. Ce serait l’occasion de revenir nous voir.
— Avec grand plaisir ! répondit-il d’un ton affable qui horripila Elena.
Tante Judith, en revanche, lui adressa un sourire ravi.
— D’autant plus que, cette année, Elena y jouera un rôle de premier plan, elle a été choisie pour représenter Fell’s Church.
— Vous devez être fiers d’elle.
— Et comment ! Alors, on peut compter sur vous ?
— J’ai eu des nouvelles de Vickie, interrompit Elena en beurrant rageusement un bout de pain. La fille qui s’est fait agresser, ça vous dit quelque chose ?
Elle regardait Damon droit dans les yeux. Celui-ci laissa passer un silence avant de répondre :
— J’ai bien peur de ne pas la connaître.
— Mais si, je suis sûre que vous l’avez déjà croisée. Elle a à peu près ma taille, les yeux noirs et les cheveux châtains… Son état s’est beaucoup aggravé.
La pauvre ! s’apitoya tante Judith.
— Et les médecins n’y comprennent rien, poursuivit Elena sans quitter Damon des yeux. C’est comme si, à chaque nouvelle crise, elle revivait l’agression, en pire.
— L’invité feignit un intérêt poli.
— Servez-vous donc une nouvelle fois, suggéra la jeune fille en poussant le plat de farce vers lui.
— Non merci. En revanche, je reprendrais bien un peu de cette excellente sauce.
Il leva une cuillerée pleine d’un liquide rouge vif vers l’un des chandeliers.
— Cette couleur est si appétissante…
Comme tous les convives, Bonnie avait suivi du regard, le geste de Damon. Mais au lieu de rebaisser la tête, elle gardait les yeux fixés sur la flamme de la bougie. Lentement, les traits de son visage se figèrent. Cette expression n’était pas inconnue à Elena, qui sentant le danger, tenta désespérément d’attirer l’attention de son amie. En vain : Bonnie semblait fascinée par la lueur dansante du chandelier.
— … ensuite, les élèves de primaire présenteront un spectacle, expliquait tante Judith à Damon. Puis ce sera la lecture des poèmes. Elena, combien de Terminales y participent, cette année ?
— On sera seulement trois, répondit-elle en se tournant vers sa tante.
Soudain une voix étrange la fit sursauter.
— La mort…
Tante Judith poussa un cri, la fourchette de Robert s’immobilisa en l’air, et tous les yeux se braquèrent sur Bonnie.
— … va s’abattre sur cette maison, continua celle-ci, le visage blême.
Elle tourna lentement la tête vers son amie, la fixant d’un regard vide.
— Elle viendra te chercher, Elena… Elle est… Les mots s’étranglèrent dans sa gorge, et elle s’affaissa sur sa chaise.
Il y eut un moment de stupeur. Puis Robert bondit pour redresser la jeune fille, et tante Judith se mit à lui tapoter énergiquement les tempes avec une serviette humide. Damon observait la scène d’un air songeur.
— Elle n’est qu’évanouie, annonça Robert, rassuré. C’est sans doute une crise de spasmophilie.
Enfin, Bonnie battit faiblement des paupières, au grand soulagement d’Elena.
L’incident mit un terme au dîner, car Robert insista pour ramener immédiatement Bonnie chez elle. Et elle profita des allées et venues qui s’ensuivirent pour s’approcher de Damon.
— Va-t’en ! lui souffla-t-elle.
Il haussa les sourcils.
— Pardon ?
— Si tu ne pars pas immédiatement, je leur dis que c’est toi l’assassin !
— Tu ne crois pas qu’un invité mérite davantage de considération ? répliqua-t-il d’un air ironique.
L’air buté de son interlocutrice l’amusait visiblement.
— Merci pour ce délicieux repas, lança-t-il finalement à tante Judith, qui enveloppait Bonnie dans une couverture. J’espère pouvoir vous rendre l’invitation sans tarder. A très bientôt, murmura-t-il à Elena avant de s’en aller.
Accompagné de Matt, Robert emmena Bonnie jusqu’à sa voiture, où elle s’endormit aussitôt. Puis ils démarrèrent en trombe, tandis que tante Judith téléphonait à Mme McCullough :