Pourtant, il devait avoir de gros ennuis. Elle consacra toute sa soirée à tenter de mettre un plan sur pied. Une seule chose était sûre : elle ne pourrait compter que sur elle-même.
La nuit tomba. Elena s’étira en feignant un bâillement.
— Je suis fatiguée, déclara-t-elle d’une voix lasse. Et je ne me sens pas très bien. Je vais me coucher.
Meredith lui lança un regard pénétrant, avant de se tourner vers Judith.
— Il vaudrait mieux qu’on reste avec Elena, Bonnie et moi. On pourrait peut-être passer la nuit ici…
— Excellente idée, approuva la tante. Du moment que vos parents sont d’accord, je n’y vois pas d’inconvénient.
— Je crois que je vais rester là, moi aussi, affirma Robert. La route est longue jusque chez moi. Je dormirai sur le canapé.
Judith eut beau lui répéter qu’il y avait des chambres d’amis à l’étage, il s’entêta. Elena jeta un coup d’œil vers le vestibule : du canapé, la vue sur la porte d’entrée était imprenable. Elle se renfrogna davantage. Ils avaient dû manigancer ça entre eux pour s’assurer qu’elle ne leur fausserait pas compagnie.
Quand un peu plus tard, Elena sortit de la salle de bain, munit de son kimono rouge, Bonnie et Meredith étaient assises sur son lit.
— Tiens, le KGB, lança-t-elle d’un ton acide.
Bonnie regarda Meredith d’un air perplexe.
— Elle s’imagine qu’on est restées là pour la surveiller, expliquai cette dernière. C’est faux, Elena fais nous confiance !
— Je devrais ?
— Oui. On est tes amies ?
Meredith sauta du lit pour aller fermer ta porte. Elle se tourna vers Elena.
— Pour une fois, tu vas m’écouter ! C’est vrai qu’on a des doutes sur Stefan… Mais c’est ta faute aussi. Depuis que vous sortez ensemble, tu n’arrête pas de faire des cachotteries. Nous, on veut juste t’aider.
— Oui. Renchérit Bonnie en combattant son émotion. Même si tu t’en fous de nous, on t’aime toujours.
Les yeux d’Elena s’embuèrent. Elle leur tomba dans les bras.
— Je suis désolée. Je sais que mon comportement paraît étrange mais je ne peux rien vous dire… À part que…
Elle recula d’un pas en s’essuyant les joues et les regarda avec gravité.
— Stefan n’a pas tué M. Tanner, même si tout l’accuse. Je le sais parce que je connais le vrai coupable. C’est celui qui a agressé Vickie et le sans-abri. Et je pense qu’il a aussi quelque chose à voir avec la mort de Yang-Tsê.
— Yang-Tsê ? s’exclama Bonnie, les yeux écarquillés. Mais pourquoi ?
— J’en sais rien, mais, cette nuit-là, l’assassin était chez toi, dans ta maison. Et il était fou de rage…
Bonnie était horrifiée.
— Pourquoi tu n’as rien dit à la police ? Demanda Meredith.
— Ça n’aurait servi à rien. La police ne m’aurait pas cru… Vous devez me faire confiance, même si je ne peux rien vous expliquer.
Bonnie et Meredith échangèrent un regard intrigué. Après un instant de réflexion, celle-ci conclut :
— OK, c’est d’accord. Comment est-ce qu’on peut t’aider ?
— Je ne sais pas… À moins que…
Elena leva les yeux vers Bonnie.
— À moins que tu m’aides à retrouver Stefan, dit-elle d’une voix pleine d’espoir.
Bonnie la regarda sans comprendre.
— Moi ? Mais comment ?
Elena jeta un coup d’œil à Meredith.
— Tu as deviné que vous me trouveriez dans le cimetière, l’autre fois, continua Elena. Et tu as même prédit l’arrivée de Stefan au lycée.
— Je pensais que tu ne croyais pas aux histoires paranormales, protesta Bonnie.
— J’ai changé d’avis. Et surtout, je suis prête à faire n’importe quoi pour retrouver Stefan.
— Elena, tu ne te rends pas compte, objecta Bonnie, Je n’ai pas assez d’expérience ; ça pourrait déraper et se retourner contre nous. D’autant plus qu’il n’est plus question de jouer. C’est très dangereux, tu sais.
Elena se leva d’un air de profonde réflexion, puis, au bout de quelques instants, se retourna.
— Tu as raison : ce n’est plus un jeu, et ce n’est certainement pas sans risque. Mais Stefan est gravement blessé, j’en suis sûre qu’il n’a personne pour l’aider, et il est peut-être en train de mourir… Si ça se trouve, il est même déjà…
Elle baissa la tête, prit une profonde inspiration, puis regarda ses amies. Bonnie se redressa, l’air décidé. Une expression grave, sur son visage, avait remplacé sa candeur habituelle.
— On va avoir besoin d’une bougie, dit-elle avec détermination.
L’allumette grésilla dans l’obscurité, et une lueur blême baigna le visage de Bonnie.
— Vous allez m’aider à me concentrer : fixez la flamme et pensez très fort à Stefan. Surtout, ne la quittez pas des yeux et ne dites rien.
Elena hocha la tête avec solennité. La lumière projetait des ombres mouvantes sur les trois filles assises en tailleur, dans un silence troublé seulement par leur respiration. Bonnie, les yeux clos, inspirait de plus en profondément. On aurait dit qu’elle était sur le point de s’endormir.
Stefan… Les yeux rivés à la flamme, Elena s’efforça de mobiliser tous ses sens pour faire apparaître son image dans son esprit : elle se rappelait la laine rugueuse de son pull sur sa joue, l’odeur de sa veste en cuir, ses bras musclés autour d’elle. Oh, Stefan…
Les paupières fermées de Bonnie se mirent à trembloter, et son souffle s’accéléra, comme si elle était en proie à un cauchemar. Elena ne détacha pas le regard de la bougie, mais, lorsque la voix de Bonnie rompit le silence, un frisson la parcourut.
Ce ne fut d’abord qu’un faible gémissement, qui se changea en paroles. Bonnie avait rejeté la tête.
— Je suis seul…
Les ongles d’Elena s’enfoncèrent dans ses paumes.
— … Dans le noir, continua Bonnie d’une voix lointaine et accablée.
Il y eut un silence, puis son débit s’accéléra.
— Il fait noir et froid… Je sens quelque chose derrière moi… C’est dur et rugueux. De la pierre, je crois… Mais je suis tellement engourdi de froid que je n’en suis pas sûr…
Bonnie s’agita, donnant l’impression de vouloir se libérer de quelque chose. Elle éclata d’un rire désespéré qui ressemblait à des sanglots.
— C’est le comble… Je n’aurais jamais pensé que la lumière du soleil me manquerait à ce point. Il fait si noir, ici. Et j’ai de l’eau glacée jusqu’au cou. Ça aussi, c’est plutôt drôle quand on y pense : il y a de l’eau partout, je meurs de soif…
Le cœur d’Elena battait à cent à l’heure. Bonnie avait pénétré les pensées de Stefan. « Qui sait ce qu’elle va y découvrir ? », songea-t-elle avec angoisse. Elle se concentra davantage : « Stefan, où es-tu ? Regarde autour de toi, dis-nous ce que tu vois.
— J’ai tellement soif… Il me faut… du sang, poursuivit Bonnie d’une voix hésitante, visiblement déroutée par ce mot. Je me sens si faible… Il dit que je serai toujours le moins fort. Lui est si puissant… Un tueur. Mais moi aussi… J’ai tué Katherine, je mérite de mourir. Il suffit de me laisser aller…
— Non ! hurla Elena.
— Elena ! S’offusqua Meredith.
Bonnie se redressa, et le flot de paroles s’interrompit. Elena se rendit compte avec horreur de ce qu’elle venait de faire.
— Bonnie, ça va ? Je ne voulais pas… Est-ce que tu peux entrer de nouveau en contact avec lui ?