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— Ceci risque de vous étonner, mais notre race a visité votre monde il y a environ deux mille cinq cents ans. C’est pourquoi je parle grec, mais ignore ce qui s’est passé depuis lors. J’aimerais que vous me renseigniez… si je comprends bien, vous êtes une érudite.

Elle rougit et abaissa ses longs cils.

— Je me ferai un plaisir de vous aider de mon mieux. (Elle l’implora soudain et il en fut ému :) Mais nous aiderez-vous en retour ?

— Je ne sais pas, dit lourdement Everard. Je le voudrais, mais je ne sais pas si je le peux.

(Parce qu’en définitive mon rôle, c’est de te condamner au néant, toi et tout ton univers.)

Une fois dans sa chambre, Everard découvrit que l’hospitalité de ce monde était plus que généreuse. Mais il était trop fatigué et déprimé pour en profiter… En tout cas, songea-t-il avant de s’endormir, la belle esclave attribuée à Van Sarawak ne serait sûrement pas déçue.

On se levait tôt en ce lieu. De sa fenêtre à l’étage, Everard aperçut des gardes qui arpentaient la plage ; cependant, ils n’enlevaient rien à la beauté de la matinée. Il descendit déjeuner avec Van Sarawak : du jambon et des œufs, des toasts et du café semblèrent prolonger ses rêves. Ap Ceorn était reparti en ville pour un conciliabule, lui dit Deirdre ; quant à elle, ayant chassé tout souci pour le moment, elle parlait gaiement de choses insignifiantes. Everard apprit qu’elle faisait partie d’un groupe dramatique qui donnait parfois des pièces en grec original – de là sa facilité à parler la langue. Elle aimait monter à cheval, chasser, nager, faire de la voile…

— Irons-nous ? demanda-t-elle.

— Quoi faire ?

— Nager, naturellement !

Elle se leva d’un bond du fauteuil où elle était assise sur la pelouse, sous les feuilles flambantes au pâle soleil d’automne, et elle se défit en un tourbillon, et tout à fait innocemment, de ses vêtements. La mâchoire de Van Sarawak faillit s’en décrocher.

— Venez donc ! fit-elle en riant. Le dernier à l’eau est un Sassenach !

Elle culbutait déjà dans les vagues grises et froides lorsque Everard et Van Sarawak arrivèrent tout frissonnants sur la plage. Le Vénusien grommela :

— Je viens d’une planète chaude. Mes ancêtres étaient Indonésiens… des oiseaux des Tropiques.

— Mais il y avait aussi des Hollandais parmi eux, non ? fit Everard en souriant.

— Ils avaient eu le bon goût d’aller s’établir en Indonésie !

— C’est bon, restez sur la plage.

— Rien à faire ! Si elle y va, j’en suis aussi capable !

Il plongea un orteil dans l’eau et geignit de nouveau.

Everard fit appel à toute sa volonté et prit son élan. Deirdre l’aspergea. Il plongea, lui saisit une jambe et la tira sous l’eau. Ils luttèrent pendant quelques minutes et jouèrent avant de rentrer à la maison en courant. Van Sarawak les suivit :

— Parlons-en du supplice de Tantale, marmonna-t-il. La plus belle fille de tout le continuum, et je ne peux même rien lui dire, et elle se comporte comme si elle avait un ours blanc parmi ses ancêtres directs.

Everard resta immobile devant le feu du salon, tandis que des esclaves le frictionnaient et lui passaient les vêtements du pays.

— Qu’est-ce que ce dessin ? demanda-t-il en désignant l’écossais de son kilt.

Deirdre leva la tête :

— Les couleurs de mon propre clan, répondit-elle. Les invités sont toujours membres du clan pendant leur séjour, même s’il y a une lutte en cours entre clans. (Elle esquissa un sourire timide.) Et il n’y en a pas en ce moment, Manslach.

Ce qui le replongea dans ses mornes pensées. Il se souvint de son but.

— J’aimerais vous poser des questions sur l’Histoire, reprit-il. Je m’y intéresse tout particulièrement.

Elle fit un signe d’acquiescement, ajusta un filet doré sur ses cheveux et prit un livre sur une étagère encombrée.

— Je pense que c’est la meilleure Histoire Mondiale. Je pourrai me documenter plus tard sur les détails que vous voudrez.

Et me dire ce que je dois faire pour t’anéantir… Everard avait rarement eu l’impression de se conduire aussi lâchement.

Il s’assit avec elle sur un divan. Le maître d’hôtel entra en poussant le chariot du déjeuner. Il mangea de bon appétit.

Puis il poursuivit le cours de son enquête :

— Est-ce que Rome et Carthage se sont jamais fait la guerre ?

— Oui. Il y en a eu deux. Tout d’abord, elles étaient alliées contre l’Empire. Puis elles se sont séparées. Rome a gagné la première guerre et a tenté de limiter l’expansion carthaginoise. La deuxième guerre a éclaté vingt-trois ans après et elle a duré… euh… onze ans en tout, bien que les trois dernières années n’eussent été qu’un long nettoyage, après qu’Hannibal eut pris et brûlé Rome{On sait que «dans l'univers d'Everard» — le nôtre — il y a eu trois guerres puniques, qui se sont terminées par la prise et la destruction de Carthage. Rappelons que les Carthaginois étaient des Phéniciens, donc des Sémites.}.

Ah !… En un certain cas, la révélation de la vérité ne plut pas à Everard.

La seconde guerre punique, ou plutôt un incident clef qui s’y trouvait joint, était donc le point crucial. Mais – en partie par curiosité immédiate, en partie parce qu’il ne voulait pas se trahir – Everard ne demanda pas de détails. Il fallait d’abord qu’il sût tout ce qui s’était passé exactement (ou enfin, ce qui ne s’était pas passé, pour aboutir à cette réalité respirant là, tiède et vivante, et où c’était lui le fantôme).

— Qu’arriva-t-il ensuite ? demanda-t-il d’une voix neutre.

— Il y eut un Empire carthaginois qui englobait l’Hispanie, le sud de la Gaule et le pied de l’Italie. Le reste de l’Italie était impuissant et chaotique, après la dispersion de la république romaine. Mais le gouvernement carthaginois était trop vénal pour durer ; Hannibal lui-même fut assassiné par des gens qui le trouvaient trop honnête. Entre-temps, les Syriaques et les Parthes se disputaient la Méditerranée orientale ; les Parthes finirent par l’emporter.

« Une centaine d’années après les Guerres Puniques, des tribus germaniques firent la conquête de l’Italie. (Oui… il devait s’agir des Cimbres et de leurs alliés les Teutons et les Ambres, que Marius avait stoppés dans le monde d’Everard.) Leur passage destructeur en Gaule mit à leur tour les Celtes en mouvement vers l’Hispanie et l’Afrique du Nord, cependant que Carthage déclinait ; et au contact de celle-ci les Celtes apprirent beaucoup.

« Une longue période de guerres suivit, au cours de laquelle les Parthes s’affaiblirent et les Etats celtiques grandirent. Les Huns vainquirent les Germains en Europe centrale, mais furent dispersés eux-mêmes par les Parthes ; aussi les Gaulois occupèrent-ils le pays et les seuls Germains survivants furent ceux d’Italie et d’Hyperborea. (Ce devait être la péninsule Scandinave.) Avec l’amélioration des navires, le commerce s’établit avec l’Inde et la Chine, en contournant l’Afrique. Les Celtes découvrirent Afallon, qu’ils prirent pour une île – de là le nom « Ynys » – mais ils furent repoussés par les Mayans. Les colonies brittiques du Nord connurent un sort plus heureux et finirent par acquérir leur indépendance.

« Pendant ce temps, le Littorn grandissait considérablement. Il engloba pendant un temps l’Europe centrale et l’Hyperborea, et ces pays ne recouvrèrent la liberté qu’après le règlement consécutif à la Guerre de Cent Ans dont vous avez entendu parler. Les pays asiatiques se sont débarrassés de leurs maîtres européens et se sont modernisés, tandis que les nations occidentales sont sur leur déclin. Mais ce n’est là qu’une pâle esquisse. Dois-je continuer ?