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Et la vieille prêtresse de Phébus ajouta: «Mais allons, poursuis ta route et achève ce que tu as entrepris avec le rameau d’or. Pressons le pas: j’aperçois les murs sortis de la forge des Cyclopes, et, en face de nous, la porte cintrée où il nous est prescrit de déposer cette offrande.» Comme elle parlait, tous deux, marchant du même pas dans le clair obscur, traversent rapidement l’espace intermédiaire et s’approchent de l’entrée. Énée prend les devants, se lave dans une eau fraîche et, devant lui, fixe au seuil le rameau.

Ces ablutions accomplies, et l’offrande faite à la déesse, ils arrivent à une plaine riante, aux délicieuses pelouses, des bois fortunés, séjour des bienheureux. L’air pur y est plus large et revêt ces lieux d’une lumière de pourpre. Ils ont leur soleil et leurs astres. Parmi ces ombres, les unes sur le gazon s’exercent à la palestre, se mesurent dans leurs jeux et luttent sur un sable doré; les autres, frappant la terre, forment des chœurs mêlés de chants.

Le prêtre de Thrace en longue robe fait harmonieusement résonner les sept notes du chant et tour à tour frappe sa lyre de ses doigts et de son plectre d’ivoire. Là sont les descendants de l’antique Teucer, noble postérité, héros magnanimes nés en des temps meilleurs: Ilus, Assaracus et le fondateur de Troie, Dardanus. Énée admire près d’eux des armes et des chars fantômes. Leurs javelots sont fichés à terre; et ça et là leurs chevaux dételés paissent dans la plaine: le plaisir des armes et des chars, que vivants ils goûtaient, et le soin qu’ils avaient de faire paître leurs chevaux à la robe brillante les suivent dans leur descente sous la terre. Et voici qu’à sa droite et à sa gauche il en aperçoit d’autres qui prenaient leur repas sur l’herbe et chantaient en chœur un joyeux Péan sous le bosquet de lauriers odorants d’où le puissant fleuve de l’Éridan, qui roule à travers la forêt, sort pour monter à la surface de la terre. Là, un groupe de héros qui souffrirent des blessures en combattant pour leur patrie; les prêtres qui, toute leur vie, observèrent saintement les rites; les poètes pieux et dont la voix fut digne d’Apollon; et ceux qui rendirent la vie plus belle par l’invention des arts et ceux dont les bienfaits leur ont valu de vivre dans la mémoire d’autres hommes: et leurs tempes à tous sont ceintes d’une bandelette blanche comme la neige. La Sibylle s’adresse à ces Ombres répandues autour d’elle, et surtout à Musée, car elle le voyait au milieu de l’innombrable foule qu’il dépassait de ses hautes épaules: «Dites-moi, Ombres heureuses, et toi, le meilleur des poètes, quel est le séjour d’Anchise et l’endroit où il reste? C’est pour lui que nous sommes venus et que nous avons traversé les grands fleuves de l’Érèbe.» Le héros lui répondit en peu de mots: «Nous n’avons point de lieu fixe; nous habitons des bois ombreux; nous nous couchons sur le gazon de ces rives, et nous vivons dans de fraîches prairies que des ruisseaux arrosent. Mais vous, si votre cœur le désire, franchissez cette colline et je vous mettrai sur un chemin facile.» Il dit, marche devant eux, et d’en haut leur montre une plaine brillante: ils descendent aussitôt de ce sommet.

Or, le vénérable Anchise, au fond d’une vallée verdoyante, parcourait d’un regard tendre et pensif les âmes qui y étaient rassemblées et qui monteraient un jour à la lumière de la vie, et, en ce moment même, il passait en revue tous les siens, ses chers descendants, leurs destins, leur fortune, leur caractère, leurs exploits. Dès qu’il vit Énée qui s’avançait devant lui sur le gazon, il lui tendit ses deux mains, plein d’allégresse, et, les joues ruisselantes de larmes, il lui dit: «Enfin te voici: ta piété sur laquelle comptait ton père a triomphé de l’âpre route. Il m’est donné de voir ton visage, mon enfant, d’entendre ta voix chère et de te répondre! Ah certes, je l’espérais; je pensais bien que cela viendrait; je comptais les jours. Mon attente inquiète ne m’a pas trompé. Que de terres tu as traversées, que de flots, avant de m’arriver! Combien de périls, mon enfant, t’éprouvèrent! Comme j’ai eu peur du mal que pouvait te faire le royaume de Libye!» Énée lui répondit: «C’est toi, mon père, c’est ta triste image, venue si souvent à moi, qui m’a décidé à franchir le seuil de ces demeures. Ma flotte est à l’ancre dans les eaux Tyrrhéniennes. Donne-moi ta main, mon père; donne-la-moi que je la serre, et ne te dérobe pas à mes embrassements.» Et en parlant ainsi de larges pleurs coulaient sur son visage. Trois fois il essaya de lui entourer le cou de ses bras; trois fois, vainement saisie, l’ombre lui coula entre les mains comme un souffle léger, comme un songe qui s’envole.

Énée cependant voit, dans un vallon retiré, un bois solitaire, des halliers bruissants et le fleuve du Léthé qui arrose ce paisible séjour. Sur ses rives voltigeaient des nations et des peuples innombrables, comme dans les prairies, sous la lumière sereine de l’été, les abeilles se posent sur les fleurs diaprées et se déploient autour de la blancheur des lys; et toute la plaine bourdonne de leur murmure. À cette vue soudaine, Énée est parcouru d’un frisson sacré et demande la cause de ce mystère. Quel est donc ce fleuve là-bas et quels sont les hommes dont la multitude en a couvert les rives? Alors son père Anchise lui répondit: «Ce sont les âmes à qui les destins doivent une seconde incarnation et qui, le long du Léthé, boivent la paix et les longs oublis. Pour moi, depuis longtemps, je veux te dire et te montrer en face de nous et te dénombrer cette postérité qui sera la tienne, afin que tu te réjouisses encore plus avec moi d’avoir trouvé l’Italie.» – «Ô mon père, faut-il donc penser qu’il y a des âmes qui remontent à l’air du ciel et qui aspirent de nouveau à rentrer dans les liens épais du corps? D’où vient à ces malheureuses le désir insensé de la lumière?» – «Je te le dirai, mon fils: je ne te tiendrai pas en suspens», lui répond Anchise; et il lui expose successivement tous ces beaux secrets.