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«Et d’abord le ciel, la terre, les plaines liquides, le globe lumineux de la lune, l’astre Titanique du soleil, sont pénétrés et vivifiés par un principe spiritueclass="underline" répandu dans les membres du monde, l’esprit en fait mouvoir la masse entière et transforme en s’y mêlant ce vaste corps. C’est de lui que naissent les races des hommes, des animaux, des oiseaux et de tous les monstres que porte l’Océan sous sa surface brillante comme le marbre. Ces germes de vie ont une vigueur ignée qu’ils doivent à leur céleste origine, tant que les impuretés du corps ne les engourdissent pas et que nos ressorts terrestres et nos membres voués à la mort ne les ont pas émoussés. Dès lors les âmes connaissent les craintes, les désirs, les douleurs, les joies et ne distinguent plus clairement la lumière du ciel, emprisonnées dans leurs ténèbres et leur geôle aveugle. Et même, au jour suprême, lorsque la vie les a quittées, les malheureuses ne sont pas encore absolument débarrassées de tout le mal et de toutes les souillures du corps; leurs vices, endurcis par les années, ont dû s’enraciner à une profondeur étonnante. Il faut donc les soumettre à des châtiments, et qu’elles expient dans des supplices ces maux invétérés. Les unes, suspendues dans l’air, sont exposées au souffle léger des vents; d’autres, au fond d’un vaste abîme, lavent leur souillure; d’autres s’épurent dans le feu. Chacun de nous subit ses Mânes. Nous sommes peu nombreux à passer ensuite dans le vaste Élysée, et à occuper à jamais ces riantes campagnes. Ce n’est qu’après de longs jours que le cours des temps enfin révolus a effacé les anciennes flétrissures, et laisse rendu à sa pureté le principe éthéré de l’âme, cette étincelle du feu céleste. Alors, toutes ces âmes que nous apercevons, lorsqu’elles ont vu tourner la roue de mille années, un dieu les appelle en longue file aux bords du Léthé, afin qu’ayant perdu tout souvenir elles puissent revoir encore la voûte du ciel et commencent à vouloir rentrer dans des corps.»

Quand il eut ainsi parlé, Anchise entraîna son fils et la Sibylle au milieu des rassemblements et de la foule bruissante; il se place sur une éminence d’où le héros puisse examiner en face de lui le long défilé et apprendre à connaître les visages à mesure qu’ils passeront: «Et maintenant, je vais te dire la gloire réservée à la postérité de Dardanus, les descendants que tu auras de race italienne et les âmes illustres qui porteront le nom de notre famille; et je te révélerai tes destins.

«Ce jeune homme, tu le vois, qui s’appuie sur une lance sans fer, le sort l’a placé le plus proche de la lumière: il est le premier qui se dressera au séjour des hommes, avec du sang italien mêlé au nôtre: c’est Silvius, de race Albaine, le dernier enfant que ta femme Lavinia te donnera tardivement à la fin de ta vie et qu’elle élèvera dans une retraite sylvestre, roi et père de rois. Par lui notre famille dominera sur Albe-la-Longue.

«Tout près de lui, c’est Procas, honneur de la nation Troyenne, et Capys et Numitor et celui qui fera revivre ton nom, Sylvius Æneas, et qu’illustreront également sa piété et ses armes, s’il peut jamais obtenir la royauté d’Albe. Quels jeunes hommes! Regarde. Quelles forces ils déploient, et comme leurs tempes sont ombragées du chêne civique! Tu vois en eux des fondateurs de villes, les uns de Nomentum, de Gabies, de Fidène; les autres élèveront sur les montagnes la citadelle de Collatie, la cité des Pométiens, Castrum Inui, Bola, Cora. Tels seront les noms de ces terres aujourd’hui sans nom.

«Mais voici celui qui assistera son aïeul, Romulus, le fils de Mars, qu’enfantera sa mère Ilia du sang d’Assaracus. Vois-tu les deux aigrettes qui se dressent sur son front, et comme son père, en lui donnant son propre insigne, le range déjà au nombre des dieux? C’est sous ses auspices, mon enfant, que cette illustre Rome égalera son empire à l’univers, sa grande âme à l’Olympe et d’un seul rempart enfermera sept collines. Ô ville féconde en héros! Ainsi la Mère du mont Bérécynte, couronnée de tours, est traînée dans un char à travers les cités Phrygiennes, heureuse d’avoir porté des dieux et d’embrasser cent petits-fils, tous habitants de l’Olympe, tous seigneurs des hauteurs du ciel.

«Maintenant tourne les yeux: regarde cette nation, tes Romains. Voici César et toute la postérité d’Iule qui doit venir à la lumière sous l’immense voûte des cieux. Le voici, c’est lui, cet homme qui, tu le sais, t’a été si souvent promis, César Auguste, fils d’un dieu: il fera renaître l’âge d’or dans les champs du Latium où jadis régna Saturne, il reculera les limites de son empire plus loin que le pays des Garamantes et des Indiens, jusqu’à ces contrées qui s’étendent au delà des signes du Zodiaque, au delà des routes de l’année et du soleil, là où Atlas, qui porte le ciel, fait tourner sur son épaule la voûte parsemée d’étoiles étincelantes. Et déjà, au bruit de sa venue, les réponses des dieux jettent une horreur sacrée dans les royaumes de la Caspienne et sur les bords du Palus Méotide; et les sept embouchures du Nil s’agitent confusément et s’épouvantent. Ni Alcide n’a parcouru autant de pays, bien qu’il ait percé la biche aux pieds d’airain, pacifié la forêt d’Érymanthe et fait trembler de son arc les marécages de Lerne; ni Bacchus vainqueur qui, des hauts sommets de Nysa, conduit son attelage de tigres et les rend dociles à ses rênes de pampre. Et nous hésiterions encore à déployer notre valeur! La crainte nous empêcherait de nous fixer sur la terre d’Ausonie!

«Plus loin, quel est cet homme que distingue une couronne d’olivier et qui porte des objets sacrés? Je reconnais la chevelure et la barbe blanches du roi Romain qui donnera à la ville naissante les fondements de la loi et à qui sa petite cité de Cures et sa terre pauvre commettront une puissante royauté. Celui qui viendra après lui, Tullius, rompra les jours calmes de sa patrie et appellera aux armes les hommes endormis dans la paix et leurs troupes désaccoutumées des triomphes. Ancus le suit de près, avec jactance, et déjà, ici même, trop sensible à la faveur populaire. Veux-tu voir les Tarquins, et l’âme fière du vengeur Brutus et les faisceaux reconquis? Le premier, il recevra le pouvoir consulaire et les terribles haches, et, comme ses fils voudront rallumer les guerres, il les sacrifiera à la belle liberté. Malheureux, de quelque louange que les siècles futurs exaltent cet acte: l’amour de la patrie triomphera dans son cœur et aussi une immense passion pour la gloire.

Mais plus loin, regarde les Décius, les Drusus, Torquatus et sa hache ensanglantée, et Camille qui revient avec les enseignes reconquises. Ces deux âmes que tu vois resplendir sous une armure toute pareille, marchent d’accord aujourd’hui et tant que la nuit pèse sur elles: hélas, quels combats elles se livreront, si elles atteignent à la lumière de la vie; que d’armées rangées en bataille, que de massacres: le beau-père descendant du rempart des Alpes et de la forteresse de Monœcus; le gendre appuyé sur l’Orient qu’il lui oppose! Ô mon fils, n’habituez pas vos cœurs à ces abominables guerres; ne tournez pas vos forces vives contre les entrailles de la patrie! Et toi, donne l’exemple de la modération, toi qui tires ton origine de l’Olympe; rejette loin de toi ces armes, ô mon sang!… Celui-ci, vainqueur de Corinthe, montera au Capitole dans le char du triomphe, glorieux à jamais du massacre des Achéens. Celui-là jettera par terre Argos et la Mycène d’Agamemnon et même un Éacide, descendant d’Achille puissant par les armes, ayant ainsi vengé les ancêtres Troyens et le temple profané de Minerve. Qui te passerait sous silence, ô grand Caton, et toi, Cossus? Qui oublierait la famille des Gracques et les deux Scipions, ces deux foudres de guerre, ruine de la Libye, et Fabricius si puissant et, pourtant si pauvre, et toi, Serranus, semeur de tes sillons? Fatigué, où m’entraînez-vous, ô race des Fabius? Te voici, tu es ce Maximus qui, seul, par ta sagesse de temporiser, remettras nos affaires debout.