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Il y a au centre de l’Italie, et au pied de hautes montagnes, un endroit bien connu et dont la renommée est grande sur de nombreux bords, la vallée d’Ampsanctus: des deux côtés le flanc noir de la forêt la presse de son feuillage épais, et, au milieu, un torrent fait sonner sur les pierres le fracas de son flot tourbillonnant. Là se montrent une caverne pleine d’horreur et les soupiraux du cruel Pluton; et l’énorme gouffre de l’Achéron débordé ouvre sa gueule pestilentielle. La Furie s’y plonge, l’odieuse divinité, et délivre le ciel et la terre.

La royale Saturnienne n’en met pas moins cependant la dernière main à la guerre. Toute la foule des pâtres se rue du champ de bataille dans la ville. Ils y apportent le corps du jeune Almon et le cadavre défiguré de Galésus; ils implorent les dieux, ils supplient Latinus. Turnus est là: au milieu des protestations contre le meurtre et du feu des colères il redouble la panique. «On appelle un Troyen au trône; on s’unit à une famille phrygienne; lui-même, il est chassé du palais.» Alors ceux dont les femmes égarées par Bacchus parcourent les bois écartés en dansant, – car l’influence d’Amata est forte, – se réunissent de toutes parts et réclament Mars de leurs cris assourdissants. C’en est fait: contre les présages, contre les oracles, au mépris de la volonté divine, tous exigent l’exécrable guerre. Ils assiègent à l’envi la demeure du roi Latinus. Lui, comme un roc immobile au milieu des flots, il résiste, comme un roc de la mer qui, lorsque vient la houle à grand fracas, entouré de l’aboiement des innombrables vagues, tient par sa masse; autour de lui les récifs et les roches écumantes mugissent, et l’algue se déchire sur ses flancs qui la refoulent. Mais comme nul n’aurait le pouvoir de surmonter cet aveugle entraînement et que tout va comme le veut la cruelle Junon, le vénérable Latinus prend plus d’une fois à témoin les dieux et le ciel insensible. «Hélas, dit-il, la fatalité nous accable et l’ouragan nous emporte. Vous expierez vous-mêmes de votre sang ce sacrilège, malheureux! Turnus, Turnus, un terrible châtiment expiatoire t’attend, et il sera trop tard quand tu honoreras les dieux de tes prières. Pour moi, le repos m’est acquis; je touche presque au port; je ne suis spolié que d’une heureuse mort.» Il n’en dit pas davantage et s’enferma chez lui, abandonnant les rênes.

Il existait au Latium hespérien une coutume que les villes albaines ont gardée religieusement sans interruption et qu’aujourd’hui Rome, la plus grande des choses, observe quand on commence à exciter Mars aux combats, soit qu’on se prépare à porter la guerre et les larmes chez les Gètes, les Hyrcaniens ou les Arabes, soit qu’on veuille marcher vers les Indiens, poursuivre l’Orient et redemander aux Parthes les aigles prises. Il y a deux portes de la Guerre, – c’est ainsi qu’on les nomme, – consacrées par la religion et par l’épouvante du cruel Mars. Cent verrous d’airain les ferment et des barres de fer indestructibles; et Janus, qui en a la garde, ne s’en éloigne pas. Lorsque le sénat a décidé qu’on se battra, le consul en personne, qui se distingue par sa trabée quirinale et sa toge ceinte à la manière gabienne, ouvre ces portes stridentes: il annonce lui-même les combats; toute la jeunesse le suit, et les clairons d’airain unissent leurs rauques accords. Cet usage commandait à Latinus de déclarer la guerre aux compagnons d’Énée et d’ouvrir les portes sinistres. Mais le vieux roi s’abstint d’y toucher; il se détourna de cet office qui lui répugnait, se retira loin de la lumière, dans l’ombre. Alors la reine des dieux, la Saturnienne, descendue du ciel, poussa elle-même de sa main les portes hésitantes, les fit rouler sur leurs gonds et rompit les battants de fer de la Guerre.

L’Ausonie, qui était tranquille et qui ne bougeait pas s’enflamme. Les uns se préparent à marcher en fantassins dans la plaine; les autres s’élancent dans des nuages de poussière, dressés sur leurs hautes montures. Tous cherchent des armes. Ceux-ci, avec une graisse onctueuse, polissent les boucliers et font briller les dards: ils aiguisent les haches sur la pierre. On se plait à déployer des étendards et à entendre le son des trompettes. De plus, cinq grandes villes forgent sur leurs enclumes de nouvelles armes, la puissante Atina, l’orgueilleuse Tibur, Ardée, Crustumerium et Antemnes couronnée de tours. Les uns creusent les armets qui protègent la tête et courbent l’osier des boucliers bombés. Les autres façonnent des cuirasses d’airain ou polissent des jambières en souple argent. C’est à cela qu’ont abouti les honneurs rendus au soc et à la faux et tout l’amour de la charrue. On retrempe à la flamme des forges les lames des aïeux. Déjà la trompette appelle au combat; et déjà la tessère emporte de rang en rang le signe de ralliement. Celui-ci court chez lui et saisit son casque; celui-là attelle ses chevaux frémissants, prend son écu, sa cotte de mailles aux triples mailles d’or et attache à son côté son épée fidèle.

Maintenant, Muses divines, ouvrez-moi l’Hélicon, inspirez mes chants, dites quels rois se levèrent pour cette guerre et quelles armées à leur suite se déployèrent dans la plaine, et quels étaient alors les hommes dont se fleurissait la féconde Italie, et sous quelles armes elle fut en feu. Vous vous en souvenez, ô divines, et vous pouvez le raconter; mais nous, à peine un faible bruit nous en est-il parvenu.

Le premier qui marche aux combats, terrible, issu des rivages tyrrhéniens, est le contempteur des dieux Mézence; le premier il arme ses troupes, il a près de lui son fils Lausus, le plus beau des Ausoniens après le Laurente Turnus; Lausus, dompteur de chevaux, chasseur de bêtes sauvages, conduit, mais en vain, mille guerriers qui l’ont suivi de la ville Agylline: il était digne d’être plus heureux sous les ordres paternels et d’avoir un autre père que Mézence.

Derrière eux, dans un char orné d’une palme, traîné sur l’herbe par des chevaux victorieux, s’avance le fils du bel Hercule, le bel Aventinus: il porte sur son bouclier les armes de son Père, les cent reptiles dont l’hydre est ceinte. Ce fut dans la forêt de la colline Aventine que la prêtresse Rhéa le mit clandestinement au jour, femme unie à un dieu, quand le Tirynthien, vainqueur et meurtrier de Géryon, atteignit les champs laurentins et baigna les vaches ibériennes dans les eaux du Tibre. Ses hommes sont armés de javelots qu’ils tiennent à la main et de cruels épieux; ils combattent avec une courte épée et la lance sabellienne. Leur chef lui-même, à pied, roule autour de son corps la peau monstrueuse, au poil sauvage et terrible, d’un lion dont le mufle et les dents blanches lui servent de coiffure. Il entrait ainsi au palais du roi, tout hérissé, les épaules recouvertes de ce vêtement herculéen.