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«Surpris par la clarté inattendue, enfermé au creux de son rocher, Cacus poussait d’étranges rugissements. D’en haut Alcide l’accable de projectiles; tout devient une arme sous sa main; il lui lance des troncs d’arbres et de grosses pierres. Cacus, voyant qu’il ne lui reste aucun moyen de fuir le péril, vomit par la bouche, ô merveille! une immense fumée, enveloppe son repaire d’une obscurité aveuglante qui l’arrache aux regards; il amasse sous son antre une nuit fumeuse où se mêlent des feux et des ténèbres. Alcide, dans sa rage, ne le supporta pas. D’un bond, la tête la première, il s’est jeté lui-même à travers le feu, là où la fumée roulait ses flots les plus épais et où l’immense caverne n’était qu’un bouillonnement de noires vapeurs. Cacus a beau vomir son incendie dans les ténèbres, Hercule le saisit, noue ses bras autour de lui, lui fait en le serrant saillir les yeux hors de la tête; et sa gorge se dessèche de sang. Aussitôt la porte de la noire demeure est arrachée; on l’ouvre; les génisses soustraites, les rapines niées, se montrent au ciel; et le hideux cadavre est traîné dehors par les pieds. On se remplit la vue insatiablement de ces terribles yeux, de ce visage, de cette poitrine velue, hérissée, d’une demi-bête, de cette gorge aux feux éteints.

«De ce jour date une fête en l’honneur du dieu Joyeux, les descendants en ont conservé l’anniversaire. Ce fut d’abord le fondateur Potitius, puis la famille des Pinarii, gardienne du sacrifice à Hercule. Le dieu avait dans ce bois sacré élevé cet autel que nous nommerons toujours «Le plus grand autel» et qui le restera toujours. Et maintenant, jeunesse, pour le sacrifice en l’honneur d’une telle prouesse, ceignez vos cheveux de feuillage, levez vos coupes, invoquez le dieu qui est maintenant le vôtre comme le nôtre et répandez les libations de bon cœur.» Il dit; le peuplier aux deux couleurs a voilé sa chevelure d’une ombre herculéenne en laissant pendre son feuillage; et la coupe sacrée remplit sa main. Tous aussitôt allègrement font des libations sur la table et prient les dieux.

Pendant ce temps, Vesper s’approche dans l’Olympe incliné. Déjà les prêtres et, le premier, Potitius s’avancent ceints de peaux, selon l’usage, des flambeaux à la main. On recommence à manger; le second service apporte des mets agréables; et les autels se couvrent de bassins chargés d’offrandes. Alors les Saliens se rangent pour chanter autour des autels illuminés, les tempes couronnées de peuplier. D’un côté le chœur des jeunes gens, de l’autre celui des vieillards entonnent l’éloge d’Hercule et ses hauts faits: comment il étouffa de sa main ses premiers monstres, les deux serpents de sa marâtre; comment le même héros renversa les villes guerrières de Troie et d’Œchalie; comment il endura mille rudes épreuves sous le roi Eurysthée, par la volonté de l’injuste Junon: «Ô invaincu, tu immoles de ta main les fils de la Nue, à la fois hommes et chevaux, Hylée et Pholus, et le monstre de Crète, et le vaste lion de la roche Némée. C’est toi qui as fait trembler les marais du Styx, le portier de l’Orcus couché sur des os à demi rongés dans son antre sanglant; et aucune race de monstre ne t’a effrayé, pas même Typhée qui brandit ses armes du haut de sa grande taille. Ta raison n’a pas failli quand l’Hydre de Lerne t’a entouré de son armée de têtes. Salut, vrai rejeton de Jupiter, une gloire de plus parmi les dieux. Sois-nous propice et, d’un pied favorable, viens à ce sacrifice en ton honneur!» Ils célèbrent Hercule en chantant ainsi; ils redisent surtout la caverne de Cacus et Cacus respirant du feu. Tout le bois en résonne et l’écho s’en répercute dans les collines.

Ensuite, la cérémonie achevée, tous retournent à la ville. Le roi, alourdi par l’âge, s’appuyait en marchant sur Énée et sur son fils; et la variété de son entretien rendait la route légère. Énée promenait sur tout le paysage des regards complaisants; il en admirait la beauté captivante; il demandait et entendait avec joie l’histoire de ce qui restait du passé. Et le roi Évandre, fondateur de la citadelle romaine, lui disait: «Ces bois, les Faunes et les Nymphes indigènes les occupaient et une race humaine née du tronc dur des chênes: elle n’avait ni règles morales ni culture; elle ne savait ni mettre sous le joug les taureaux, ni amasser des provisions, ni ménager les biens acquis. Mais ils se nourrissaient du fruit des arbres et d’une pénible chasse. Le premier, Saturne vint de l’Olympe éthéré, fuyant la victoire de Jupiter, exilé privé de son royaume. Il rassembla ces hommes indociles et dispersés sur les hautes montagnes, leur donna des lois et choisit le nom de Latium pour le pays où il s’était caché (latuisset) en sûreté. On appelle âge d’or les siècles durant lesquels il fut roi: il gouvernait ainsi les peuples dans la tranquillité et la paix. Mais peu à peu à cet âge en succéda un autre, terne et de métal moins pur, avec la rage de la guerre et la fureur de posséder. Alors une troupe d’Ausonie, des peuples de Sicile survinrent; et la terre de Saturne changea plusieurs fois de nom. Elle eut des rois et l’âpre Thybris à l’énorme corps, en mémoire de qui, plus tard, Italiens, nous avons appelé le fleuve Tibre: la vieille Albula perdit son vrai nom. Chassé de ma patrie, parcourant les mers lointaines, la toute-puissante Fortune et l’inéluctable destinée m’ont fixé ici où me poussaient les ordres redoutables de ma mère, la Nymphe Carmentis et le dieu qui l’inspirait, Apollon.»

Il dit; puis, en avançant, il montre l’autel et la porte que les Romains, en souvenir, ont nommée Carmentale, antique honneur rendu à la nymphe Carmentis, la prophétesse dont les prédictions annoncèrent, les premières, l’avenir des grands Énéades et la gloire de Pallantée; puis il montre le vaste bois sacré que l’impétueux Romulus appela Asyle, et sous la roche glacée le Lupercal ainsi nommé de Pan Lycéen, selon la mode arcadienne. Il leur montre encore le bois sacré d’Argilète, prend le lieu à témoin et raconte la mort (letum) de son hôte, Argus. Puis il les conduit à la roche Tarpéienne et au Capitole, aujourd’hui étincelant d’or, jadis hérissé de ronces et de broussailles. Déjà les pâtres craintifs y éprouvaient une terreur superstitieuse; déjà cette forêt et cette roche les faisaient trembler. «Ce bois, dit-il, cette colline à la verte crête sont habités par un dieu. Lequel? On ne sait. Les Arcadiens croient y avoir vu Jupiter en personne, souvent, secouant de sa droite la noire égide et assemblant les nuages. Tu vois maintenant les ruines dispersées de ces deux fortifications: ce sont les restes de monuments d’autrefois. Celle-ci fut élevée par le divin Janus, celle-là par Saturne. La première s’appelait Janicule; la seconde, Saturnie.»

En parlant ainsi ils s’approchaient de la demeure du pauvre Évandre; et ça et là, ils voyaient de grands troupeaux mugir sur le forum romain et dans le riche quartier des Carènes. Lorsqu’ils arrivèrent à la maison: «Alcide, après sa victoire, dit-il, a franchi ce seuil; ce palais l’a reçu. Prends sur toi, mon hôte, de mépriser les richesses; toi aussi montre-toi digne d’un dieu; entre et sois indulgent à notre pauvreté.» Il dit, et dans son étroite demeure il introduisit le grand Énée et lui offrit pour se coucher un lit de feuillage et la peau d’une ourse de Libye.