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La nuit tombe et embrasse la terre de ses sombres ailes. Cependant Vénus, dont l’âme maternelle, justement effrayée, redoute les menaces des Laurentes, émue par l’âpre tumulte de la guerre, s’adresse à Vulcain et, sur la couche d’or de son mari, répand dans ses paroles un divin amour. «Aussi longtemps que les rois argiens ravageaient Pergame condamnée par les destins et des citadelles qui devaient s’écrouler dans les flammes ennemies, je ne t’ai demandé pour les malheureux Troyens ni secours ni armes, rien de toi, mon époux bien-aimé; je n’ai pas voulu te harceler ni te faire travailler en vain, bien que les fils de Priam eussent droit à ma reconnaissance et que les dures épreuves d’Énée m’eussent souvent tiré des larmes. Maintenant, mon fils s’est arrêté sur l’ordre de Jupiter au pays des Rutules; et cette fois en suppliante, je viens demander à ta volonté divine qui m’est sacrée des armes; mère, je t’implore pour mon fils. La fille de Nérée, la femme de Tithon, ont pu te fléchir par leurs larmes. Vois les peuples qui se liguent, les cités qui ont fermé leurs portes et aiguisent le fer contre moi, pour la perte des miens.»

Elle dit, et comme il hésite, elle lui jette autour du cou ses bras de neige et l’enveloppe de sa tiède et molle étreinte. Il se sent tout à coup envahi de la flamme accoutumée; un feu qu’il connaît bien a pénétré ses moelles et couru par ses membres pleins de langueur. Ainsi parfois, quand le tonnerre éclate, le sillon enflammé de l’éclair parcourt les nuages de son étincelante lumière. L’épouse s’en est bien aperçue, heureuse de son adresse, consciente de sa beauté. Alors le dieu, enchaîné par l’éternel amour, lui dit: «Pourquoi chercher si loin des raisons? Ai-je perdu ta confiance, déesse? Si jadis tu avais eu le même souci, il m’eût été permis, même alors, d’armer les Troyens. Ni le Père tout puissant ni les destins ne défendaient que Troie résistât et que Priam survécût encore dix ans. Maintenant si tu prépares la guerre, si c’est là ton intention, tout ce que je puis promettre de travail dans mon art, tout ce que peut donner la fonte du fer et de l’électre, tout ce que mes forges et mes soufflets sont capables de produire, tu l’auras. Cesse de me prier: tu n’as pas à douter de ta force.» Ces mots prononcés, il lui donna les embrassements qu’elle désirait; et, couché sur le sein de son épouse, il fut gagné par un tranquille sommeil qui se répandit dans tout son corps.

Mais déjà la nuit s’en allait, ayant accompli la moitié de sa course, et, pour ceux qui reposaient, avait chassé le sommeil. C’était l’heure où la femme, qui n’a pour vivre que son fuseau et de maigres travaux minerviens, ranime la cendre et la braise assoupie, et, ajoutant la nuit aux besognes du jour, active à la lumière ses servantes avec leurs longs écheveaux de laine, afin de conserver chaste le lit du mari et d’élever ses petits enfants: aussi vite qu’elle le dieu du feu, l’Ignipotent, se lève d’une couche voluptueuse pour aller à ses œuvres de forgeron.

Une île se dresse entre le rivage de Sicile et l’Éolienne Lipari, abrupte, aux rocs fumants. Sous ces rocs, un antre et des cavernes que les foyers des Cyclopes ont rongées, toutes pareilles à celles de l’Etna, font un bruit de tonnerre; on entend des coups rudes et le gémissement des enclumes, l’éclat strident et souterrain des masses de fer des Chalybes, le halètement du feu dans les fournaises: c’est la demeure de Vulcain, et la terre se nomme la Vulcanie. C’est là que l’Ignipotent descend alors des hauteurs du ciel. Dans un antre immense, les Cyclopes, Brontès et Stéropès et Pyracmon tout nu, travaillaient le fer. Ils avaient façonné et poli en partie un de ces foudres que le Père des dieux lance si souvent de tous les points du ciel sur la terre; l’autre partie restait inachevée. Ils y avaient ajouté trois rayons de grêle, trois de pluie, trois de feu rutilant et trois de rapide Auster; maintenant ils mêlaient à leur ouvrage les éclairs terrifiants, le fracas, l’épouvante et la colère aux flammes dévorantes. D’un autre côté, on se hâtait de forger pour Mars le char et les roues ailées dont le bruit réveille et excite les hommes et les villes. On s’empressait aussi de polir une horrifique égide, l’arme de Pallas en fureur, les écailles d’or des serpents, les reptiles entrelacés et, sur la poitrine de la déesse, la Gorgone elle-même tournant encore les yeux dans sa tête tranchée. «Enlevez tout, dit Vulcain; emportez ces ouvrages commencés, Cyclopes de l’Etna, et écoutez-moi bien. Il faut faire des armes pour un fier guerrier. Maintenant on a besoin de vos forces, et de vos mains rapides, et de toute votre maîtrise: pas de retard.» Il ne leur en dit pas plus; tous rapidement, ils se courbèrent sur les enclumes, chacun avec sa part égale de travail. L’airain et l’or ruissellent; l’acier meurtrier se liquéfie dans une vaste fournaise. Ils façonnent un énorme bouclier qui, à lui seul, protégerait de tous les traits des Latins. Ils y appliquent en les emboîtant sept lames circulaires. Les uns reçoivent et renvoient l’air avec des soufflets qui font le bruit des vents; les autres trempent dans un bassin l’airain qui siffle. L’antre gémit sous le poids des enclumes. Les bras soulevés d’un puissant effort retombent en cadence et retournent la masse avec de mordantes tenailles.

Pendant que le dieu de Lemnos hâte son ouvrage aux bords éoliens, la bonne lumière du jour et le chant matinal des oiseaux sous le toit de chaume appellent Évandre hors de son humble demeure. Le vieillard se lève, revêt sa tunique, entoure ses pieds des courroies tyrrhéniennes. Puis il suspend à son épaule et à son côté l’épée d’Arcadie, ramenant en arrière la peau de panthère qui tombait sur son bras gauche. Deux chiens de garde sortent les premiers du haut seuil et accompagnent les pas de leur maître. Il se dirigeait vers le logement isolé de son hôte troyen, car le héros n’oubliait pas leurs entretiens et le secours qu’il lui avait promis. Énée, aussi matinal, s’avançait vers lui. L’un venait avec son fils Pallas, l’autre avec Achate. Ils s’abordent, se serrent les mains et, assis dans la cour intérieure de la maison royale, ils goûtent enfin le plaisir de s’entretenir librement. Le roi prend la parole: «Grand chef des Troyens, -jamais, toi vivant, je ne reconnaîtrai que Troie et son royaume ont été vaincus, – nos forces sont bien modestes pour le secours que tu attends de nous dans la guerre et pour un nom tel que le tien: d’un côté le fleuve toscan nous enferme; de l’autre, le Rutule nous presse et entoure nos murs d’un bruit d’armes. Mais je me prépare à te rallier des peuples considérables et les camps d’un opulent royaume: un hasard inespéré t’offre le salut. C’est bien ici que te voulaient les destins. Non loin de nous, fondée sur un antique roc, est assise la ville d’Agylla où jadis la nation lydienne, illustre à la guerre, s’établit parmi les collines étrusques. Florissant durant de longues années, le roi Mézence la tint ensuite sous son insolente domination et sous ses armes cruelles. Te raconterai-je ses monstrueuses tueries? Ses actes sauvages de tyran? Que les dieux les fassent retomber sur lui et sur sa race! Il allait jusqu’à lier des vivants à des corps morts, mains contre mains, bouche contre bouche, et ces suppliciés d’un nouveau genre, ruisselant de sanie et de sang corrompu, dans ce misérable accouplement, mouraient lentement. Mais enfin, excédés de ces furieuses démences, les citoyens s’arment, l’assiègent lui et sa maison, massacrent ses compagnons, jettent l’incendie sur son toit. Lui, il échappe au carnage, se réfugie sur le territoire des Rutules; et Turnus défend son hôte par les armes. Dans sa juste fureur l’Étrurie s’est dressée tout entière. Ses peuples, impatients d’être en guerre, réclament le roi et son supplice. C’est à ces milliers d’hommes, Énée, que je vais te donner comme chef. Leur flotte pressée tout le long du rivage frémit et exige le signal du départ. Un vieil aruspice les retient par cet oracle. «Ô élite de la jeunesse méonienne, fleur et vertu des hommes d’autrefois, qu’un juste ressentiment emporte contre l’ennemi et dont Mézence mérite la haine enflammée, il n’est permis à aucun Italien de tenir sous ses ordres une aussi grande nation que la vôtre. Élisez des chefs étrangers.» Alors l’armée étrusque s’est arrêtée dans cette plaine, effrayée par les avertissements des dieux. Tarchon lui-même m’a envoyé des ambassadeurs et la couronne avec le sceptre; il me fait remettre les insignes royaux, me demandant de venir au camp et de prendre le commandement du peuple tyrrhénien. Mais engourdie par les glaces de l’âge, fatiguée par les années, ma vieillesse me refuse cette charge; et les hauts faits défient mes forces. J’y encouragerais mon fils, si d’un sang mêlé, né d’une mère sabellienne, par là il ne tenait à la patrie italienne. Toi, dont l’âge et la race répondent à la volonté des destins, toi que les puissances divines appellent, va donc, chef vaillant des Troyens et des Italiens. Je t’adjoindrai un compagnon, mon espoir et ma consolation, Pallas. Qu’il s’accoutume sous tes ordres au dur métier des armes et aux lourds travaux de Mars: qu’il voie tes exploits et que dès ses jeunes années il t’admire. Je lui donnerai deux cents cavaliers arcadiens, toute la force et l’élite de notre jeunesse, et il t’en amènera autant en son nom.»