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Il avait ainsi parlé; Énée, fils d’Anchise, et le fidèle Achate tenaient leurs yeux baissés, pensant dans leur cœur triste à beaucoup de choses dures; mais Cythérée leur fit un signe dans le ciel découvert. Un éclair jaillit à l’improviste de l’éther avec un grand bruit; soudain, tout parut s’écrouler; une éclatante sonnerie de la trompette tyrrhénienne mugit dans les airs. Ils lèvent la tête: à deux reprises un énorme fracas d’armes retentit. Ils voient entre les nuages, dans une région sereine du ciel et dans un clair azur, des armes resplendir et s’entrechoquer comme un tonnerre. Évandre et Pallas étaient frappés de stupeur; mais le héros troyen reconnut le bruit et les promesses de sa mère divine, et dit: «Ne cherche pas, mon hôte, de quel événement ce prodige porte l’annonce: sûrement, c’est moi que l’Olympe réclame. Ma divine mère m’a prédit qu’elle m’enverrait ce signal si la guerre commençait et qu’elle m’apporterait à travers les airs le secours d’armes forgées par Vulcain. Hélas, que de carnages attendent les malheureux Laurentes! Quel châtiment tu recevras de ma main, Turnus! Que de boucliers et de casques et de robustes corps tu rouleras dans tes eaux, ô Tibre, ô Père! Qu’ils demandent des armées rangées en bataille et qu’ils rompent les traités!»

Cela dit, il descend de son trône élevé et commence par réveiller sur les autels assoupis les feux d’Hercule, et joyeux il aborde le dieu Lare et les humbles Pénates de la veille. Et tous immolent des brebis choisies selon l’usage, aussi bien Évandre que la jeunesse troyenne. Puis de là Énée retourne à ses navires, revoit ses compagnons et choisit parmi eux, pour le suivre à la guerre, les plus remarquables par leur courage. Les autres, portés par l’eau qui court, descendent sans ramer le cours du fleuve, chargés d’annoncer à Ascagne les nouvelles des événements et de son père. Les Troyens qui vont gagner le pays tyrrhénien reçoivent des chevaux; on en amène un à Énée, qui n’a pas été tiré au sort et que caparaçonne entièrement une fauve peau de lion brillante, aux ongles d’or.

Le bruit court et se répand tout à coup parmi la petite ville: la cavalerie va rapidement partir vers les rivages du roi tyrrhénien. Les mères effrayées redoublent de prières; leur crainte se rapproche du danger; déjà l’image de Mars grandit à leurs yeux. Alors Évandre, saisissant la main de son fils qui s’en va, la presse et, sans pouvoir arrêter ses larmes, lui dit: «Oh! si Jupiter me rendait mes années passées! Si j’étais encore l’homme qui, sous Préneste même, pour la première fois, a taillé en pièces une armée, a brûlé, vainqueur, les amoncellements de boucliers et, de cette main, envoyé au Tartare le roi Érylus que sa mère Féronie avait à sa naissance gratifié de trois âmes (chose horrible): il fallait culbuter trois armures, il fallait l’étendre mort trois fois; et pourtant ce bras lui a arraché ses trois âmes et l’a dépouillé d’autant d’armures. Alors aucune violence ne m’enlèverait à tes doux embrassements, mon fils; et jamais Mézence m’insultant, moi son voisin, n’eût fait avec son épée tant de cruelles funérailles et n’eût dépeuplé sa ville de tous ces citoyens. Mais vous, ô dieux, et toi, le grand maître des dieux, Jupiter, ayez pitié, je vous en prie, du roi des Arcadiens; écoutez mes prières paternelles. Si votre volonté, si les destins doivent me rendre Pallas sain et sauf, si je dois le revoir, si nous devons nous retrouver réunis, accordez-moi de vivre; j’accepte d’endurer n’importe quelle souffrance. Mais, ô Fortune, si tu me menaces de quelque accident indicible, maintenant – oui, maintenant – laisse se rompre une vie qui me serait trop cruelle, tandis que mes appréhensions hésitent, que l’attente de l’avenir est incertaine, que je te tiens dans mes bras, cher enfant, ma seule et tardive joie, avant qu’aucun message accablant ne vienne blesser mes oreilles.» Ce furent au départ les suprêmes adieux du père; il s’évanouit, et ses serviteurs l’emportèrent chez lui.

Déjà, les portes ouvertes, la cavalerie était sortie; Énée et le fidèle Achate s’avançaient au premier rang; puis les autres seigneurs troyens. Pallas lui-même, au milieu de la colonne, se faisait remarquer par sa chlamyde et ses armes peintes. Ainsi, tout humide de l’Océan, Lucifer, que Vénus préfère à tous les autres feux du ciel, lève dans le firmament sa tête sacrée et dissipe les ténèbres. Debout, tremblantes, sur les murs les mères suivent des yeux le nuage de poussière et les scintillements des escadrons d’airain. Ils vont en armes par les raccourcis à travers les broussailles; un cri part; les rangs se forment; les sabots des quadrupèdes martèlent le sol poudreux de la plaine.

Il y a près du fleuve dont les fraîches eaux baignent Céré un bois immense, sanctifié au loin par la religion de nos pères. De tous côtés les collines l’enferment comme un vallon et lui font une ceinture de noirs sapins. On dit que les vieux Pélasges, qui jadis furent les premiers occupants du territoire latin, l’avaient consacré avec un jour de fête à Silvain, dieu des champs et des troupeaux. Non loin de là Tarchon et les Tyrrhéniens avaient assis leur camp que la position fortifiait; et de la haute colline on pouvait voir toute leur levée de troupes et leurs tentes dans la vaste plaine. Énée et la jeune élite guerrière entrent sous ce bois et, fatigués, se reposent, eux et leurs montures.

Vénus, cependant, qui avait traversé toute brillante les nuages éthérés, était là avec ses présents. Elle vit à l’écart, au fond de la vallée, son fils, séparé de ses compagnons, sur le frais rivage du fleuve et lui adressa ces mots en se montrant à lui: «Voici ce qu’a fait mon époux, l’œuvre d’un art que je t’avais promis; n’hésite pas, mon fils, à défier bientôt au combat les superbes Laurentes et l’impétueux Turnus.» Ainsi parle la Cythérée et elle vient embrasser son fils et déposer en face de lui, sous un chêne, les armes flamboyantes.

Lui, heureux des présents de sa mère et d’une telle magnificence, n’en pouvait rassasier ses yeux; il les parcourait l’un après l’autre; il admirait et retournait dans ses mains, entre ses bras, la terrible aigrette et le casque aux flammes menaçantes; l’épée chargée de mort; l’épaisse cuirasse d’airain, d’un rouge de sang, énorme, pareille à la nuée d’azur embrasée d’un soleil dont elle projette au loin les rayons; les cuissards polis, d’électre et d’or deux fois forgés; et la lance et le bouclier à l’indescriptible contexture.