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Sur ce bouclier l’Ignipotent, qui n’ignorait pas les prophéties et qui savait l’avenir, avait gravé l’histoire de l’Italie et les triomphes romains. On y voyait toute la race des futurs descendants d’Ascagne et leurs guerres successives. Dans l’antre verdoyant de Mars, la louve, qui venait de mettre bas, y était représentée; les deux enfants jouaient pendus à ses mamelles et tétaient leur nourrice sans trembler. Elle, la tête mollement tournée vers eux, les caressait l’un après l’autre et façonnait leurs corps en les léchant. Non loin de là, c’était Rome et les Sabines indignement enlevées dans l’hémicycle, au milieu des Grands Jeux du Cirque; puis la guerre tout à coup surgie entre les Romulides et le vieux Tatius, roi des austères Sabins de Cures; puis, ayant mis fin à leurs luttes, les mêmes princes, debout en armes devant l’autel de Jupiter, tenaient une coupe et scellaient leur alliance dans le sang d’une truie. Tout près, de rapides quadriges en sens contraire écartelaient Mettus (que ne restais-tu fidèle à ta parole, Albain!); Tullus traînait les entrailles du perfide à travers la forêt, et les buissons arrosés dégouttaient de sang. Ailleurs Porsenna enjoignait aux Romains de recevoir Tarquin, qu’ils avaient chassé, et tenait la ville sous la pression d’une immense armée; mais les descendants d’Énée se ruaient aux armes pour la liberté; et vous auriez vu Porsenna pareil à celui qui s’indigne et qui menace, parce que Coclès osait rompre le pont et Clélie, brisant ses chaînes, traverser le fleuve à la nage.

Au sommet du bouclier, le gardien de la roche Tarpéienne, Manlius, debout devant le temple, occupait le haut du Capitole; et la cabane royale de Romulus se hérissait d’un chaume qu’on venait de renouveler. Là, une oie d’argent, battant des ailes sous un portique d’or, annonçait la présence des Gaulois au seuil de la ville. Les Gaulois étaient là au milieu des broussailles et cherchaient à occuper la citadelle, protégés par les ténèbres à la faveur d’une nuit opaque. Leur chevelure était d’or et d’or leur vêtement; leurs sayons, rayés de bandes luisantes. Leurs cous blancs comme du lait étaient cerclés d’or; chacun d’eux fait miroiter à sa main deux javelots des Alpes; et de longs boucliers protègent leur corps. Là encore, Vulcain avait figuré les danses bondissantes des Saliens, les Luperques nus et les aigrettes de laine et les anciles tombés du ciel; les chastes matrones, dans leurs souples carrosses, conduisaient par la ville les images sacrées. Plus loin, c’est le séjour du Tartare, les profondeurs de Pluton, les châtiments des scélérats et toi, Catilina, que menace le rocher où tu es suspendu et que les Furies épouvantent. Les justes sont à part et Caton leur donne des lois.

Au centre, la mer se gonflait à perte de vue, sur fond d’or; mais les vagues, d’un bleu sombre, dressaient leur crête blanchissante d’écume. De clairs dauphins d’argent, qui nageaient en rond, balayaient de leurs queues la surface des eaux et fendaient les remous. Au milieu on pouvait voir les flottes d’airain, la bataille d’Actium, tout Leucate bouillonner sous ces armements de guerre, et les flots resplendir des reflets de l’or. D’un côté César Auguste entraîne au combat l’Italie avec le Sénat et le peuple, les Pénates et les Grands Dieux. Il est debout sur une haute poupe; ses tempes heureuses lancent une double flamme; l’astre paternel se découvre sur sa tête. Non loin, Agrippa, que les vents et les dieux secondent, conduit de haut son armée; il porte un superbe insigne de guerre, une couronne navale ornée de rostres d’or. De l’autre côté, avec ses forces barbares et sa confusion d’armes, Antoine, revenu vainqueur des peuples de l’Aurore et des rivages de la mer Rouge, traîne avec lui l’Égypte, les troupes de l’Orient, le fond de la Bactriane; ô honte! sa femme, l’Égyptienne, l’accompagne. Tous se ruent à la fois, et toute la mer déchirée écume sous l’effort des rames et sous les tridents des rostres. Ils gagnent le large; on croirait que les Cyclades déracinées nagent sur les flots ou que des montagnes y heurtent de hautes montagnes, tant les poupes et leurs tours chargées d’hommes s’affrontent en lourdes masses. Les mains lancent l’étoupe enflammée; les traits répandent le fer ailé; les champs de Neptune rougissent sous ce nouveau carnage. La Reine, au milieu de sa flotte, appelle ses soldats aux sons du sistre égyptien et ne voit pas encore derrière elle les deux vipères. Les divinités monstrueuses du Nil et l’aboyeur Anubis combattent contre Neptune, Vénus, Minerve. La fureur de Mars au milieu de la mêlée est ciselée dans le fer, et les tristes Furies descendent du ciel. Joyeuse, la Discorde passe en robe déchirée, et Bellone la suit avec un fouet sanglant. D’en haut, Apollon d’Actium regarde et bande son arc. Saisis de terreur, tous, Égyptiens, Indiens, Arabes, Sabéens, tournaient le dos. On voyait la Reine elle-même invoquer les vents, déployer ses voiles, lâcher de plus en plus ses cordages. L’Ignipotent l’avait montrée, au milieu du massacre, emportée par les flots et l’Iapyx, toute pâle de sa mort prochaine. En face, douloureux, le Nil au grand corps, ouvrant les plis de sa robe déployée, appelait les vaincus dans son sein azuré et les retraites de ses eaux.

César cependant, ramené dans les murs de Rome par un triple triomphe, consacrait aux dieux italiens, hommage immortel, trois cents grands temples dans toute la ville. Les rues bruissaient de joie, de jeux, d’applaudissements. Tous les sanctuaires ont un chœur de matrones; tous, leurs autels; et devant ces autels les jeunes taureaux immolés jonchent la terre. Auguste, assis sur le seuil de neige éblouissant du temple d’Apollon, reconnaît les présents des peuples et les fait suspendre aux opulents portiques. Les nations vaincues s’avancent en longue file, aussi diverses par les vêtements et les armes que par le langage. Ici Vulcain avait sculpté les tribus des Nomades et les Africains à la robe flottante; là, les Lélèges, les Carions et les Gelons porteurs de flèches; l’Euphrate roulait des flots apaisés; puis c’étaient les Morins de l’extrémité du monde, le Rhin aux deux cornes, les Scythes indomptés et l’Araxe que son pont indigne.

Voilà ce que sur le bouclier de Vulcain, don de sa mère, Énée admire. Il ne connaît pas ces choses; mais les images l’en réjouissent, et il charge sur ses épaules les destins et la gloire de sa postérité.

LIVRE IX

Et pendant que ces choses se passaient dans une partie lointaine de l’Italie, la Saturnienne Junon envoya du ciel Iris à l’audacieux Turnus. Il se trouvait que Turnus se reposait alors dans un vallon sacré sous le bois de son ancêtre Pilumnus. La fille de Thaumas lui dit de ses lèvres de rose: «Turnus, ce qu’aucun des dieux n’eût osé promettre à tes vœux, le cours du temps te l’a de lui-même apporté. Énée a quitté sa ville, ses compagnons, sa flotte; il a gagné le Palatin et la demeure du roi Évandre. Ce n’est pas tout: il a pénétré jusqu’aux villes de Gorythus les plus éloignées; il réunit et il arme une poignée de Lydiens, des paysans. Qu’attends-tu? Où sont tes coursiers? Où est ton char? Ne perds pas un instant; bouleverse et enlève le camp Troyen.»

Elle dit; les ailes toutes grandes, elle s’élève vers le ciel, et, dans sa rapide ascension, découpe sous les nues un arc immense. Le jeune homme l’a reconnue; il a levé ses deux mains vers les constellations et poursuit la fugitive de ces paroles: «Iris, charme du ciel, qui t’a envoyée du haut des nues et fait descendre pour moi sur la terre? D’où vient subitement cette clarté sereine? Je vois le milieu du ciel s’ouvrir et les étoiles errer sous sa voûte. J’obéis à de si grands présages, qui que tu sois qui m’appelles aux armes.» Ayant ainsi parlé, il s’approcha du fleuve, puisa à la surface de l’eau profonde une libation en adressant aux dieux force prières et chargea l’air de ses vœux.