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Il entend les chevaux; il entend le bruit et les appels de la poursuite. Peu après, une clameur arrive à ses oreilles; il aperçoit Euryale, qui, trahi par le terrain et la nuit, affolé par une attaque tumultueuse et soudaine, se débat vainement contre tout un détachement qui l’a surpris et qui l’entraîne. Que faire? Avec quelles forces, quelles armes délivrer son ami? Se jettera-t-il au milieu des ennemis pour mourir et hâtera-t-il par ses blessures une mort glorieuse? Le bras ramené en arrière, il brandit son javelot et, les yeux levés vers la Lune au haut du ciel, il lui adresse cette prière: «Ô déesse, sois-moi favorable, seconde mon entreprise, honneur des astres, gardienne des bois, fille de Latone. Si jamais mon père Hyrtacus a porté pour moi des offrandes à tes autels, si j’y ai moi-même ajouté celles de mes chasses, les suspendant à la voûte de ton temple ou les clouant à son fronton sacré, accorde-moi de jeter la panique dans ce peloton d’hommes et dirige mes traits à travers les airs.»

Il dit, et de tout son effort il lance le fer. Le javelot vole, fend les ombres de la nuit et vient, en face, se fixer dans le bouclier de Sulmon; là, il se brise, et, le bois s’étant fendu, il traverse le cœur. L’homme roule, vomissant un ruisseau de sang tiède, et, déjà froid, de longs râles secouent ses flancs. On regarde de tous les côtés. Et voici que, rendu plus audacieux, Nisus brandissait un autre trait à la hauteur de l’oreille. Pendant que les cavaliers s’agitent, le javelot part, siffle et transperce les deux tempes de Tagus et s’arrête, tiède de sang, au milieu du cerveau. Volcens enrage atrocement: il ne voit nulle part ni le bras qui a lancé ces traits ni sur qui déverser sa fureur. «Mais toi du moins, tu paieras de ton sang tout chaud la mort de ces deux hommes!» dit-il; et, l’épée à la main, il marchait sur Euryale. Alors terrifié, hors de lui, Nisus pousse un cri: il ne peut se cacher plus longtemps dans l’ombre ni résister à sa grande douleur: «Moi! Moi! C’est moi qui ai tout fait! Tournez vos armes contre moi, Rutules! C’est moi le coupable. Il n’a rien osé, rien pu faire. J’en atteste le ciel et les astres qui savent. Il a seulement trop aimé son malheureux ami.»

Il parlait ainsi, mais l’épée, poussée avec force, a traversé les côtes du jeune homme et rompt sa blanche poitrine. Euryale roule dans la mort; ses beaux membres sont baignés de sang, et sa tête défaillante retombe sur ses épaules. Ainsi une fleur éclatante, coupée par la charrue, languit et meurt ou, la tige lasse, les pavots courbent la tête sous la pluie lourde. Mais Nisus se rue au milieu des Rutules; il ne cherche que le seul Volcens; il ne s’attache qu’au seul Volcens. Les ennemis, serrés tout autour de lui et de près, cherchent à l’écarter; il n’en menace pas moins l’homme et fait tournoyer l’éclair de son épée jusqu’à ce qu’il la lui ait plongée, bien en face, dans sa bouche criante; il aura en mourant arraché la vie à son ennemi. Percé de coups, il se jette sur le corps sans vie d’Euryale, et c’est alors seulement qu’il trouve le repos et la tranquillité de la mort.

Couple heureux, si mes chants ont quelque pouvoir, jamais le temps ne vous effacera de la mémoire des âges, tant que la maison d’Énée occupera le roc immobile du Capitole et que le sénat romain aura l’empire du monde.

Les Rutules, en pleurs, que leur victoire a chargés de dépouilles et de butin, portent dans leur camp le cadavre de Volcens. Au camp, la désolation n’était pas moins grande: on a trouvé Rhamnès sans vie et d’autres chefs enveloppés dans le même massacre, Serranus et Numa. La foule s’attroupe autour de ces cadavres, de ces mourants, dans cet endroit où vient de se commettre un carnage encore chaud et où coulent à pleins bords des ruisseaux de sang qui écument. On se montre et on reconnaît parmi les dépouilles des deux Troyens le brillant casque de Messape et ses phalères recouvrées avec tant de peine.

Déjà l’Aurore, quittant la couche empourprée de Tithon, commençait à baigner la terre de lumière nouvelle; déjà le soleil brillait et les choses avaient repris leurs couleurs, quand Turnus, ceint lui-même de ses armes, appelle aux armes les guerriers; chacun des chefs range ses bataillons d’airain en ordre de bataille et, par tous les bruits qui courent, exaspère leur fureur. Bien plus, ils dressent sur des piques les têtes d’Euryale et de Nisus, pitoyable trophée, et les promènent en poussant de grands cris. Les durs compagnons d’Énée ont rangé leurs troupes sur les remparts à gauche (car la droite du camp est défendue par le fleuve). Ils commandent leurs énormes fossés et se tiennent au haut des tours, très inquiets, et en même temps très émus de voir les deux têtes qu’ils connaissaient trop bien, les malheureux! ruisseler d’un sang noir.

Cependant la Renommée, messagère aux ailes rapides, court à travers la cité épouvantée et touche les oreilles de la mère d’Euryale. Subitement la chaleur a quitté les os de la malheureuse; ses fuseaux lui sont tombés des mains, sa laine s’est déroulée. Elle s’élance, l’infortunée et, avec des hurlements de femme, s’arrachant les cheveux, démente, elle court d’abord aux remparts et au premier rang. Guerriers, dangers, projectiles, rien n’existe pour elle; mais elle remplit le ciel de ses plaintes: «Est-ce ainsi que je te revois, Euryale? Toi, ce tardif appui de ma vieillesse, tu as pu me laisser seule? Cruel! Il n’a même pas été donné à ta misérable mère de te dire adieu quand tu es allé à de si grands périls. Hélas, tu gis sur une terre inconnue, proie des chiens et des oiseaux du Latium; et moi, ta mère, je n’ai ni mené tes funérailles, ni fermé tes yeux, ni lavé tes blessures, ni couvert ton corps de ce tissu auquel, nuit et jour, je me hâtais de travailler pour toi et qui consolait mes soucis de vieille femme. Où te chercher! Quel coin de terre possède maintenant ton corps, tes membres arrachés, les lambeaux de ton cadavre? Ce que j’ai là devant les yeux, c’est donc tout ce que tu me rapportes de toi? Est-ce pour cela que j’ai traversé terres et mers? Percez-moi, si vous avez quelque pitié, Rutules; lancez sur moi tous vos traits: commencez par moi: que votre fer m’anéantisse! Ou toi, puissant père des dieux, prends-moi dans ta miséricorde; d’un éclat de ta foudre précipite au Tartare mon odieuse tête, puisque je ne puis rompre autrement une vie qui m’est à charge.» Ces sanglots ébranlaient les cœurs; la tristesse et les gémissements se communiquaient à tous les rangs; ils abattaient les courages, ils affaiblissaient les guerriers. Idæus et Actor, sur l’ordre d’Ilionée et d’Iule qui pleurait beaucoup, prennent la malheureuse, dont les lamentations enflammaient la douleur de tous, et la portent dans sa demeure.

Mais le clairon d’airain a fait retentir au loin son chant terrible. Une clameur lui répond et le ciel en mugit. Les Volsques, d’un même mouvement, ont formé la tortue et se hâtent; ils se préparent à combler les fossés, à arracher les palissades. Les uns cherchent un accès et des endroits où poser les échelles et escalader les murs, là où la ligne des troupes est moins dense et où les rangs ont le plus d’éclaircies. Les Troyens, de leur côté, font pleuvoir sur eux toute espèce de projectiles et les repoussent à grands coups d’épieux, en gens qu’une longue guerre accoutuma à défendre des remparts. Ils roulaient des rochers écrasants pour rompre à la première occasion cette voûte d’acier, cependant que les Latins n’en sont pas moins ardents à braver tous les chocs sous l’épaisse carapace de leur tortue. Mais ils ne peuvent plus tenir. Les Troyens, là où l’ennemi se ramasse et les menace, roulent et lâchent une masse monstrueuse qui écrase les Rutules, sur une large étendue, et brise leur toit de boucliers. Malgré leur audace, les Rutules en ont assez d’une lutte où l’on ne voit pas l’ennemi; et c’est avec des armes de jet qu’ils s’efforcent de chasser les Troyens de leurs retranchements. D’autre part Mézence, d’un horrible aspect, brandissait dans sa main étrusque un pin enflammé et lançait des flammes fumeuses. Messape, lui, dompteur de chevaux, fils de Neptune, détruit les palissades et demande des échelles pour les murs.