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Et voici une troupe qu’amène des rives de sa patrie Ocnus, fils de la prophétesse Manto et du fleuve Toscan. C’est lui, ô Mantoue, qui t’a donné tes murs et le nom de sa mère, Mantoue riche en aïeux, mais qui n’ont pas tous une commune origine; elle est la capitale de trois races dont chacune forme quatre peuples; et elle tire sa force du sang toscan. De là sortent cinq cents guerriers que la haine arme contre Mézence. La figure du Mincio, fils du Benacus, voilée de roseaux glauques, conduisait sur les îlots leur nef menaçante. Aulestès s’avance lourdement; cent rames se lèvent et frappent les eaux marmoréennes qui se retournent écumantes. Le monstrueux Triton le porte, épouvantant de sa conque les vagues azurées; de la tête à la ceinture son corps velu est d’un homme qui nage; son ventre se termine en baleine; l’onde écume et gronde sous sa poitrine à demi bestiale.

Ainsi toute cette élite de chefs, sur trente navires, allait au secours de Troie et fendait de leur airain les plaines salées.

Le jour avait déjà quitté le ciel et la bonne Phœbé frappait du sabot de ses chevaux nocturnes le milieu de l’Olympe. Énée, à qui les soucis ne laissaient aucun repos, assis à la barre, la dirigeait et manœuvrait les voiles. Et voici qu’à mi-route vient à sa rencontre le chœur de ses compagnes, les nymphes que la maternelle Cybèle avait, de navires qu’elles étaient, transformées en divinités marines; elles nageaient de front et fendaient les flots aussi nombreuses que jadis les proues d’airain qui s’alignaient sur le rivage. De loin elles reconnaissent leur roi et font des rondes autour de lui. Celle qui sait le mieux parler, Cymodocée, le suit, la main droite sur la poupe, le buste au-dessus de la mer, ramant de la main gauche dans l’eau silencieuse. Puis elle lui dit à lui qui ignore tout: «Fils des dieux, Énée, veilles-tu? Veille et lâche les cordages aux voiles. Nous sommes les pins du sommet sacré de l’Ida, aujourd’hui nymphes de l’océan, hier tes vaisseaux. Comme le perfide Rutule nous pressait du fer et de la flamme pour nous abîmer, nous avons, bien malgré nous, rompu les liens dont tu nous avais enchaînées; et nous te cherchons à travers les flots. La Mère eut pitié et nous a donné cette forme nouvelle; elle a fait de nous des déesses qui passeront leur vie sous les eaux. Cependant le jeune Ascagne est assiégé derrière son mur et ses fossés, au milieu des traits qui volent et des Latins hérissés d’armes. Déjà la cavalerie arcadienne mêlée aux courageux Étrusques occupe les postes qui lui ont été fixés. Turnus a l’idée très arrêtée de leur opposer ses escadrons pour empêcher qu’ils ne se joignent au camp troyen. Debout, et dès l’aurore, sois le premier à appeler tes alliés aux armes et prends l’invincible bouclier que t’a donné lui-même le Forgeron puissant et qu’il a entouré d’or. Demain, si mes paroles ne te semblent pas vaines, le soleil contemplera des monceaux énormes de Rutules massacrés.»

Elle dit et s’éloigne. Sa main droite a su donner une heureuse impulsion à la haute poupe qui fuit à travers les flots aussi rapide qu’un javelot ou qu’une flèche, l’égale du vent. Les autres navires accélèrent leur marche. Stupéfait, le Troyen, fils d’Anchise, ne comprend pas; mais ce présage le rend plus résolu; et brièvement, les yeux levés vers la voûte céleste, il fait cette prière: «Mère des dieux, bienfaisante Idéenne, qui chéris le mont Dindyme, les villes couronnées de tours et les lions attelés sous les rênes, sois maintenant pour moi le guide dans les combats; hâte, comme tu le peux, l’accomplissement de l’augure, et, d’un pied favorable, viens seconder les Phrygiens, ô déesse!» Il ne dit que ces mots. Pendant ce temps le jour revenu accourait avec sa pleine lumière et avait chassé la nuit. Énée commence par ordonner à ses compagnons de se grouper autour des enseignes, d’apprêter leurs armes et leur courage et de se disposer au combat.

Il a déjà sous les yeux les Troyens et son camp; debout sur la haute poupe, de sa main gauche il a levé dans l’air son bouclier radieux; du rempart dardanien monte une clameur vers le ciel; l’espoir s’ajoute à la fureur et l’exalte; les traits partent des mains: ainsi, sous de sombres nuages, les grues du Strymon annoncent la tempête, traversent l’air en nageant à grand bruit et fuient le Notus en criant leur joie.

Cependant le roi Rutule et les chefs ausoniens s’étonnent de l’attitude des assiégés jusqu’au moment où, regardant en arrière, ils aperçoivent les poupes tournées vers le rivage et toute la mer qui déferle avec la flotte. L’aigrette de son casque étincelle sur la tête d’Énée; la flamme s’échappe de son cimier; et son bouclier d’or vomit des torrents de feu. Ainsi parfois, dans la nuit limpide, lugubrement, des comètes rougissent d’une couleur de sang, ou l’ardent Sirius, qui apporte aux malheureux mortels la soif et les maladies se lève et attriste le ciel de sa lumière sinistre.

Mais l’audacieux Turnus n’en garde pas moins l’espoir de se rendre maître du rivage le premier et d’en écarter les nouveaux arrivants. [Hardiment il relève le courage des siens et les gourmande hardiment]: «Tout ce que vous avez souhaité est là: l’écrasement de l’ennemi, le corps à corps. Les braves ont Mars dans leurs mains. C’est le moment pour chacun de vous de penser à sa femme et à son foyer, c’est le moment de vous rappeler les hauts faits et la gloire de vos pères. Courons sans hésiter au rivage pendant qu’à la hâte et le pied mal assuré ils descendent à terre. La fortune sourit à l’audace. [Le lâche se fait obstacle à lui-même].» Il dit et se demande quels sont ceux qu’il mènera combattre et à quels hommes il confiera le siège du camp troyen.

Cependant Énée fait débarquer ses compagnons par des passerelles jetées des hautes poupes; un grand nombre observent le reflux de la vague mourante et d’un bond se confient aux bas-fonds; d’autres se laissent glisser le long des rames. Tarchon a vu un endroit du rivage où les bas-fonds ne bouillonnent pas, où la vague ne se brise ni ne se retire en clapotant, mais où le flux ne rencontre aucun obstacle et glisse sur le sable. Il y tourne soudain sa proue et adresse cet encouragement à ses compagnons: «Maintenant, ô guerriers d’élite, couchez-vous sur vos fortes rames; soulevez, enlevez vos vaisseaux; fendez de vos rostres cette terre méchante; que votre carène même y creuse un sillon. J’accepte que mon navire se brise en cet endroit pourvu seulement que j’y prenne terre.» Tarchon a parlé; ses compagnons se dressent sur leurs rames et font entrer leurs navires écumants dans les champs latins jusqu’à ce que leurs éperons mordent la terre sèche et que toutes les carènes y soient calées, intactes; mais non ta poupe, ô Tarchon! Elle a heurté le dos saillant d’un bas-fond; suspendue, elle oscille, tient bon un temps, fatigue l’assaut des vagues, puis s’ouvre et verse dans la mer ses hommes que les débris des rames et les bancs flottants des rameurs embarrassent, pendant que le flot qui se retire les repousse du rivage.

Turnus de son côté ne reste pas inactif. Il entraîne vivement toute l’armée dont il dispose contre les Troyens et s’établit en face d’eux sur la côte. Les clairons sonnent. Énée, le premier, s’est jeté à la rencontre de ces bandes paysannes: heureux présage! Il a terrassé les Latins en tuant Théron, le guerrier le plus grand de tous, qui avait osé prendre l’offensive et l’attaquer. À travers sa cotte de mailles et sa tunique toute rugueuse d’or, l’épée d’Énée lui a ouvert le flanc. De là il frappe Lichas, qui fut détaché du sein de sa mère morte déjà et qui te fut consacré, Phébus: à quoi lui servit d’échapper en naissant aux atteintes du fer? Un instant après, il a précipité dans la mort le dur Cissée et le monstrueux Gyas dont les massues abattaient des bataillons entiers: rien ne les a secourus, ni l’arme d’Hercule, ni la force de leurs bras, ni leur père Mélampus, compagnon d’Alcide tant que la terre lui proposa de rudes travaux. Voici Pharon et ses vaines jactances; Énée brandit son javelot et le lui plante dans sa bouche béante.