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«Maintenant, ô père, je reviens à toi et à l’objet de nos délibérations. Si tu ne vois plus aucun espoir à garder dans nos armes, si nous sommes abandonnés à ce point, si une seule défaite nous a perdus de fond en comble, si la Fortune nous a quittés sans retour, demandons la paix et tendons nos mains désarmées. Cependant, ah, s’il nous restait encore quelque chose de notre ancienne valeur! Pour moi, celui-là est heureux avant tous dans son malheur et supérieur par son courage, qui, plutôt que de voir un tel spectacle, est tombé mourant et a du même coup mordu la poussière. Mais s’il nous reste des ressources, une jeunesse encore intacte, le secours de villes et de peuples italiens, si d’autre part la gloire des Troyens leur a coûté des flots de sang, s’ils ont leurs morts comme nous, si l’ouragan a été égal pour tous, quelle raison aurions-nous de fléchir lâchement dès les premiers pas et de trembler dans nos membres avant d’entendre la trompette? Le temps et les vicissitudes des jours changeant ont souvent ramené le bonheur; souvent la Fortune, qui alterne ses visites, s’est jouée des hommes et après les avoir renversés les a remis debout. Nous n’aurons pas le secours de l’Étolien ni d’Arpi; mais Messape sera avec nous, et l’heureux Tolumnius et les chefs que nous ont envoyés tant de peuples; non, ce n’est pas une faible gloire qui attend l’élite du Latium et du territoire des Laurentes. Nous avons aussi pour nous Camille, du noble sang des Volsques: elle conduit sa troupe de cavaliers et des escadrons tout florissants d’airain. Et si je suis le seul que les Troyens appellent au combat, si cela vous plaît, si vous voyez en moi un si grand obstacle à l’intérêt commun, la Victoire ne m’a pas détesté et ne m’a pas fui au point que je refuse de tenter n’importe quoi pour une si belle espérance. Je marcherai de tout mon cœur contre l’ennemi, fût-il même supérieur au grand Achille, revêtu comme lui d’armes sorties des mains de Vulcain. Je vous ai voué ma vie, à vous et à mon beau-père Latinus, moi Turnus qui ne le cède en valeur à aucun des anciens héros! C’est moi seul qu’Énée défie? Qu’il me défie: je le lui demande. Ce n’est pas à Drancès, si la colère des dieux est contre nous, de les satisfaire par sa mort; s’il s’agit d’honneur et de gloire, ce n’est pas à lui de les recueillir.»

Ainsi les Latins se disputaient entre eux sur les périls publics. Cependant Énée quittait le camp et mettait son armée en marche. Voici qu’un messager se précipite dans le palais du roi, y déchaîne le tumulte et remplit la ville de grandes alarmes: les Troyens en ordre de bataille et l’armée tyrrhénienne sont descendus du Tibre et couvrent toute la plaine. Aussitôt le trouble s’empare des esprits; l’âme populaire est bouleversée; d’âpres aiguillons redressent les colères. On court, on veut s’armer, la jeunesse réclame en frémissant des armes, les vieillards consternés pleurent et se taisent; une grande clameur, faite de cris discordants, monte de toutes parts dans les airs. Tel, le bruit d’une troupe d’oiseaux qui s’est abattue sur un bois profond; tel encore le chant rauque des cygnes le long du courant poissonneux de la Paduse, parmi les bruyants marais. «Allons, dit Turnus, qui saisit l’occasion, réunissez le conseil et bien assis sur vos sièges faites l’éloge de la paix, citoyens! Les ennemis en armes se ruent sur le royaume.» Sans rien ajouter, il s’est élancé et rapide il est sorti du haut palais. «Toi, Volusus, dit-il, ordonne aux manipules des Volsques de s’armer; fais marcher aussi les Rutules; Messape et toi, Coras, avec ton frère, déployez la cavalerie en armes dans la vaste plaine. Qu’une partie des troupes fortifie les abords de la ville et garnisse les tours, et que le reste se porte en armes avec moi où je l’ordonnerai.»

En un moment de tous les points de la ville on vole aux remparts. Le roi Latinus lui-même abandonne le conseil et ses grands desseins et, bouleversé par ces tristes événements, les ajourne. Il s’adresse mille reproches pour n’avoir pas accueilli spontanément le Dardanien Énée et ne pas l’avoir associé à la ville en faisant de lui son gendre. Les uns creusent des fossés devant les portes; d’autres transportent des pierres et des pieux. Le rauque buccin donne le signal sanglant de la guerre. Les murs sont couronnés d’une foule confuse de femmes et d’enfants. Tous répondent à l’appel du danger suprême. Vers le temple et la haute citadelle de Pallas la reine monte dans un char, escortée d’un grand cortège de mères. Elle porte des présents; près d’elle, la jeune Lavinia, cause de tant de maux, tient ses beaux yeux baissés. Les femmes entrent au temple, y font des nuages d’encens et du seuil élevé prononcent ces paroles de deuiclass="underline" «Guerrière, arbitre des combats, vierge Tritonienne, brise de ta main les armes du bandit phrygien; étends-le lui-même sur le sol et couche-le sous nos hautes portes.»

Furieux, Turnus se ceint à la hâte pour le combat. Déjà, revêtu d’une cuirasse rutilante, il était hérissé d’écaillés d’airain et ses jambes étaient emprisonnées dans l’or des cuissards; le front encore nu, il avait suspendu son épée à son côté; il descendait à grands pas de la haute citadelle, resplendissant d’or; son cœur exulte; il se croit déjà en présence de l’ennemi. Ainsi, lorsque, ses liens rompus, le cheval enfin libre s’échappe de l’écurie et s’empare de la plaine ouverte; il court, tantôt vers les pâturages et les troupes de cavales, tantôt vers les eaux familières où il aime à se baigner; il bondit, frémissant, la tête dressée haut, dans sa force fougueuse; et sa crinière joue sur son cou et sur ses épaules. Au-devant de lui, suivie de la cavalerie des Volsques, Camille s’avance; elle a sauté de cheval aux portes mêmes; et tous ses cavaliers imitant leur reine se laissent glisser à terre de leurs montures. Alors elle dit: «Turnus, si le courage a le droit de compter sur lui-même, j’oserai, je te le promets, marcher contre l’escadron des Énéades, et seule j’affronterai les cavaliers tyrrhéniens. Accorde-moi de tenter les premiers périls de la guerre; pour toi, reste auprès des murs avec l’infanterie et veille sur les remparts.» Turnus, les yeux fixés sur la vierge avec un frisson sacré, répond: «Honneur de l’Italie, ô vierge, comment te rendre grâces et reconnaître tes services? Mais, puisque ton âme est au-dessus de tout, partage pour l’instant les travaux avec moi. Énée, si j’en crois le bruit qui court et les rapports des éclaireurs, acharné contre nous, a détaché en avant sa cavalerie légère qui doit battre la plaine. Lui-même, par les âpres solitudes de la montagne, dont il franchit la cime, s’approche de la ville. Je lui prépare une embuscade dans un chemin creux de la forêt: des soldats armés occuperont le défilé à la croisée de deux chemins. Toi, reçois le choc de la cavalerie tyrrhénienne en bataille rangée. Tu auras à tes côtés l’impétueux Messape, les escadrons latins, les troupes de Tiburtus: toi aussi, charge-toi des soucis du commandement.» Il dit; et il exhorte par de pareils discours Messape et les chefs alliés et il marche à l’ennemi.