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Il se trouvait que Chlorée consacré à Cybèle, et jadis son prêtre, se faisait remarquer et resplendissait au loin sous ses armes phrygiennes et pressait un cheval écumant caparaçonné d’une peau de bête, aux entrelacs d’or, où des écailles d’airain imitaient un plumage. Lui-même, brillant d’une pourpre étrangère et sombre, lançait d’un arc lycien des flèches de Gortyne. Un carquois d’or pendait à son épaule; il avait le casque d’or des prêtres devins; sa chlamyde jaune aux plis de lin bruissants était nouée d’une agrafe d’or; sa tunique et les braies qui recouvraient ses jambes à la mode barbare avaient été brodées à l’aiguille. La jeune fille, soit pour suspendre dans un temple des armes troyennes, soit pour se montrer parée de cet or conquis, suit comme à la chasse dans toute la mêlée le seul Chlorée, aveuglement imprudente, possédée d’une passion de femme pour cette proie et ces dépouilles. De son poste d’embuscade, Arruns saisit l’occasion et lance enfin son trait en adressant cette prière aux dieux d’en haut: «Le plus grand parmi les dieux, gardien du Soracte sacré, Apollon, toi que nous adorons plus que les autres peuples, toi pour qui nous entretenons la flamme des pins amoncelés et pour qui, confiants dans notre piété, nous tes adorateurs nous posons nos pieds nus sur des charbons ardents au milieu de vastes brasiers, donne-nous, père tout-puissant, d’abolir le déshonneur de nos armes. Je ne demande ni dépouilles ni trophée ni aucun butin de la vierge que je frapperai: c’est d’autres prouesses que j’attends la gloire; que ce sinistre fléau tombe sous mon trait et je consens à retourner inglorieux dans ma ville natale.» Phébus l’entendit; il lui accorda dans son esprit la moitié de son vœu, et laissa les airs légers en disperser l’autre. Il exauça son désir d’étendre à terre Camille surprise par le bouleversement subit de la mort; mais que sa haute patrie le vît de retour, il ne l’admit pas; et la tempête emporta ses dernières paroles dans les vents.

Donc, lorsque le javelot parti de la main d’Arruns eut sifflé par les airs, tous les Volsques attentifs tournèrent leurs yeux vers la reine. Camille n’a conscience de rien, ni du sifflement dans l’air, ni du trait qui vient à travers l’espace, et déjà le javelot atteint son but et s’enfonce dans son sein découvert, y pénètre profondément, boit son sang virginal. Ses compagnes éperdues accourent et soutiennent leur maîtresse qui tombe. Arruns épouvanté est le premier à fuir, avec un mélange de joie et de terreur: il n’ose plus se fier à sa lance et affronter les traits de la jeune fille. Ainsi le loup, avant que les traits ennemis le poursuivent, court aussitôt, par des chemins écartés, se cacher dans les hautes montagnes: il a tué un berger ou un grand taureau; il sait ce qu’il a eu l’audace de faire, et, repliant sous son ventre sa queue tremblante, il gagne les forêts. De même Arruns bouleversé s’est éloigné de tous les regards, et, satisfait d’avoir fui, s’est mêlé à la foule des combattants.

Camille mourante essaie d’arracher le trait avec sa main; mais la pointe de fer demeure entre les os, enfoncée jusqu’aux côtes dans une profonde blessure; elle s’affaisse privée de sang; la mort glace ses yeux défaillants; son visage si brillant naguère se décolore. Elle adresse alors ses dernières paroles à l’une de ses compagnes, Acca, qui lui était la plus fidèle, et avec qui elle avait coutume de partager ses soucis. «Jusqu’ici, Acca, ma sœur, lui dit-elle, les forces ne m’ont pas trahie; maintenant une cruelle blessure m’accable, et tout, autour de moi, s’assombrit et s’enténèbre. Fuis et porte à Turnus mes suprêmes recommandations: qu’il vienne combattre à son tour et qu’il écarte les Troyens de la ville. Adieu.» À ces mots elle abandonna les rênes et, malgré elle, glissa jusqu’à terre. Déjà froide elle se détache peu à peu de tout son corps; son cou flexible s’est penché; la mort a saisi sa tête; ses armes lui échappent et son âme irritée s’enfuit en gémissant chez les ombres. Alors s’élève une immense clameur qui frappe les astres d’or, et, Camille abattue, le combat redouble. Les forces troyennes, les chefs des Tyrrhéniens, les escadrons arcadiens d’Évandre se précipitent en rangs serrés.

Mais la sentinelle de Diane, Opis, depuis longtemps assise sur la haute crête des montagnes, regarde sans trouble les combats. Dès qu’elle vit de loin, au milieu de la clameur des combattants furieux, Camille frappée d’une triste mort, elle gémit et prononça du fond de sa poitrine: «Hélas, vierge, tu as payé d’un supplice cruel, trop cruel, l’audace d’avoir attaqué les Troyens! Les honneurs que, solitaire, tu as rendus à Diane sous nos halliers, le carquois que tu as porté comme nous sur ton épaule ne t’ont servi de rien. Cependant ta reine ne t’a pas abandonnée sans honneur dans l’extrémité de la mort; la gloire de ton trépas sera connue des nations, et on ne dira pas que tu n’as pas été vengée. Celui qui a violé ton corps d’une blessure paiera ce crime de sa vie, comme il est juste.» Au pied d’une haute montagne s’élevait le tombeau d’un antique Laurente, le roi Dercennus, un énorme amas de terre ombragé d’une épaisse yeuse. C’est là que tout d’abord, d’un élan rapide, se pose la belle déesse. Du haut du tertre elle épie Arruns. Dès qu’elle le vit resplendissant sous ses armes et enflé d’orgueil et de vanité: «Pourquoi, lui dit-elle, t’en vas-tu d’un autre côté? Tourne ici tes pas; viens ici chercher la mort; viens recevoir le digne prix du meurtre de Camille. Faut-il qu’un homme comme toi périsse sous les traits de Diane!» La Thrace parla ainsi et, tirant de son carquois d’or une flèche ailée, banda son arc avec colère. Elle le fait ployer jusqu’à ce que les deux extrémités se rejoignent et que ses deux mains, dans un égal effort, touchent l’une la pointe du fer, et l’autre la corde ramenée contre son sein. Aussitôt, et en même temps, Arruns entendit le sifflement du trait, la résonance de l’air, et le fer s’enfonça dans son corps. Pendant qu’il expire et pousse un dernier gémissement, ses compagnons insouciants l’abandonnent dans la poussière anonyme de la plaine. Opis remonte à tire-d’aile vers l’Olympe aérien.

Sa reine perdue, la cavalerie légère de Camille est la première à fuir; les Rutules fuient en désordre; et l’impétueux Atinas s’enfuit. Les chefs dispersés, les bataillons sans chefs, cherchent à se mettre en sûreté et, tournant bride, galopent vers les remparts. Personne n’a le pouvoir de soutenir le choc des Troyens ardents à la poursuite et porteurs de la mort, ni de les attendre de pied ferme. Tous se replient, leurs arcs détendus sur leurs épaules lasses; et le sabot de leurs montures, en un rapide galop, frappe la plaine poudreuse. Un tourbillon de poussière, comme un nuage noir, roule vers les murs, et du haut des tours les mères, se frappant la poitrine, poussent vers les astres du ciel leurs cris de femmes. Ceux qui, les premiers, dans leur course ont fait irruption par les portes ouvertes se trouvent écrasés sous une foule d’ennemis survenus et mêlés à leur débandade. Les malheureux n’échappent pas à la mort; mais aux portes de la ville, dans l’intérieur des remparts, jusque dans l’abri de leurs demeures, percés de coups ils rendent l’âme. Quelques-uns ferment les portes: ils n’osent ni ouvrir un passage à leurs compagnons ni les recevoir dans les murs malgré leurs prières. C’est l’occasion du plus misérable carnage, les uns défendant l’entrée les armes à la main, les autres se jetant sur ces armes. Devant la porte close, aux yeux de leurs parents en larmes, ceux-ci roulent dans les fossés à pic sous la poussée torrentielle de la foule; ceux-là, à bride abattue, se heurtent aveuglément, à la façon d’un bélier, contre les portes et la solide barrière de leurs montants. Du haut des murs les femmes à leur tour, prises d’une extrême émulation, – c’est le véritable amour de la patrie qui les inspire, – à la vue du corps de Camille, affolées, lancent une grêle de traits et, au lieu de fer, s’armant de bâtons en rouvre dur et d’épieux durcis à la flamme, elles accourent et brûlent de mourir les premières pour le salut des remparts.