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«Ah! comme les choses du commencement sont grandes! Il n’y a jamais de petitesses dans les commencements…»

«Une fois que nous nous étions retrouvés dans le jardin, et que je te reconduisais à la fin de l’après-midi, par les faubourgs… La route était si tranquille et silencieuse qu’il semblait que nos pas dérangeaient toute la nature. L’immobile tendresse ralentissait notre marche. Je me suis penché et je t’ai embrassée.»

– Là, dit-elle.

Elle posa son doigt sur son cou. Ce geste éclaira son cou comme un rayon.

– Peu à peu, le baiser devint plus profond. Il tourna autour de tes lèvres, s’y arrêta; la première fois en se trompant, la seconde en faisant semblant de se tromper… Je sentis peu à peu sous ma bouche.

Il parla tout bas:

– Ta bouche éclore, et s’épanouir…

Elle baissa la tête, et l’on voyait sa bouche, bouton de rose et de rosée.

– Tout cela, soupira-t-elle, revenant toujours à sa pathétique et douce préoccupation, était si beau, au milieu de la surveillance qui m’emprisonnait!…

Comme elle avait, inconsciemment ou non, besoin de l’excitation du souvenir! L’évocation des drames et des périls anciens déployait ses gestes, refaisait son amour. C’était pour cela qu’elle s’était toute racontée.

Et lui la poussait vers la tendre folie. L’enthousiasme premier renaissait, et maintenant leurs paroles cherchaient les plus vibrants souvenirs avant de se changer en choses.

– Ce fut triste quand, le lendemain du jour où tu fus à moi, je te revis chez toi, à une réception, – inaccessible, au milieu des gens. Maîtresse de maison accomplie aussi aimable pour l’un que pour l’autre, un peu timide, tu distribuais à chacun des paroles banales, tu prêtais vainement à tous – à moi comme aux autres – la beauté de ta figure.

«Tu avais cette robe verte, d’une couleur si fraîche, au sujet de laquelle on te plaisantait… Je me rappelais, tandis que tu passais et que je n’osais pas te suivre des yeux, combien nous avions été fous dans nos premiers transports; je me disais: «J’ai eu autour de mon cou l’énorme collier de ses jambes nues; j’ai tenu dans mes bras son corps souple et raidi; je l’ai caressée jusqu’au sang.» C’était un grand triomphe, mais ce n’était pas un triomphe calme, puisqu’à ce moment je te désirais et que je ne pouvais t’avoir. L’étreinte avait été, serait, sans doute, mais elle n’était pas, et bien que tout ton trésor fût à moi, j’étais pauvre en ce moment. Et puis, quand on n’a pas, qui sait si on aura encore!»

– Ah! non, – soupira-t-elle, dans une grandissante beauté de ses souvenirs, de ses pensées, de toute son âme, – l’amour n’est pas du tout ce qu’on dit! Moi aussi, j’étais secouée par des angoisses. Comme il a fallu que je me cache, dissimulant tout signe de bonheur, l’enfermant à la hâte dans mon cœur! Les premiers temps, je n’osais plus m’endormir de peur de prononcer ton nom en rêve, et souvent, secouant l’envahissement de la folie du sommeil, je m’accoudais, et j’étais là, à ouvrir les yeux, à veiller héroïquement sur mon cœur.

«J’avais peur d’être reconnue. J’avais peur qu’on vît la pureté dont j’étais baignée. Oui, la pureté. Quand, au milieu de la vie, on se réveille de la vie, qu’on voit un autre éclat dans le jour, qu’on recrée tout, j’appelle cela de la pureté.»

* * *

– Te rappelles-tu la course éperdue en fiacre, à Paris – le jour où il avait cru de loin nous reconnaître et qu’il était entré précipitamment dans une autre voiture qui s’était lancée à la poursuite de la nôtre?

Elle eut un sursaut d’émotion, d’extase.

– Oh oui, murmura-t-elle, c’était la grande fois!

Il parlait d’une voix tout à fait tremblante, d’une voix mêlée aux coups de son cœur, et son cœur disait:

– À genoux sur la banquette, tu regardais par la lucarne de derrière, tandis que je caressais ton corps, les mains en toi, et tu me criais: «Il approche! Il s’éloigne!… Il est perdu… Ah!»

Et d’un même, d’un seul mouvement, leurs lèvres se joignirent.

Elle dit, comme un souffle:

– C’est la seule fois que j’ai joui.

– Nous aurons toujours peur! dit-il.

Leurs paroles se rapprochaient les unes des autres, s’étreignaient, les mots changés en baisers, chuchotés par toute la chair. Il avait soif d’elle, il l’attirait, sa bouche l’appelait de toutes ses forces. Leurs mains étaient inertes, toute leur vie remontant à leurs lèvres. Et tout s’effaçait devant ce désir reconstruit par l’esprit du mal.

Oui, il leur avait fallu ressusciter leur passé pour s’aimer; il leur fallait, continûment, le rassembler par fragments pour empêcher leur amour de s’annihiler dans l’habitude, – comme s’ils subissaient, en ombre et en poussière, en ralentissement glacé, l’écrasement de la vieillesse et l’empreinte de la mort.

Ils se serraient. Les taches pâles de leurs figures se rejoignaient. Je ne les distinguais pas l’un de l’autre, mais il semblait que je les voyais de mieux en mieux, car j’apercevais le grand mobile profond de leur accouplement.

Ils s’enfermaient dans la nuit; ils tombaient, tombaient dans l’ombre, ce gouffre qu’ils avaient voulu; ils s’enlisaient dans ces ténèbres que, sur terre, ils avaient cherchées et suppliées.

Il balbutia:

– Je t’aimerai toujours.

Mais elle et moi nous sentons bien qu’il ment comme tout à l’heure; nous ne nous y trompons pas. Mais qu’importe, qu’importe!

Les lèvres sur les siennes, elle murmura comme une caresse aiguë dans la caresse:

– Tout à l’heure, il sera là.

Comme ils sont peu mêlés! Comme il n’y a vraiment que leur épouvante qui leur soit commune, et comme je comprends qu’ils l’attisent désespérément… Mais leur immense effort pour communier en quelque chose allait aboutir.

La femme, aux approches de la fête obscure, commençait à prendre une sublime importance, et son visage qui souriait et pleurait d’ombre s’emplissait de résignation et de souveraineté.

Il n’y a plus de paroles; celles-ci ont fait leur œuvre de renouveau… Ce sont les étreintes et la chair, la grande cérémonie de silence et d’ardeur qui s’ébauche; soupirs, gestes gauches, bruits humains d’étoffes.

Elle est debout, à présent; elle est à demi-dévêtue; elle est devenue blanche… Est-ce elle qui se dévêt, est-ce lui qui la dépouille des choses?… On voit ses cuisses larges, son ventre argenté dans la chambre comme la lune dans la nuit… Une grande ligne noire barre ce ventre; le bras de l’homme. Il la tient, la serre, cramponné sur le divan. Et sa bouche, à lui, est près de la bouche de son sexe, et ils se rapprochent pour un baiser monstrueusement tendre. Je vois le corps sombre agenouillé devant le corps pâle – et elle laisse tomber de grands regards sur lui…

Puis elle murmure, la voix radieuse:

– Prends-moi… Prends-moi encore une fois après tant d’autres fois. Mon corps est à moi et je te le donne. Non? Il n’est pas à moi. C’est pour cela que je te l’apporte avec tant de joie!