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Il ne put pas trouver un seul couteau aiguisé dans la desserte où étaient rangés les couteaux, aussi il appela Mary, et quand elle arriva, il lui dit ce qui se passait. Elle semblait si agitée et si misérable qu’il ne put résister au désir de savoir la vérité, et, comme étonné et blessé, il lui demanda:

– Tu veux dire que c’est toi, toi qui as fait ça?…

Elle l’interrompit:

– Oh! Joshua! j’avais si peur.

Joshua, après un moment, reprit, un air décidé sur son visage blême:

– Mary, dit-il, c’est ainsi que tu as confiance en moi? Je ne l’aurais pas cru.

– Oh! Joshua! cria-t-elle en le suppliant, pardonne-moi, et elle versa des larmes amères.

Joshua réfléchit un instant et dit:

– Je comprends maintenant. Il faut en finir avec tout cela, ou nous deviendrons tous fous. Il courut au salon:

– Où vas-tu? cria presque Mary.

Gerald intervint, disant qu’il n’était pas superstitieux au point d’avoir peur d’instruments émoussés, surtout quand il vit Joshua sortir de la porte-fenêtre, tenant à la main un grand couteau gourka qui, d’ordinaire, était posé sur la table du milieu – c’était un cadeau que son frère lui avait envoyé de l’Inde du Nord, un de ces grands couteaux de chasse utilisés dans les combats à l’arme blanche et qui avaient été si efficaces contre les ennemis des Gourkas loyaux, lors de leur mutinerie. Lourd, mais bien équilibré dans la main, il semblait léger, avec sa lame effilée comme un rasoir. Avec l’un de ces couteaux, un Gourka aurait pu couper un mouton en deux.

Quand Mary vit son époux sortir de la pièce l’arme à la main, elle se mit à crier dans un accès de frayeur, et les hystéries de la nuit passée revinrent immédiatement.

Joshua courut vers elle et, la voyant tomber, jeta le couteau et essaya de la rattraper.

Mais il intervint une seconde trop tard, et les deux hommes crièrent en même temps en voyant Mary affalée sur la lame nue.

Gerald, arrivé près d’elle, constata qu’en tombant la lame était restée en partie fichée dans l’herbe, et qu’elle avait entaillé la main gauche de Mary. Quelques-unes des petites veines de sa main étaient tranchées et le sang coulait librement de sa blessure. Pendant qu’il mettait un pansement, il fit remarquer à Joshua que l’anneau de mariage avait été coupé par l’acier.

Ils l’emportèrent, évanouie, dans la maison. Quand, après un certain temps, elle reprit conscience, son bras en écharpe, elle était apaisée et heureuse. Elle dit à son mari:

– La bohémienne était merveilleusement près de la vérité; trop près pour que la vraie chose puisse jamais arriver maintenant, chéri.

Joshua se pencha et embrassa la main blessée.

LES SABLES DE CROOKEN [10]

M. Arthur Fernlee Markam, qui loua la villa appelée La Maison Rouge au-dessus du village des Maisons-de-Crooken, était commerçant à Londres et, en véritable cockney, crut nécessaire, avant d’aller passer ses vacances d’été en Écosse, de s’habiller de pied en cap comme un chef de clan écossais tel qu’on en voit sur les gravures en couleurs et sur les scènes de music-hall. Il avait vu un jour, au Théâtre de l’Empire, le Grand Prince – «le Roi des Rastaquouères» faire un malheur en interprétant le rôle du «MacSlogan de MacSlogan» et chantant la célèbre chanson écossaise «Il n’y a rien comme le haggis [11] pour donner soif», et depuis ce jour il avait conservé en mémoire une fidèle image de cet aspect pittoresque et guerrier donné par le comédien. En fait, si l’on avait pu lire le fond de la pensée de M. Markam au sujet de son choix de l’Aberdeenshire comme station d’été, on aurait vu que, au premier plan de ce lieu de villégiature dessiné par son imagination, se profilait la figure colorée de MacSlogan, de MacSlogan [12]. Quoi qu’il en soit, la chance – au moins en ce qui concerne la beauté du paysage – le conduisit à choisir la baie de Crooken. C’est un joli endroit entre Aberdeen et Peterhead, juste au-dessus du rivage rocheux à partir duquel les récifs longs et dangereux, connus sous le nom des Éperons, s’étendent dans la mer du Nord. Entre ces récifs et Les Maisons-de-Crooken – un village abrité par les falaises du Nord – s’étendent la baie profonde et, derrière elle, une multitude de dunes couvertes d’arbustes inclinés où pullulent les lapins par milliers. À chaque extrémité de la baie s’avance un promontoire rocheux, et quand le soleil, à son lever ou à son coucher, éclaire les rochers de syénite rouge, l’effet est vraiment très beau. Le fond de la baie elle-même est constitué de sable plat, et, quand la marée se retire loin, elle laisse une étendue unie de sable dur sur lequel tranchent, ici et là, les lignes sombres des filets à pieux et les filets à nasse des pêcheurs de saumons. À l’une des extrémités de la baie se dessine un petit groupe, ou une grappe de rochers, dont les têtes émergent un peu au-dessus de la marée haute, sauf quand par gros temps les vagues les couvrent de leur masse verte. À marée basse, ils sont totalement exposés, dangereux sur cette partie de la côte est. Entre les rochers, qui sont distants d’à peu près cinquante pieds l’un de l’autre, se trouve en effet un petit espace de sables mouvants, qui, comme les Goodwins, est dangereux uniquement au moment de la marée montante. Il s’étend au large, jusqu’à ce qu’il se perde dans la mer, et vers le rivage, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans le sable dur de la plage supérieure. Sur la pente de colline qui domine les dunes, à mi-chemin entre les Éperons et le port de Crooken, se trouve La Maison Rouge. Elle se dresse au milieu d’un groupe de sapins qui la protègent sur trois côtés, laissant ouvert le front de mer. Un jardin bien entretenu comme un jardin de curé s’étend jusqu’à la route au-delà de laquelle un sentier herbeux, que peuvent emprunter les voitures légères, cherche sa voie jusqu’à la plage, en contournant les collines de sable.

Quand la famille Markam arriva à La Maison Rouge – après trente-six heures de ballottement dans le bateau d’Aberdeen, le Ban Righ, venant de Blackwall, après avoir pris subséquemment le train pour Yellon, et accompli la promenade en voiture d’une douzaine de miles -, tous ses membres se mirent d’accord pour dire qu’ils n’avaient jamais vu endroit plus enchanteur. La satisfaction générale était même à son comble parce que, jusqu’alors, aucun membre de la famille n’avait pu, pour diverses raisons, apprécier les choses et les paysages qu’on pouvait voir à l’intérieur de la frontière écossaise. Quoique la famille fût nombreuse, la prospérité des affaires de M. Markam lui permettait un grand luxe de dépenses personnelles, y compris une latitude très large dans le choix des vêtements. Le grand nombre de nouvelles robes des demoiselles Markam était source d’envie pour leurs amies intimes, et de joie pour elles-mêmes.

Arthur Fernlee Markam n’avait pas mis sa famille dans la confidence au sujet de son nouveau costume. Il n’était pas tout à fait certain qu’il serait à l’abri du ridicule, au moins des sarcasmes, et puisqu’il était sensible sur ce sujet, il pensait qu’il valait mieux attendre d’être dans l’environnement qui convenait avant de permettre à la pleine splendeur de son costume d’éclater devant leurs yeux. Il s’était donné quelque peine pour s’assurer que son costume écossais était complet. Dans ce but, il avait fait plusieurs visites au magasin de vêtements «Tartans écossais cent pour cent laine» qu’avaient récemment ouvert, dans Copthall Court, MM. MacCallum More et Roderick MacDhu. Une suite de consultations anxieuses s’en étaient suivies avec le directeur du magasin, MacCallum, celui-ci souhaitant qu’on l’appelât ainsi, sans les habituels «Monsieur» ou «Esquire». Le stock disponible de boucles, boutons, lanières, broches et ornements variés fut examiné dans le plus grand détail; le choix fait, pour compléter le tout, une plume d’aigle de taille suffisamment magnifique fut trouvée, et ainsi l’équipement fut complet. Ce n’est qu’après avoir vu le costume terminé – les couleurs vives du tartan étant atténuées par la sobriété relative de la multitude de garnitures en argent, de la broche de Cairngorm, de l’épée, du poignard et de la bourse en peau de chèvre – qu’il fut pleinement et absolument satisfait de son choix. D’abord, il avait songé pour le kilt au strict tartan Royal Stuart, mais il l’avait abandonné quand MacCallum lui eut fait remarquer que, si par hasard il se trouvait dans les environs de Balmoral, cela pourrait provoquer des complications. MacCallum, qui, notons-le, parlait avec un accent cockney remarquable, suggéra d’autres tissus qu’il lui présenta l’un après l’autre; mais maintenant qu’on avait soulevé la question de l’authenticité, M. Markam prévoyait des difficultés s’il se trouvait par hasard dans la localité du clan dont il aurait usurpé les couleurs. MacCallum proposa alors de fabriquer un tissu avec un motif spécial, aux frais de Markam, et qui ne serait jamais semblable à aucun tartan existant, cela en combinant les caractéristiques d’un grand nombre de tartans. Le motif de base fut le Royal Stuart mais avec des variantes, s’inspirant de la simplicité du motif des clans Macalister et Ogilvie, et de la neutralité de la couleur des clans Buchanan, Macbeth, Macintosh et Macleod. Quand le spécimen fut présenté à Markam, il eut des craintes que le tissu pût paraître voyant; mais quand Roderick MacDhu tomba en extase devant sa beauté, Markam ne fit pas d’objection à ce que le costume fût exécuté. Il pensait, et sagement, que si un véritable Écossais comme MacDhu aimait bien ce tissu, celui-ci devait convenir – d’autant plus que le plus jeune des deux associés était un homme qui lui ressemblait beaucoup par sa carrure et son aspect. Quand MacCallum encaissa le chèque, dont il faut convenir que le montant était un peu raide, il ajouta: