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– Encore une fois je viens te voir, une fois de plus; et te voilà assis, immobile comme un cacatoès sur un perchoir. Eh bien, l’homme! Je te pardonne! Tu entends! Je te pardonne! (Et sans plus dire un mot, il se retourna et sortit de la maison, laissant le maître ébahi d’indignation.)

Après le dîner, il décida de rendre une nouvelle fois visite aux sables mouvants – il ne voulait même pas admettre lui-même qu’il avait peur d’y aller. Ainsi, vers neuf heures, habillé de pied en cap, il se rendit à pied à la plage et, traversant les sables, s’assit sur le bord du rocher le plus proche. La lune pleine était derrière lui, et ses rayons allumaient la baie de façon que ses franges d’écume, les contours sombres du promontoire et les pieux des filets à saumons semblaient accentuer leur relief. Dans l’éclat de la lumière brillante et jaune, les fenêtres éclairées du port de Crooken et plus loin le château du lord tremblaient comme les étoiles dans le ciel. Pendant longtemps, il resta assis et s’abreuva de la scène, et il lui sembla que son âme ressentait une sorte de paix qu’il n’avait pas connue depuis longtemps. Toute la petitesse, l’ennui, la crainte et le ridicule des semaines passées semblaient effacés, et un calme nouveau et salubre s’empara de lui. Dans cette humeur douce et solennelle, il repensa calmement à ce qu’il avait fait dernièrement et eut honte de lui, de sa vanité et de l’obstination qui l’avait suivie. Et à ce moment même, il décida que cette fois était la dernière, qu’il ne mettrait plus le costume qui l’avait séparé de ceux qu’il aimait et qui lui avait causé tant d’heures et de jours de chagrin, de vexations et de peine.

Mais alors qu’il avait presque pris cette décision, une deuxième voix sembla aussi parler en lui, et lui demanda s’il aurait jamais l’occasion de porter à nouveau son costume – maintenant il était trop tard, il avait choisi son chemin, et il devait attendre le résultat.

«Il n’est pas trop tard», l’autre partie de lui-même, la meilleure, élevait la voix; alors, plein de cette pensée, il se leva pour regagner la maison et ôter immédiatement ce costume devenu haïssable. Il s’arrêta pour jeter un dernier regard sur cette belle scène. La lumière était toujours pâle et douce, adoucissant chaque contour de rocher, d’arbre et de toit, enveloppant les ombres d’un velours noir, et allumant comme avec une flamme pâle la marée montante qui, maintenant, avançait sa frange à travers l’étendue plate de sable. Alors il quitta le rocher et s’élança vers le rivage.

Mais, tandis qu’il s’élançait, un effroyable spasme d’horreur le secoua, et, pendant un instant, le sang qui montait à sa tête bloqua toute la lumière de la pleine lune. Une fois de plus, il vit son image fatale qui se déplaçait au-delà des sables mouvants, du rocher opposé vers le rivage. Le choc fut d’autant plus grand, par contraste avec l’enchantement paisible dont il venait de jouir; et les sens à demi paralysés, il resta là et regarda la vision fatale et les sables mouvants, festonnés et rampants, qui semblaient se tordre et désirer quelque chose qui se situait entre eux et lui. On ne pouvait pas se tromper cette fois, parce que, bien que la lune jetât son ombre sur le visage, on pouvait voir les joues rasées comme les siennes, et la moustache petite et broussailleuse qui poussait depuis quelques semaines. La lumière éclairait le tartan brillant et la plume d’aigle. Même l’espace chauve sur l’un des côtés du calot luisait comme faisaient la broche sur l’épaule et le dessus des boutons d’argent. Tandis qu’il regardait, il sentit ses pieds qui s’enfonçaient un peu parce qu’il était encore proche de la limite des sables mouvants, et il recula. Quand il le fit, l’autre figure s’avança de façon que l’espace entre eux fût conservé.

Ils restèrent ainsi tous les deux, face à face, comme sous l’effet d’une étrange fascination; et dans le bruissement du sang qui courait dans son cerveau, Markam semblait entendre les paroles de la prophétie: «Regarde-toi et repens-toi avant que les sables mouvants ne t’engloutissent.»

En effet, il était là, face à face avec lui-même, il s’était repenti et maintenant il s’enfonçait dans les sables mouvants! L’avertissement et la prophétie se réalisaient!

Au-dessus de lui, les mouettes criaient, volant autour de la frange de la marée montante, et ce cri, qui était bien humain, le rappela à lui-même. Immédiatement, il recula de plusieurs pas rapides, parce que, jusqu’à présent, ses pieds seuls étaient enfoncés dans le sable mou. Quand il le fit, l’autre figure s’avança et, pénétrant à l’intérieur de l’étreinte mortelle des sables mouvants, commença à s’enfoncer. Il sembla à Markam que c’était lui qu’il regardait descendre à sa perte, et, à l’instant, son âme angoissée s’exprima dans un cri terrible! Au même moment, un cri terrible s’échappa de l’autre figure, et quand Markam leva brusquement les mains, l’autre fit de même. Les yeux remplis d’horreur, il se voyait s’enliser plus profondément; et alors, poussé par il ne savait quelle force, il s’avança de nouveau vers les sables pour rencontrer son destin. Mais au moment où son pied avant commençait à s’enfoncer, il entendit de nouveau les mouettes qui semblaient lui restituer ses facultés engourdies. En un effort surhumain, il retira son pied des sables qui paraissaient le saisir, laissant sa chaussure arrière enfouie, et, tout à fait terrorisé, il fit demi-tour. Il quitta l’endroit en courant, ne s’arrêtant que lorsque sa respiration et ses forces lui manquèrent, puis tomba à moitié évanoui sur le sentier herbeux qui serpentait entre les collines de sable.

Arthur Markam décida de ne rien dire à sa famille de sa terrible aventure, tout au moins jusqu’à ce qu’il ait retrouvé le contrôle complet de lui-même. Maintenant que le double fatal – son autre moi – avait été englouti dans les sables mouvants, il retrouvait un peu de sa tranquillité d’esprit d’autrefois.

La nuit, il dormit profondément et ne rêva point; et le matin, il fut tout à fait celui qu’il était jadis. Il lui semblait réellement que cette récente partie de lui-même, la pire, avait disparu à jamais. Et, chose assez étrange, Saft Tammie fut absent ce matin de son poste, et n’apparut plus jamais, mais il resta à sa place habituelle, regardant comme jadis devant lui d’un œil vide. Comme il l’avait décidé, M. Markam ne porta plus son costume des Highlands. Un soir, il l’enveloppa et en fit un paquet, avec l’épée, le poignard, la dague et le reste, et, le prenant secrètement avec lui, il le jeta dans les sables mouvants. Avec un sentiment de plaisir intense, il le vit aspirer par les sables qui se refermèrent sur lui en formant une surface lisse comme le marbre. Puis il s’en retourna à la maison et annonça, de bonne humeur, à sa famille assemblée pour la prière du soir:

– Eh bien, mes chéris! Vous serez contents d’apprendre que j’ai abandonné l’idée de porter mon costume des Highlands. Je me rends compte maintenant à quel point j’étais un vieux sot vaniteux, et combien je me suis rendu ridicule! Vous ne le verrez plus jamais!

– Où est-il, père? demanda l’une de ses filles, afin que l’annonce d’un tel sacrifice que venait de faire son père ne tombât pas dans un silence absolu.