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Joshua avait parlé d’un air mi-sérieux, mi-plaisant. Gerald lui assura qu’il n’avait entendu parler du campement que le matin même. Mais Joshua se moquait de son ami, et durant cet échange de plaisanteries, le temps avait passé et ils entrèrent dans le cottage.

Mary était assise au piano mais ne jouait pas. L’obscurité avait éveillé de tendres sentiments dans sa poitrine et ses yeux étaient emplis de douces larmes. Quand les deux hommes entrèrent, elle se glissa à côté de son mari et l’embrassa. Joshua prit une pose tragique:

– Mary, dit-il d’une voix profonde, écoute les paroles du sort. Les étoiles ont parlé et le destin est scellé.

– Alors, dis-moi, chéri? Dis-moi l’avenir, mais ne m’effraie pas.

– Bien sûr que non, ma chérie. Mais il est une vérité qu’il faut que tu connaisses. Elle est nécessaire, même, afin que tous les arrangements puissent être pris à l’avance et chaque chose accomplie décemment et dans l’ordre.

– Continue, chéri. Je t’écoute.

– Mary Considine, il n’est pas impossible que l’on voie un jour ton effigie chez Madame Tussaud. Les étoiles, qui se moquent des juristes, ont annoncé la nouvelle sinistre: cette main sera rouge, rouge de ton sang. Mary! mon Dieu!

Il s’était précipité, mais trop tard, pour la rattraper avant qu’elle ne tombe évanouie sur le sol.

– Je te l’avais dit, commenta Gerald. Tu ne les connais pas comme je les connais.

Peu après, Mary reprit conscience, mais pour sombrer aussitôt dans une forte hystérie qui la fit rire, pleurer et divaguer. Elle criait: «Tenez-le à distance de moi, de moi! Joshua, mon mari!» et bien d’autres paroles d’appel au secours et de frayeur.

Joshua Considine était dans un état d’esprit proche du désespoir; quand, enfin, Mary redevint calme, il s’agenouilla devant elle, embrassa ses pieds, ses mains, ses cheveux, l’appela de tous les noms doux et lui adressa toutes les paroles tendres que ses lèvres pouvaient formuler. Toute la nuit il resta assis à son chevet et lui tint la main. Tard dans la nuit, et jusqu’au petit matin, elle se réveilla plusieurs fois de son sommeil et cria comme effrayée jusqu’à ce qu’elle fût réconfortée par la conscience que son mari veillait à son côté.

Au cours du petit déjeuner, qui fut servi tard le lendemain matin, Joshua reçut un télégramme qui le réclamait à Witteric, un village situé à une vingtaine de miles. Il hésita à s’y rendre, mais Mary ne voulut pas qu’il restât, et un peu avant midi il partit dans son cabriolet.

Quand elle fut seule, Mary se retira dans sa chambre. Elle ne se montra pas au déjeuner, mais quand le thé de l’après-midi fut servi sur la pelouse, sous le grand saule pleureur, elle vint se joindre à son invité. Elle semblait tout à fait remise de sa maladie de la veille au soir. Après quelques remarques anodines, elle dit à Gerald:

– Bien sûr, c’était bête hier soir, mais je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir effrayée. Je crois que je le serais encore si je me permettais d’y penser. Mais après tout, ces gens ne font qu’imaginer ces choses et je suis en mesure de prouver que la prédiction est fausse – si la prédiction est bien fausse, ajouta-t-elle tristement.

– Que comptez-vous faire? demanda Gerald.

– Aller moi-même au campement des bohémiens, et demander à la Reine de me prédire l’avenir.

– Parfait! Je peux vous accompagner?

– Oh, non! Cela gâcherait tout! Elle pourrait vous reconnaître et me deviner, et arranger ses prédictions! J’irai cet après-midi, toute seule.

À la fin de l’après-midi, Mary Considine prit la direction du campement des bohémiens. Gerald l’accompagna jusqu’à l’entrée du terrain communal et revint seul. Une demi-heure s’était à peine écoulée que Mary revint dans le salon où Gerald était étendu sur le canapé en train de lire.

Elle était pâle comme la mort et dans un état d’excitation extrême. Elle avait à peine traversé le seuil qu’elle s’effondra en gémissant sur le tapis. Gerald se précipita pour l’aider à se relever, mais elle fit un effort extrême, se contrôla et lui demanda le silence. Il attendit, et le désir de lui obéir parut être le meilleur secours, parce que après quelques minutes elle sembla un peu remise et put lui dire ce qui s’était passé.

– Quand je suis arrivée au camp, il me sembla qu’il n’y avait pas âme qui vive. Je me dirigeai vers le centre et j’attendis. Tout à coup, une grande femme apparut à côté de moi. «Quelque chose m’a dit qu’on me voulait», me dit-elle. Elle tendit la main et j’y glissai une pièce d’argent. Elle tira de son cou un petit objet d’or et le déposa à côté. Puis elle les prit tous deux et les jeta dans le ruisseau qui passait à nos pieds. Puis elle prit ma main dans les siennes et se mit à proférer: «Rien que le sang dans cet endroit coupable» et elle s’éloigna. Je la rattrapai, lui demandai de m’en dire davantage. Après quelques hésitations, elle dit: «Hélas! hélas! Je vous vois couchée au pied de votre mari, et ses mains sont rouges de sang.»

Gerald ne se sentit pas du tout à l’aise et voulut plaisanter.

– Assurément, dit-il, cette femme est hantée par l’idée d’un meurtre.

– Ne riez pas, dit Mary, je ne puis le supporter. Et, comme saisie par une impulsion soudaine, elle quitta la pièce.

Peu après, Joshua revint, souriant et de bonne humeur, aussi affamé qu’un chasseur après sa longue promenade. Sa présence réconforta sa femme qui sembla beaucoup plus souriante, mais elle ne mentionna pas l’épisode de la visite au campement des bohémiens, si bien que Gerald se tut lui aussi. Comme par un consentement tacite, le sujet ne fut pas abordé pendant la soirée. Mais une expression étrange et décidée passa sur le visage de Mary, que Gerald ne put pas ne pas voir.

Le lendemain matin, Joshua descendit au petit déjeuner plus tard que de coutume. Mary s’était levée tôt et se promenait dans la maison depuis le matin. Le temps passant, elle semblait devenir nerveuse, et, de temps à autre, elle jetait autour d’elle un regard anxieux.

Gerald ne put que remarquer que personne au petit déjeuner n’arrivait à avaler la nourriture de façon satisfaisante. Ce n’était pas que les côtelettes fussent dures, mais les couteaux étaient émoussés. Lui, étant invité, bien sûr ne fit pas de commentaire. Mais bientôt, il vit Joshua qui passait son doigt sur le bord de la lame de son couteau d’une façon inconsciente. En le voyant faire, Mary devint pâle et faillit s’évanouir.

Après le petit déjeuner, ils sortirent tous sur la pelouse. Mary composa un bouquet et dit à son mari: «Cueille-moi quelques-unes de ces roses, chéri.»

Joshua attira une branche du rosier qui grimpait sur la façade de la maison. La tige fléchit, mais elle était trop épaisse pour qu’elle pût être cassée. Il mit la main à sa poche pour prendre son couteau mais ne le trouva pas.

– Donne-moi ton couteau, Gerald, dit-il.

Mais Gerald n’en avait point, aussi alla-t-il dans la salle à manger et en prit un sur la table. Il revint, touchant le fil de la lame et grommelant:

– Que diable! que s’est-il passé avec tous les couteaux, ils semblent tous être ébréchés?

Mary se détourna subitement et rentra dans la maison.

Joshua s’essaya à couper la tige avec son couteau émoussé comme font les cuisinières dans les campagnes avec les cous des poulets, ou les garçons quand ils coupent de grosses ficelles. Avec un peu d’effort, il accomplit sa tâche. Les roses poussaient épaisses sur la branche, aussi décida-t-il de cueillir un grand bouquet.