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« On a fini par trouver le voleur, vous vous souvenez, toutes ces choses qui disparaissaient ? Eh bien ! c’était le discobole du parc, vous savez, la statue près de la fontaine. Il a encore des graffiti sur la jambe … »

« Pertchik, sois un frère, prête-moi cinq sacs jusqu’а la paye, c’est-а-dire jusqu’а demain … »

« Et il ne lui faisait pas la cour. C’est elle qui s’est jeté sur lui. En présence du mari. Vous ne le croyez pas, mais je l’ai vu de mes propres yeux …

Perets regagna son bureau, dit bonjour а Kim et se lava. Kim ne travaillait pas. II était assis, les mains tranquillement posées а plat sur la table, et il regardait le carrelage de faпence du mur. Perets enleva la housse de la « mercedes », brancha la machine, se tourna vers Kim et attendit.

— Pas moyen de travailler aujourd’hui, dit Kim. Il y a un zouave qui se promène pour tout réparer. Je reste assis et je ne sais pas quoi faire maintenant.

Perets aperçut alors une note sur son bureau :

« Perets. Nous portons а votre connaissance que votre téléphone se trouve dans la pièce 771. » Signature illisible. Perets soupira.

— Tu n’as pas а pousser de soupir, dit Kim. Il fallait arriver au travail а l’heure.

— Je ne savais pas, dit Perets. Je comptais partir aujourd’hui.

— Excuse, fit sèchement Kim.

— De toute façon, j’ai pu un peu écouter. Et tu sais, Kim, je n’ai rien compris. Pourquoi ?

— Un peu écouté ! Tu es un imbécile. Un idiot. Tu as laissé passer une telle occasion que je n’ai même plus envie de parler avec toi. Il va falloir maintenant te présenter au Directeur. Par pure bonté.

— Présente-moi, dit Perets. Tu sais, parfois j’avais l’impression de saisir quelque chose, des fragments de pensée, très intéressants, je crois, mais maintenant que j’essaie de m’en souvenir — plus rien …

— Et а qui était le téléphone ?

— Je ne sais pas. C’était dans la pièce où se trouve Domarochinier.

— Ah-Ah … C’est vrai, elle est en train d’accoucher … Il n’a pas de chance, Domarochinier. Il prend une nouvelle collaboratrice, il travaille six mois avec elle — et elle accouche … Oui, Pertchik, tu es tombé sur un téléphone de femme. De sorte que je ne vois vraiment pas comment t’aider … En règle générale, personne n’écoute tout d’affilée, et les femmes font certainement pareil. C’est que le Directeur s’adresse а tout le monde а la fois, mais en même temps а chacun en particulier. Tu comprends ?

— Je crains de …

— Moi, par exemple, je recommande ce mode d’écoute : tu déroules le discours du Directeur sur une seule ligne, sans t’occuper des signes de ponctuation, et tu pioches les mots au hasard, comme si c’étaient des dominos. Alors, si les moitiés de domino correspondent, tu as un mot que tu notes sur une feuille séparée. Si ça ne correspond pas, le mot est momentanément rejeté, mais reste sur la ligne. Il y a encore quelques subtilités liées а la fréquence des voyelles et des consonnes, mais c’est un effet d’ordre secondaire. Tu comprends ?

— Non, dit Perets. C’est-а-dire oui. Dommage, je ne connaissais pas cette méthode. Et qu’est-ce qu’il a dit aujourd’hui ?

— Ce n’est pas la seule méthode. Il y a par exemple celle de la spirale а pas variable. C’est une méthode assez grossière, mais s’il ne s’agit que de problèmes d’économie, elle est très pratique, parce que simple. Il y a la méthode de Stevenson-Zaday, mais elle nécessite des appareillages électroniques … De sorte que la meilleure est peut-être celle des dominos, et dans les cas particuliers d’un lexique restreint et spécialisé, celle de la spirale.

— Merci, dit Perets. Mais de quoi a parlé aujourd’hui le Directeur ?

— Que veut dire « de quoi » ?

— Comment ? Mais … de quoi ? Qu’est-ce qu’il … a dit ?

— A qui ?

— A qui ? Mais а toi, par exemple.

— Malheureusement, je ne peux pas te le raconter. C’est un matériel secret, et après tout, Perets, tu es un employé surnuméraire Ne te fвche donc pas.

— Je ne me fвche pas, je voulais simplement savoir … Il a dit quelque chose sur la forêt, sur la liberté de la volonté … Il y a longtemps que je jette des cailloux dans le ravin, mais comme ça, sans but, et il a dit quelque chose lа-dessus aussi.

— Ne me parle pas de ça, fit nerveusement Kim. Ça ne me concerne pas. Et toi non plus d’ailleurs, puisque ce n’était pas ton téléphone.

— Attends un peu, est-ce qu’il a dit quelque chose а propos de la forêt ?

Kim haussa les épaules.

— Naturellement. Il ne parle jamais de rien d’autre. Raconte-moi plutôt ton départ.

Perets s’exécuta.

— Ça te sert а rien de le battre tout le temps, dit Kim d’un air pensif.

— Je n’y peux rien. Je suis d’assez bonne force aux échecs, et ce n’est qu’un amateur … Et puis il joue d’une manière plutôt bizarre …

— Ce n’est pas grave. A ta place j’y réfléchirais comme il faut. D’une manière générale tu m’inquiètes un peu depuis quelque temps. On écrit des dénonciations sur ton compte … Tu sais, demain je te ménagerai une entrevue avec le Directeur. Va le voir et explique-toi franchement. Je pense qu’il te laissera partir. Souligne bien que tu es un linguiste, un philologue, que tu es arrivé ici par hasard, mentionne, comme sans y faire attention, que tu avais très envie d’aller dans la forêt, mais que tu as maintenant changé d’avis parce que tu te considères comme incompétent.

— Bon.

Ils se turent un instant Perets s’imagina face а face avec le Directeur et fut saisi de panique. La méthode des dominos, pensa-t-il. Stevenson-Zaday.

— Et surtout, n’aie pas peur de pleurer, dit Kim. Il aime ça.

Perets se leva d’un bond et se mit а marcher avec excitation а travers la pièce.

— Seigneur, fit-il. Savoir seulement а quoi il ressemble. Comment il est.

— Comment ? Pas bien grand, plutôt roux …

— Domarochinier a dit que c’était un véritable géant …

— Domarochinier est un imbécile. Un vantard et un menteur. Le Directeur est un homme plutôt roux, replet, avec une petite cicatrice sur la joue droite. Il marche avec les pieds un peu en dedans, comme un marin. D’ailleurs, c’est un ancien marin.

— Mais Touzik disait que c’était un grand sec avec des cheveux longs parce qu’il lui manque une oreille.

— Qui c’est encore ce Touzik ?

— C’est un chauffeur, je t’en ai parlé.

— Comment le chauffeur Touzik peut-il savoir tout cela ? Ecoute, Pertchik, il ne faut pas être aussi confiant.

— Touzik dit qu’il a été son chauffeur et qu’il l’a vu plusieurs fois.

— Et alors ? Il ment probablement. J’ai été son secrétaire particulier, et je ne l’ai pas vu une seule fois.

— Qui ?

— Le Directeur. J’ai été longtemps son secrétaire avant de soutenir ma thèse.

— Et tu ne l’as pas vu une seule fois ?

— Evidemment ! Tu t’imagines que c’est si simple que ça ?

— Attends un peu, comment sais-tu alors qu’il est roux, etc. ?

Kim secoua la tête.

— Pertchik, commença-t-il d’une voix caressante. Mon petit. Personne n’a jamais vu un atome d’hydrogène, mais tout le monde sait qu’il a une enveloppe d’électrons aux caractéristiques déterminées et un noyau qui se compose dans le cas le plus simple d’un proton.