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— C’est vrai, dit mollement Perets.

Il se sentait fatigué.

— Donc, je le verrai demain ?

— Pas encore, demande-moi quelque chose de moins difficile, dit Kim. Je t’organiserai une rencontre, ça je te le garantis. Mais ce que tu verras lа-bas et qui, ça je ne le sais pas. Et ce que tu entendras, je ne le sais pas non plus. Tu ne me demandes pas si le Directeur te fera partir ou non, et tu as raison de ne pas le faire. Je ne peux pas le savoir, non ?

— Mais ce sont tout de même des choses différentes, dit Perets.

— C’est pareil, Pertchik, dit Kim. Je t’assure que c’est pareil.

— J’ai l’air évidemment bien abruti, dit tristement Perets.

— Un peu.

— C’est simplement que j’ai mal dormi cette nuit.

— Non, tu manques simplement de sens pratique. Et au fait, pourquoi est-ce que tu as mal dormi ?

Perets raconta. Et prit peur. Le visage bienveillant de Kim s’était soudain empli de sang, ses cheveux hérissés. Il poussa un rugissement, décrocha le combiné, composa furieusement un numéro et vociféra :

— Commandant ? Qu’est-ce que cela signifie, commandant ? Comment avez-vous pu oser expulser Perets ? Taisez-vous. Je ne vous demande pas ce qui était venu а expiration. Je vous demande comment vous avez osé expulser Perets. Quoi ? Taisez-vous ! Quoi ? Sottises, balivernes ! Taisez-vous, je vous écraserai ! Vous et votre Claude-Octave ! Avec moi vous irez nettoyer les chiottes ! Vous partirez dans la forêt. En vingt-quatre heures, en soixante minutes. Quoi ? Oui … Oui … Quoi ? Oui … C’est ça. Dans ce cas c’est différent. Et le meilleur linge … Ça, c’est votre affaire. Dans la rue au besoin … Quoi ? Bien. D’accord. D’accord. Je vous remercie. Excusez pour le dérangement … Mais naturellement. Merci beaucoup. Au revoir.

Il reposa le combiné.

— Tout est rentré dans l’ordre. Malgré tout, c’est un homme admirable. Va te reposer. Tu habiteras dans son appartement et il s’installera avec sa famille dans ton ancienne chambre ; autrement, il ne peut malheureusement pas … Et ne discute pas, je t’en prie. Ce n’est pas une affaire entre toi et moi, c’est lui-même qui a décidé. Va, va, c’est un ordre. Je t’appellerai pour le Directeur.

En titubant, Perets gagna la rue. Il resta quelques instants immobile а cligner des yeux sous le soleil, puis il prit la direction du parc pour aller chercher sa valise. Il ne la trouva pas du premier coup, car la valise était solidement maintenue par la main de plвtre musculeuse du voleur-discobole а gauche de la fontaine, dont la hanche s’ornait d’une inscription indécente. A proprement parler, l’inscription n’était pas particulièrement indécente. On avait écrit au crayon а encre :

« Fillettes, prenez garde а la syphilis. »

III

Perets pénétra dans la salle d’attente du Directeur а dix heures précises. Il y avait déjа une vingtaine de personnes qui faisaient la queue. On fit passer Perets en quatrième position. Il prit place dans un fauteuil entre Béatrice Vakh, employée au groupe d’Aide а la population locale, et un sombre collaborateur du groupe de la Pénétration du génie. A en juger par la plaque qu’il portait sur la poitrine et l’inscription sur son masque de carton blanc, ce dernier devait être appelé Brandskougel. La salle d’attente était peinte en rose pвle. Sur un mur était placée une pancarte « Défense de fumer, de jeter des ordures, de faire du bruit », sur un autre, un grand tableau qui représentait l’exploit du traverseur de la forêt Selivan : sous les yeux de ses camarades stupéfiés, Selivan, les bras levés, se transformait en arbre sauteur. Les rideaux roses des fenêtres étaient soigneusement tirés et au plafond brillait un lustre gigantesque. Outre la porte d’entrée sur laquelle on pouvait lire « Sortie », la pièce possédait une autre porte, immense, revêtue de cuir jaune, qui portait l’inscription « Sans issue ». Exécutée а la peinture phosphorescente, l’inscription se détachait comme un sinistre avertissement. En dessous se trouvait le bureau de la secrétaire, garni de quatre téléphones de couleur différente et d’une ma Aine а écrire électrique. La secrétaire, une femme replète d’un certain вge portant lorgnon, étudiait d’un air distant un « Manuel de physique atomique ». Les visiteurs parlaient а voix basse. Beaucoup ne pouvaient cacher leur nervosité et feuilletaient fébrilement de vieux illustrés. Tout ceci évoquait furieusement la file d’attente chez un dentiste, et Perets fut а nouveau agité d’un frisson désagréable, d’un tremblement de mвchoires, et saisi du désir de partir n’importe où sans plus attendre.

— Ils ne sont même pas paresseux, disait Béatrice Vakh, son charmant visage tourné dans la direction de Perets. Mais ils ne peuvent pas supporter un travail systématique. Comment expliquez-vous, par exemple, l’incroyable légèreté avec laquelle ils abandonnent les endroits où ils ont vécu ?

— C’est а moi que vous parlez ? demanda timidement Perets.

Il n’avait aucune idée de la manière d’expliquer cette incroyable légèreté.

— Non. Je parlais а « Mon cher » Brandskougel.

« Mon cher » Brandskougel remit en place le pan gauche de sa moustache qui se décollait et marmonna cordialement :

— Je ne sais pas.

— Et nous ne le savons pas non plus, fit amèrement Béatrice. Il suffit que nos équipes s’approchent du village pour qu’ils partent en abandonnant leur maison et tous leurs biens. On dirait que nous ne les intéressons pas. Ils n’attendent absolument rien de nous. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Mon cher Brandskougel resta quelques instants silencieux, comme s’il réfléchissait а la question, observant Béatrice а travers les étranges meurtrières cruciformes de son masque. Puis il répondit sur le même ton que précédemment :

— Je ne sais pas.

— C’est vraiment dommage, poursuivit Béatrice, que notre groupe ne se compose que de femmes. Je sais bien qu’il y a une raison profonde, mais il manque souvent la fermeté, l’вpreté, je dirais presque la motivation masculine. Les femmes ont malheureusement tendance а se disperser, vous avez dû le remarquer.

— Je ne sais pas, dit Brandskougel.

Sa moustache se détacha soudain et tomba gracieusement jusqu’au sol. Il la ramassa, l’examina attentivement en soulevant un coin de son masque, cracha prestement dessus et la remit en place.

Une clochette tinta mélodieusement sur le bureau de la secrétaire. Celle-ci posa son manuel, consulta une liste en retenant avec affectation son lorgnon et annonça :

— Professeur Kakadou, c’est а vous.

Le professeur Kakadou lвcha sa revue illustrée, se leva d’un bond, se rassit, regarda autour de lui en blêmissant, puis se mordit la lèvre et, le visage défait, s’arracha а son fauteuil et disparut derrière la porte qui portait l’inscription « Sans issue ». Un silence morbide régna pendant quelques secondes dans la salle d’attente. Puis les bruits de voix et de feuilles froissées reprirent.

— Nous n’arrivons pas, disait Béatrice, а trouver le moyen de les intéresser, de les captiver. Nous leur avons construit des habitations confortables sur pilotis. Ils les bourrent de tourbe et y mettent des espèces d’insectes. Nous avons essayé de leur proposer de la bonne nourriture au lieu de la saleté aigre qu’ils mangent. En pure perte. Nous avons essayé de les vêtir de manière humaine. Un est mort, deux autres sont tombés malades. Mais nous continuons nos expériences. Hier nous avons répandu dans la forêt un plein camion de miroirs et de boutons dorés … Le cinéma ne les intéresse pas, pas plus que la musique. Les créations immortelles ne provoquent chez eux qu’une sorte de ricanement … Non, il faut commencer par les enfants. Je propose par exemple de leur enlever leurs enfants et d’organiser des écoles spéciales. Malheureusement, cela implique des difficultés d’ordre technique : on ne peut pas les prendre avec des mains humaines, il faudrait lа des machines spéciales … D’ailleurs, vous savez tout cela aussi bien que moi.