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— Ne vous égarez pas.

Béatrice Vakh se figea, terrifiée. La petite porte basse s’ouvrit et un homme complètement rasé se glissa dans la salle d’attente.

— Est-ce qu’il y a un Perets ici ? demanda-t-il d’une voix de stentor.

— Je suis lа, dit Perets en se levant d’un bond.

— Dehors avec vos affaires ! La voiture part dans dix minutes, allez, hop !

— La voiture pour où ? Pourquoi ?

— Vous êtes Perets ?

— Oui …

— Vous voulez partir, oui ou non ?

— Je voulais, mais …

— Comme vous voudrez, rugit sur un ton excédé l’homme rasé, j’ai fait mon travail, je vous l’ai dit.

Il disparut et la porte se referma. Perets se rua sur ses pas.

— Arrière ! lui cria la secrétaire, tandis que plusieurs mains agrippaient ses vêtements. Perets se débattit désespérément et la veste se déchira.

— La voiture, dehors ! gémit-il.

— Vous êtes fou ! dit la secrétaire, furieuse. Où voulez-vous aller comme ça ? Vous avez une porte lа, où il y a écrit « Sortie ».

Des mains fermes guidèrent Perets vers l’inscription « Sortie ». Derrière la porte se trouvait une grande salle de forme polygonale dans laquelle s’ouvrait une multitude de portes. Perets se rua pour les essayer les unes après les autres.

Un soleil éclatant, des murs blancs aseptiques, des hommes en blouse blanche. Un dos nu, badigeonné de teinture d’iode. Une odeur de pharmacie. Ce n’était pas ça.

L’obscurité, le ronronnement d’un projecteur cinématographique. Sur l’écran quelqu’un qu’on tire en tous sens par les oreilles. Les visages blancs de spectateurs qui se tournent, mécontents. Une voix : « La porte ! Fermez la porte ! » Encore pas ça …

Perets traversa la salle en glissant sur le parquet.

Une odeur de confiserie. Quelques personnes avec des cabas qui font la queue. Derrière la barrière de verre, des bouteilles de kéfir étincelantes, des tartes et des gвteaux resplendissants.

— Messieurs, cria Perets, où est la sortie ?

— La sortie de quoi ? demanda un vendeur grassouillet coiffé d’une toque de cuisinier.

— D’ici …

— A la porte où vous êtes.

— Ne l’écoutez pas, dit un petit vieux en s’adressant au vendeur. C’est juste un petit futé qui s’amuse а retarder la queue. Travaillez, ne faites pas attention а lui.

— Mais je ne m’amuse pas, dit Perets. Ma voiture va partir …

— Non, ce n’est pas lui, dit le vieillard équitable. L’autre, il demande toujours où sont les toilettes. Où donc est votre voiture, disiez-vous, monsieur ?

— Dans la rue …

— Dans quelle rue ? demanda le vendeur. Il y a beaucoup de rues.

— Ça m’est égal dans laquelle, je veux simplement sortir, а l’extérieur !

— Non, dit le vieillard sagace, c’est bien lui. Il a seulement changé son répertoire. Ne faites pas attention а lui …

Perets regarda désespérément autour de lui, revint dans la salle et poussa la porte а côté. Elle était fermée. Une voix mécontente demanda :

— Qui est lа ?

— Je dois sortir ! cria Perets. Où est la sortie ?

— Attendez un instant.

Il y eut un certain remue-ménage derrière la porte, un clapotis d’eau, des claquements de tiroirs qu’on renferme. La voix demanda :

— Que voulez-vous ?

— Sortir ! Je dois sortir !

— Un instant.

Une clef grinça et la porte s’ouvrit. La pièce était plongée dans l’obscurité.

— Entrez, dit la voix.

Cela sentait le révélateur. Les bras étendus devant lui, Perets fit quelques pas mal assurés.

— Je n’y vois rien, dit-il.

— Vous allez vous y faire, promit la voix. Avancez, ne restez pas comme ça.

Perets sentit qu’on le prenait par la manche pour le guider.

— Signez ici, dit la voix.

Un crayon fut glissé entre les doigts de Perets. Il distinguait maintenant dans la pénombre la vague blancheur d’une feuille de papier.

— Vous avez signé ?

— Non. Il faut signer quoi ?

— N’ayez pas peur, ce n’est pas une condamnation а mort. Signez que vous n’avez rien vu.

Perets signa а tout hasard. Il fut а nouveau fermement pris par la manche, guidé а travers quelques portes tendues de rideaux, puis la voix demanda :

— Vous êtes nombreux ?

— Quatre, dit une voix qui semblait provenir de derrière la porte.

— La file d’attente est formée ? Je vais ouvrir la porte et faire sortir quelqu’un. Vous passerez un par un, sans parler et sans faire de plaisanteries. C’est clair ?

— Compris. Ce n’est pas la première fois.

— Personne n’a oublié de vêtements ?

— Non, non. Faites sortir.

La clef grinça а nouveau. Perets fut presque aveuglé par la lumière éclatante, puis on le poussa au-dehors. Les yeux toujours fermés, il descendit quelques marches et comprit alors seulement qu’il se trouvait dans la cour intérieure de l’Administration. Des voix mécontentes crièrent :

— Alors, Perets, dépêche-toi ! Il va falloir attendre longtemps ?

Au milieu de la cour se trouvait un camion rempli d’employés du groupe de la Protection scientifique. Au volant, Kim faisait des signes furieux de la main. Perets courut jusqu’au camion et embarqua : il fut tiré, hissé et jeté au fond de la caisse. Aussitôt le moteur rugit, le camion démarra brutalement, quelqu’un marcha sur la main de Perets, quelqu’un s’écroula sur lui de tout son poids, tout le monde se mit а s’époumoner et а rire aux éclats, et ils partirent.

Perets alluma une cigarette, s’assit sur sa valise et releva le col de sa veste. On lui tendit un manteau dans lequel il s’enveloppa avec un sourire reconnaissant. Le camion roulait de plus en plus vite et, bien que la journée fût chaude, le vent de la course transperçait les vêtements. Perets fumait, la cigarette abritée dans le creux de sa main, et regardait autour de lui. « Je m’en vais, pensait-il, je m’en vais. C’est la dernière fois que je te vois, mur. La dernière fois que je vous vois, cottages. Adieu, décharge, j’ai laissé mes caoutchoucs quelque part chez toi. Adieu, mare, adieu, échecs, adieu, kéfir. Comme on se sent léger, vainqueur ! Jamais plus je ne boirai de kéfir. Jamais plus je ne m’installerai derrière un échiquier … »

Les employés qui s’entassaient derrière la cabine, se tenant les uns aux autres et se protégeant mutuellement du vent, parlaient de choses abstraites.

— C’est mathématique, j’ai fait le calcul moi-même. Si ça continue comme ça, dans cent ans il y aura dix employés pour chaque mètre carré de territoire et la masse globale sera telle que le rocher s’effondrera. Les besoins en moyens de transport pour l’acheminement du ravitaillement et de l’eau seront tels qu’il faudra installer un pont automobile entre l’Administration et le Continent. Les camions rouleront а quarante kilomètres а l’heure et а un mètre d’intervalle, et ils seront déchargés en marche … Non, je suis absolument certain que la direction pense dès maintenant а réglementer l’afflux des nouveaux employés. Rendez-vous compte, c’est impossible, le commandant de l’hôtel en a déjа sept, et bientôt un huitième. Et tous en bonne santé. Domarochinier pense qu’il faut faire quelque chose а ce sujet. Non, pas obligatoirement la stérilisation, comme il le propose …

— Quelqu’un a pu en parler, mais pas Domarochinier.

— C’est bien pourquoi je dis que ce ne sera pas obligatoirement la stérilisation …

— Il paraît que les congés annuels seront portés а six mois.

Ils passèrent devant le parc, et Perets se rendit compte tout а coup que le camion ne suivait pas la bonne route. Ils allaient bientôt franchir les portes, prendre la corniche et descendre en bas de la falaise.