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— Je devine ce que cela peut être, laissa tomber l’Astrologue sur un ton d’une douceur inattendue. Des plaies par déchirure … Gangrène gazeuse … Brûlures radioactives du troisième degré …

— Toujours les mêmes phantasmes, soupira la poupée Jeanne. Quel ennui ! Quelle tristesse !

— Puisque vous ne pouvez pas vous arrêter de parler des hommes, dit Vinni Puch, essayons si vous voulez d’élucider la nature de ce lien. Essayons de raisonner logiquement …

— De deux choses l’une, dit une nouvelle voix, mesurée et ennuyeuse. Si le lien en question existe, la suprématie est exercée soit par eux, soit par nous.

— Absurde, dit l’Astrologue. Pourquoi « ou » ? Evidemment c’est nous.

— Qu’est-ce que c’est que la « suprématie » ? demanda la poupée Jeanne d’une voix malheureuse.

— La suprématie signifie dans le contexte en question « le fait d’occuper la position dominante », expliqua la voix ennuyeuse. Quant а ce qui est de la formulation du problème elle-même, on ne peut la déclarer absurde, mais uniquement correcte, si l’on décide de, raisonner logiquement. Il y eut un silence. Tout le monde attendait manifestement la suite. Enfin Vinni Puch n’y tint plus et demanda : « Alors ? »

— Je n’ai pas encore éclairci le fait de savoir si vous avez décidé de raisonner logiquement ? dit la voix ennuyeuse.

— Oui, oui, c’est décidé, assurèrent en choeur les machines.

— Dans ce cas, en primant pour axiome l’existence de ce lien, soit ils sont pour vous, soit vous êtes pour eux. S’ils sont pour vous et qu’ils vous empêchent d’agir conformément aux lois de votre nature, ils doivent être écartés, comme on écarte n’importe quel obstacle. Si vous êtes pour eux, mais que cet état de choses ne vous satisfait pas, ils doivent également être écartés, comme on écarte toutes les causes d’un état de choses insatisfaisant. C’est tout ce que je peux dire en substance de notre conversation.

Après cela, plus personne ne prononça un mot, il y eut dans les containers un certain remue-ménage, des grincements, des claquements comme si les énormes jouets se préparaient а aller se coucher, épuisés par la conversation, et l’on sentait encore suspendu dans l’air un sentiment de gêne général, comme dans une assemblée de personnes qui ont largement cancané sans épargner, pour le seul plaisir de faire un bon mot, ni père ni mère et qui sentent soudain qu’elles sont allées trop loin.

— Il y a l’humidité qui se lève, grinça а mivoix l’Astrologue.

— Je l’avais déjа remarqué, chuchota la poupée Jeanne. C’est si agréable : de nouveaux chiffres …

— Qu’est-ce qu’elle a encore cette alimentation, grommela Vinni Puch. Jardinier, vous n’auriez pas en réserve une batterie de vingt-deux volts ?

— Je n’ai rien, répondit Jardinier. Puis il y eut un craquement, comme le bruit d’une feuille de contre-plaqué arrachée, un sifflement mécanique, et Perets vit soudain par l’étroite fente au-dessus de lui quelque chose de brillant qui se mouvait, il lui sembla que quelqu’un le regardait dans l’ombre entre les caisses. Une sueur froide l’inonda, il se leva, sortit sur la pointe des pieds dans la lumière lunaire et, se lançant а découvert, courut vers la route. Il courait de toutes ses forces et il lui semblait а tout moment que des dizaines d’yeux ineptes le suivaient et le voyaient si petit, si pitoyable, si désarmé dans la plaine ouverte а tous les vents et riaient de son ombre plus grande que lui, riaient des chaussures que la peur lui avait fait oublier et qu’il n’osait plus maintenant aller chercher.

Il dépassa un petit pont jeté par-dessus un ravin asséché et voyait déjа les lumières des premières maisons de l’Administration quand il sentit qu’il s’essoufflait, que ses pieds nus lui causaient une douleur insupportable. Il voulut s’arrêter, mais il perçut, а travers le bruit de sa propre respiration, le martèlement d’une multitude de pieds derrière lui et, perdant а nouveau la tête, il rassembla ses dernières forces et se remit а courir, ne sentant plus la terre sous lui, ne sentant plus son propre corps, crachant une bave collante et visqueuse. La lune filait en même temps que lui et il pensa : « Ça y est, c’est la fin. » Le martèlement le rejoignit et une forme blanche, immense, chaude, comme un cheval emballé, apparut а ses côtés, masquant la lune, puis se détacha en avant et commença а s’éloigner lentement en allongeant sur un rythme furieux de longues jambes nues, et Perets s’aperçut que c’était un homme qui portait un maillot de footballeur frappé du numéro « 14 » et une culotte de sport blanche avec une bande sombre, et il fut encore plus effrayé. Le martèlement multiple derrière son dos ne cessait pas, on entendait des gémissements et des cris douloureux. « Ils courent, pensa-t-il hystériquement. Ils courent tous ! C’est commencé ! Et ils courent ! Mais c’est trop tard, trop tard, trop tard … »

II voyait confusément sur les côtés les cottages de la rue principale, des visages angoissés, et il essayait de ne pas se laisser distancer par les longues jambes du numéro 14, parce qu’il ne savait pas où il fallait courir et où était le salut : « Les armes se déchaînent déjа quelque part et je ne sais pas où, et je me retrouve encore une fois de côté, mais je ne veux pas. je ne peux pas être de côté maintenant, parce qu’ils sont lа-bas, dans les caisses, ils ont peut-être raison, de leur point de vue, mais ils sont aussi mes ennemis … »

II vola dans la foule, qui s’écarta devant lui, il vit passer devant ses yeux un petit drapeau а damiers, des clameurs enthousiastes retentirent et quelqu’un de connaissance courut quelques instants а ses côtés, répétant comme une condamnation : « Ne vous arrêtez pas, ne vous arrêtez pas … » II s’arrêta alors et aussitôt on l’entoura, on jeta sur ses épaules une robe de chambre de satin. Une voix radiophonique démesurément enflée annonça : « Deuxième, Perets, du groupe de la Protection scientifique dans le temps de sept minutes douze secondes trois dixièmes … Attention, voici le troisième qui arrive ! »

La personne de connaissance, qui était le Proconsul, disait : « Vous êtes formidable, Perets, je ne m’y attendais pas du tout Quand on vous a annoncé au départ, je riais, mais maintenant je vois qu’il faut absolument vous mettre dans le groupe de base. Allez vous reposer maintenant, et demain vers dix heures venez au stade. Il faudra franchir la zone d’assaut. Je vous ferai entrer par les ateliers d’ajustage … Ne discutez pas, je m’entendrai avec Kim. » Perets regarda autour de lui. Il y avait beaucoup de personnes connues et d’inconnus en masques de carton. A peu de distance de lа, on faisait sauter en l’air l’homme aux longues jambes qui était arrivé premier. Il s’envolait sous la lune, droit comme un I, serrant contre sa poitrine une grande coupe métallique. Une banderole qui portait l’inscription « Arrivée » était tendue en travers de la rue et sous la banderole, les yeux rivés au chronomètre, se tenait Claude-Octave Domarochinier, vêtu d’un strict manteau noir dont l’une des manches s’ornait d’un brassard où l’on lisait : « Juge principal ». «  … Et si vous aviez couru en tenue de sport, grommelait le Proconsul, on aurait pu vous compter officiellement ce temps. » Perets le repoussa du coude et s’enfonça dans la foule, les jambes flageolantes.

—  … Plutôt que de rester chez soi а suer de peur, disait quelqu’un dans la foule, il vaut mieux faire du sport.