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II se sentit tout d’un coup а la fois joyeux et angoissé.

— Mais oui, c’est ça, pensa-t-il. Je peux ! Je peux dissoudre tout. Qui est mon juge ? Je suis le Directeur, je suis le chef. Une note de service — et terminé ! »

II entendit alors le bruit de pas lourds. Quelque part tout près. Les verres du lustre tintèrent, les chaussettes qui séchaient sur la corde se balancèrent. Il se leva et s’approcha sur la pointe des pieds de la petite porte qui se trouvait au fond de la pièce. Derrière, quelqu’un marchait d’un pas inégal, comme titubant, mais on n’entendait rien d’autre, et il n’y avait même pas un trou de serrure sur la porte, pour y coller l’oeil. Perets pesa doucement sur la poignée, mais la porte ne céda pas. Il approcha les lèvres de la fente et demanda а haute voix : « Qui est lа ? » Personne ne répondit, mais les pas ne cessèrent pas, comme s’il y avait eu un ivrogne dehors en train de zigzaguer. Perets manipula encore une fois la poignée, haussa les épaules et revint а sa place.

« Dans l’ensemble, le pouvoir a ses avantages, pensa-t-il. Je ne vais évidemment pas dissoudre l’Administration, ce serait idiot, pourquoi dissoudre une organisation toute prête, bien huilée ? Il faut simplement la remettre dans le droit chemin, l’appliquer а quelque chose de sérieux. Cesser d’envahir la forêt, renforcer au contraire son étude prudente, essayer de se mettre en rapport avec elle, d’apprendre а son contact … Ils ne comprennent même pas ce que c’est que la forêt. La forêt ! Pour eux c’est du bois d’abattage … Leur apprendre а aimer la forêt, а la respecter, а vivre la vie qu’elle vit … Non, il y a beaucoup de travail. Du travail véritable, du travail sérieux. Et il se trouvera des gens — Kim, Stoпan, Rita.. Et pourquoi pas le manager ? … Alevtina … Et finalement ce Ah, aussi, c’est un personnage, il est pas bête, mais il a rien de sérieux а faire … Je leur en ferai voir, pensat-il tout joyeux. Ils ont pas fini d’en voir ! Bon, et maintenant, où en sont les affaires courantes ?

Il attira le dossier а lui. La première page était ainsi rédigée :

PROJET DE DIRECTIVE POUR L’INSTAURATION DE L’ORDRE

1. Au cours de l’année écoulée, l’Administration de la forêt a substantiellement amélioré son travail et a atteint des indices élevés dans tous les domaines de son activité. Des centaines d’hectares de territoire forestier ont été conquis, étudiés, aménagés et placés sous la sauvegarde de la Protection scientifique et armée. La maîtrise des spécialistes et des travailleurs du rang croît de jour en jour. L’organisation s’améliore, les dépenses improductives diminuent. Les barrières bureaucratiques et autres obstacles extraproductifs sont levés les uns après les autres.

2. Cependant, а côté des réalisations effectuées, l’action néfaste de la deuxième loi de la thermodynamique ainsi que de la loi des grands nombres continue а s’exercer, abaissant quelque peu le niveau élevé des indices. Notre tвche la plus urgente réside maintenant dans la suppression des faits de hasard qui engendrent le chaos, troublent le rythme commun et provoquent une baisse des cadences.

3. Compte tenu de ce qui précède, il est proposé de considérer а l’avenir toute manifestation de faits de hasard comme contraire aux lois et contredisant l’idéal d’organisation, et l’implication dans des faits de hasard (probabilisme) comme un acte criminel on, si l’implication dans des faits de hasard (probabilisme) n’entraîne pas de conséquences graves, comme une très sérieuse violation de la discipline du travail et de la production.

4. La culpabilité des personnes impliquées dans des faits de hasard (activités probabilistiques) est définie et mesurée par les articles du Code criminel N 62, 64, 65 (а l’exclusion des par. S et 0), 113 et 192 par. K ou §§ du Code administratif 12, 15 et 97.

NOTA : L’issue mortelle d’une implication dans un fait de hasard (probabilisme) n’a pas en tant que telle valeur de circonstance disculpante ou atténuante. La condamnation ou la sanction sera dans ce cas prononcée а titre posthume.

5. La présente directive prend effet а partir du … mois … jour … année. Elle n’a pas d’effet rétroactif.

Signé : Le Directeur de l’Administration. ( …)

Perets passa sa langue sur ses lèvres sèches et tourna la page. Sur la suivante se trouvait une note de service concernant la mise en jugement de l’employé Kh. du groupe de la Protection scientifique. Item, conformément а la directive sur < l’instauration de l’ordre » « pour indulgence préméditée pour la loi des grands nombres s’étant traduite par une glissade sur la glace avec lésion concomitante de l’articulation tibia-tarsienne, laquelle implication criminelle dans un fait de hasard (probabilisme) a eu lieu le 11 mars de l’année en cours », il est proposé que l’employé Kh soit désormais désigné sur tous documents sous le nom de probabiliste Kh. Item …

Perets claqua des dents et regarda le feuillet suivant. C’était aussi une note de service concernant l’application d’une peine d’amende administrative correspondant а quatre mois de salaire au maître de chiens G. de Montmorency du groupe de la Protection armée « pour s’être imprudemment permis d’être frappé par une décharge atmosphérique (foudre) ». Suivaient des prescriptions concernant les congés, des demandes d’allocation exceptionnelle en raison de la perte du soutien de famille et une note explicative d’un certain J. Lumbago а propos de la disparition d’une bobine …

— Qu’est-ce que c’est que ce fourbi, dit Perets а haute voix.

Il était en nage. Le projet était tapé sur du papier couché а tranche dorée. « II faudrait que j’en parle а quelqu’un, ou je vais m’y perdre », pensa-t-il.

Lа-dessus la porte s’ouvrit et Alevtina pénétra dans le bureau, poussant devant elle une table а roulettes. Elle était habillée avec une élégance recherchée et une expression sérieuse et austère était peinte sur son visage soigneusement maquillé.

— Votre petit déjeuner, dit-elle d’une voix apprêtée.

— Fermez la porte et venez ici, dit Perets. Elle ferma la porte, repoussa du pied la petite table, lissa ses cheveux et s’avança vers Perets.

— Alors, poussin ? dit-elle avec un sourire. Tu es content maintenant ?

— Regarde, dit Perets. Encore des bêtises ! Lis un peu.

Elle s’assit sur l’accoudoir, passa autour du cou de Perets un bras gauche nu et prit la directive de sa main droite nue.

— Je ne sais pas, dit-elle. Tout est correct. Qu’y a-t-il ? Tu veux peut-être que je t’apporte le Code criminel ? Le Directeur précédent lui aussi n’avait pas compris un seul article.