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Apres un peu de temps, une petite sonnerie a resonne dans la piece. Ils m'ont alors ote les menottes. Ils ont ouvert la porte et m'ont fait entrer dans le box des accuses. La salle etait pleine a craquer. Malgre les stores, le soleil s'infiltrait par endroits et l'air etait deja etouffant. On avait laisse les vitres closes. Je me suis assis et les gendarmes m'ont encadre. C'est a ce moment que j'ai apercu une rangee de visages devant moi. Tous me regardaient: j'ai compris que c'etaient les jures. Mais je ne peux pas dire ce qui les distinguait les uns des autres. Je n'ai eu qu'une impression: j'etais devant une banquette de tramway et tous ces voyageurs anonymes epiaient le nouvel arrivant pour en apercevoir les ridicules. Je sais bien que c'etait une idee niaise puisque ici ce n'etait pas le ridicule qu'ils cherchaient, mais le crime. Cependant la difference n'est pas grande et c'est en tout cas l'idee qui m'est venue.

J'etais un peu etourdi aussi par tout ce monde dans cette salle close. J'ai regarde encore le pretoire et je n'ai distingue aucun visage. Je crois bien que d'abord je ne m'etais pas rendu compte que tout ce monde se pressait pour me voir. D'habitude, les gens ne s'occupaient pas de ma personne. Il m'a fallu un effort pour comprendre que j'etais la cause de toute cette agitation. J'ai dit au gendarme: «Que de monde!» Il m'a repondu que c'etait a cause des journaux et il m'a montre un groupe qui se tenait pres d'une table sous le banc des jures. Il m'a dit: «Les voila.» J'ai demande: «Qui?» et il a repete: «Les journaux.» Il connaissait l'un des journalistes qui l'a vu a ce moment et qui s'est dirige vers nous. C'etait un homme deja age, sympathique, avec un visage un peu grimacant. Il a serre la main du gendarme avec beaucoup de chaleur. J'ai remarque a ce moment que tout le monde se rencontrait, s'interpellait et conversait, comme dans un club ou l'on est heureux de se retrouver entre gens du meme monde. Je me suis explique aussi la bizarre impression que j'avais d'etre de trop, un peu comme un intrus. Pourtant, le journaliste s'est adresse a moi en souriant. Il m'a dit qu'il esperait que tout irait bien pour moi. Je l'ai remercie et il a ajoute: «Vous savez, nous avons monte un peu votre affaire. L'ete, c'est la saison creuse pour les journaux. Et il n'y avait que votre histoire et celle du parricide qui vaillent quelque chose.» Il m'a montre ensuite, dans le groupe qu'il venait de quitter, un petit bonhomme qui ressemblait a une belette engraissee, avec d'enormes lunettes cerclees de noir. Il m'a dit que c'etait l'envoye special d'un journal de Paris: «Il n'est pas venu pour vous, d'ailleurs. Mais comme il est charge de rendre compte du proces du parricide, on lui a demande de cabler votre affaire en meme temps.» La encore, j'ai failli le remercier. Mais j'ai pense que ce serait ridicule. Il m'a fait un petit signe cordial de la main et nous a quittes. Nous avons encore attendu quelques minutes.

Mon avocat est arrive, en robe, entoure de beaucoup d'autres confreres. Il est alle vers les journalistes, a serre des mains. Ils ont plaisante, ri et avaient l'air tout a fait a leur aise, jusqu'au moment ou la sonnerie a retenti dans le pretoire. Tout le monde a regagne sa place. Mon avocat est venu vers moi, m'a serre la main et m'a conseille de repondre brievement aux questions qu'on me poserait, de ne pas prendre d'initiatives et de me reposer sur lui pour le reste.

A ma gauche, j'ai entendu le bruit d'une chaise qu'on reculait et j'ai vu un grand homme mince, vetu de rouge, portant lorgnon, qui s'asseyait en pliant sa robe avec soin. C'etait le procureur. Un huissier a annonce la cour. Au meme moment, deux gros ventilateurs ont commence de vrombir. Trois juges, deux en noir, le troisieme en rouge, sont entres avec des dossiers et ont marche tres vite vers la tribune qui dominait la salle. L'homme en robe rouge s'est assis sur le fauteuil du milieu, a pose sa toque devant lui, essuye son petit crane chauve avec un mouchoir et declare que l'audience etait ouverte.

Les journalistes tenaient deja leur stylo en main. Ils avaient tous le meme air indifferent et un peu narquois. Pourtant, l'un d'entre eux, beaucoup plus jeune, habille en flanelle grise avec une cravate bleue, avait laisse son stylo devant lui et me regardait. Dans son visage un peu asymetrique, je ne voyais que ses deux yeux, tres clairs, qui m'examinaient attentivement, sans rien exprimer qui fut definissable. Et j'ai eu l'impression bizarre d'etre regarde par moi-meme. C'est peut-etre pour cela, et aussi parce que je ne connaissais pas les usages du lieu, que je n'ai pas tres bien compris tout ce qui s'est passe ensuite, le tirage au sort des jures, les questions posees par le president a l'avocat, au procureur et au jury (a chaque fois, toutes les tetes des jures se retournaient en meme temps vers la cour), une lecture rapide de l'acte d'accusation, ou je reconnaissais des noms de lieux et de personnes, et de nouvelles questions a mon avocat.

Mais le president a dit qu'il allait faire proceder a l'appel des temoins. L'huissier a lu des noms qui ont attire mon attention. Du sein de ce public tout a l'heure informe, j'ai vu se lever un a un, pour disparaitre ensuite par une porte laterale, le directeur et le concierge de l'asile, le vieux Thomas Ferez, Raymond, Masson, Salamano, Marie. Celle-ci m'a fait un petit signe anxieux. Je m'etonnais encore de ne pas les avoir apercus plus tot, lorsque a l'appel de son nom, le dernier, Celeste, s'est leve. J'ai reconnu a cote de lui la petite bonne femme du restaurant, avec sa jaquette et son air precis et decide. Elle me regardait avec intensite. Mais je n'ai pas eu le temps de reflechir parce que le president a pris la parole. Il a dit que les veritables debats allaient commencer et qu'il croyait inutile de recommander au public d'etre calme. Selon lui, il etait la pour diriger avec impartialite les debats d'une affaire qu'il voulait considerer avec objectivite. La sentence rendue par le jury serait prise dans un esprit de justice et, dans tous les cas, il ferait evacuer la salle au moindre incident.

La chaleur montait et je voyais dans la salle les assistants s'eventer avec des journaux. Cela faisait un petit bruit continu de papier froisse. Le president a fait un signe et l'huissier a apporte trois eventails de paille tressee que les trois juges ont utilises immediatement.

Mon interrogatoire a commence aussitot. Le president m'a questionne avec calme et meme, m'a-t-il semble, avec une nuance de cordialite. On m'a encore fait decliner mon identite et malgre mon agacement, j'ai pense qu'au fond c'etait assez naturel, parce qu'il serait trop grave de juger un homme pour un autre. Puis le president a recommence le recit de ce que j'avais fait, en s'adressant a moi toutes les trois phrases pour me demander: «Est-ce bien cela?» A chaque fois, j'ai repondu: «Oui, monsieur le President», selon les instructions de mon avocat. Cela a ete long parce que le president apportait beaucoup de minutie dans son recit. Pendant tout ce temps, les journalistes ecrivaient. Je sentais les regards du plus jeune d'entre eux et de la petite automate. La banquette de tramway etait tout entiere tournee vers le president. Celui-ci a tousse, feuillete son dossier et il s'est tourne vers moi en s'eventant.

Il m'a dit qu'il devait aborder maintenant des questions apparemment etrangeres a mon affaire, mais qui peut-etre la touchaient de fort pres. J'ai compris qu'il allait encore parler de maman et j'ai senti en meme temps combien cela m'ennuyait. Il m'a demande pourquoi j'avais mis maman a l'asile. J'ai repondu que c'etait parce que je manquais d'argent pour la faire garder et soigner. Il m'a demande si cela m'avait coute personnellement et j'ai repondu que ni maman ni moi n'attendions plus rien l'un de l'autre, ni d'ailleurs de personne, et que nous nous etions habitues tous les deux a nos vies nouvelles. Le president a dit alors qu'il ne voulait pas insister sur ce point et il a demande au procureur s'il ne voyait pas d'autre question a me poser.