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On a d'abord entendu une voix aigue de femme et puis Raymond qui disait: «Tu m'as manque, tu m'as manque. Je vais t'apprendre a me manquer.» Quelques bruits sourds et la femme a hurle, mais de si terrible facon qu'immediatement le palier s'est empli de monde. Marie et moi nous sommes sortis aussi. La femme criait toujours et Raymond frappait toujours. Marie m'a dit que c'etait terrible et je n'ai rien repondu. Elle m'a demande d'aller chercher un agent, mais je lui ai dit que je n'aimais pas les agents. Pourtant, il en est arrive un avec le locataire du deuxieme qui est plombier. Il a frappe a la porte et on n'a plus rien entendu. Il a frappe plus fort et au bout d'un moment, la femme a pleure et Raymond a ouvert. Il avait une cigarette a la bouche et l'air doucereux. La fille s'est precipitee a la porte et a declare a l'agent que Raymond l'avait frappee. «Ton nom», a dit l'agent. Raymond a repondu. «Enleve ta cigarette de la bouche quand tu me parles», a dit l'agent. Raymond a hesite, m'a regarde et a tire sur sa cigarette. A ce moment, l'agent l'a gifle a toute volee d'une claque epaisse et lourde, en pleine joue. La cigarette est tombee quelques metres plus loin. Raymond a change de visage, mais il n'a rien dit sur le moment et puis il a demande d'une voix humble s'il pouvait ramasser son megot. L'agent a declare qu'il le pouvait et il a ajoute: «Mais la prochaine fois, tu sauras qu'un agent n'est pas un guignol.» Pendant ce temps, la fille pleurait et elle a repete: «Il m'a tapee. C'est un maquereau.» – «Monsieur l'agent, a demande alors Raymond, c'est dans la loi, ca, de dire maquereau a un homme?» Mais l'agent lui a ordonne «de fermer sa gueule». Raymond s'est alors retourne vers la fille et il lui a dit: «Attends, petite, on se retrouvera.» L'agent lui a dit de fermer ca, que la fille devait partir et lui rester dans sa chambre en attendant d'etre convoque au commissariat. Il a ajoute que Raymond devrait avoir honte d'etre soul au point de trembler comme il le faisait. A ce moment, Raymond lui a explique: «Je ne suis pas soul, monsieur l'agent. Seulement, je suis la, devant vous, et je tremble, c'est force.» Il a ferme sa porte et tout le monde est parti. Marie et moi avons fini de preparer le dejeuner. Mais elle n'avait pas faim, j'ai presque tout mange. Elle est partie a une heure et j'ai dormi un peu.

Vers trois heures, on a frappe a ma porte et Raymond est entre. Je suis reste couche. Il s'est assis sur le bord de mon lit. Il est reste un moment sans parler et je lui ai demande comment son affaire s'etait passee. Il m'a raconte qu'il avait fait ce qu'il voulait mais qu'elle lui avait donne une gifle et qu'alors il l'avait battue. Pour le reste, je l'avais vu. Je lui ai dit qu'il me semblait que maintenant elle etait punie et qu'il devait etre content. C'etait aussi son avis, et il a observe que l'agent avait beau faire, il ne changerait rien aux coups qu'elle avait recus. Il a ajoute qu'il connaissait bien les agents et qu'il savait comment il fallait s'y prendre avec eux. Il m'a demande alors si j'avais attendu qu'il reponde a la gifle de l'agent. J'ai repondu que je n'attendais rien du tout et que d'ailleurs je n'aimais pas les agents. Raymond a eu l'air tres content. Il m'a demande si je voulais sortir avec lui. Je me suis leve et j'ai commence a me peigner. Il m'a dit qu'il fallait que je lui serve de temoin. Moi cela m'etait egal, mais je ne savais pas ce que je devais dire. Selon Raymond, il suffisait de declarer que la fille lui avait manque. J'ai accepte de lui servir de temoin. Nous sommes sortis et Raymond m'a offert une fine. Puis il a voulu faire une partie de billard et j'ai perdu de justesse. Il voulait ensuite aller au bordel, mais j'ai dit non parce que je n'aime pas ca. Alors nous sommes rentres doucement et il me disait combien il etait content d'avoir reussi a punir sa maitresse. Je le trouvais tres gentil avec moi et j'ai pense que c'etait un bon moment.

De loin, j'ai apercu sur le pas de la porte le vieux Salamano qui avait l'air agite. Quand nous nous sommes rapproches, j'ai vu qu'il n'avait pas son chien. Il regardait de tous les cotes, tournait sur lui-meme, tentait de percer le noir du couloir, marmonnait des mots sans suite et recommencait a fouiller la rue de ses petits yeux rouges. Quand Raymond lui a demande ce qu'il avait, il n'a pas repondu tout de suite. J'ai vaguement entendu qu'il murmurait: «Salaud, charogne», et il continuait a s'agiter. Je lui ai demande ou etait son chien. Il m'a repondu brusquement qu'il etait parti. Et puis tout d'un coup, il a parle avec volubilite: «Je l'ai emmene au Champ de Man?uvres, comme d'habitude. Il y avait du monde, autour des baraques foraines. Je me suis arrete pour regarder « le Roi de l'Evasion». Et quand j'ai voulu repartir, il n'etait plus la. Bien sur, il y a longtemps que je voulais lui acheter un collier moins grand. Mais je n'aurais jamais cru que cette charogne pourrait partir comme ca.»

Raymond lui a explique alors que le chien avait pu s'egarer et qu'il allait revenir. Il lui a cite des exemples de chiens qui avaient fait des dizaines de kilometres pour retrouver leur maitre. Malgre cela, le vieux a eu l'air plus agite. «Mais ils me le prendront, vous comprenez. Si encore quelqu'un le recueillait. Mais ce n'est pas possible, il degoute tout le monde avec ses croutes. Les agents le prendront, c'est sur.» Je lui ai dit alors qu'il devait aller a la fourriere et qu'on le lui rendrait moyennant le paiement de quelques droits. Il m'a demande si ces droits etaient eleves. Je ne savais pas. Alors, il s'est mis en colere : «Donner de l'argent pour cette charogne. Ah ! il peut bien crever!» Et il s'est mis a l'insulter. Raymond a ri et a penetre dans la maison. Je l'ai suivi et nous nous sommes quittes sur le palier de l'etage. Un moment apres, j'ai entendu le pas du vieux et il a frappe a ma porte. Quand j'ai ouvert, il est reste un moment sur le seuil et il m'a dit: «Excusez-moi, excusez-moi.»

Je l'ai invite a entrer, mais il n'a pas voulu. Il regardait la pointe de ses souliers et ses mains crouteuses tremblaient. Sans me faire face, il m'a demande: «Ils ne vont pas me le prendre, dites, monsieur Meursault. Ils vont me le rendre. Ou qu'est-ce que je vais devenir?» Je lui ai dit que la fourriere gardait les chiens trois jours a la disposition de leurs proprietaires et qu'ensuite elle en faisait ce que bon lui semblait. Il m'a regarde en silence. Puis il m'a dit: «Bonsoir.» Il a ferme sa porte et je l'ai entendu aller et venir. Son lit a craque. Et au bizarre petit bruit qui a traverse la cloison, j'ai compris qu'il pleurait. Je ne sais pas pourquoi j'ai pense a maman. Mais il fallait que je me leve tot le lendemain. Je n'avais pas faim et je me suis couche sans diner.

5

Raymond m'a telephone au bureau. Il m'a dit qu'un de ses amis (il lui avait parle de moi) m'invitait a passer la journee de dimanche dans son cabanon, pres d'Alger. J'ai repondu que je le voulais bien, mais que j'avais promis ma journee a une amie. Raymond m'a tout de suite declare qu'il l'invitait aussi. La femme de son ami serait tres contente de ne pas etre seule au milieu d'un groupe d'hommes.

J'ai voulu raccrocher tout de suite parce que je sais que le patron n'aime pas qu'on nous telephone de la ville. Mais Raymond m'a demande d'attendre et il m'a dit qu'il aurait pu me transmettre cette invitation le soir, mais qu'il voulait m'avertir d'autre chose. Il avait ete suivi toute la journee par un groupe d'Arabes parmi lesquels se trouvait le frere de son ancienne maitresse. «Si tu le vois pres de la maison ce soir en rentrant, avertis-moi.» J'ai dit que c'etait entendu.