— Vous allez rester dans le couloir de la maison au rez-de-chaussée. Moi, je vais jusqu’au bout de l’impasse. Cette Blanche Perrier que le juge d’instruction nous a chargés d’arrêter ne doit pas être loin. Dès que je la verrai, je donne un coup de sifflet pour vous prévenir et vous l’abordez.
Fandor n’en entendait pas plus, mais il était suffisamment édifié :
— Bon sang de bon Dieu, jura-t-il, ça y est. Encore une gaffe de plus. Voilà que Mourier s’en mêle et que cet animal de juge d’instruction s’engage sur une mauvaise piste. Arrêter Blanche Perrier, pourquoi faire ? Pauvre petite, je ne lui donne pas cinq minutes avant de tomber entre les pattes de ces bougres-là. Eh bien, il va y en avoir une scène ici tout à l’heure.
***
Blanche Perrier, bien avant le moment où les trois policiers s’étaient introduits dans l’immeuble qu’elle habitait, avait quitté l’impasse Urbain, et, tenant le petit Jacques par la main, s’était rendue rue de la Chapelle où elle méditait d’effectuer ses emplettes. Soudain, comme elle passait sur le trottoir, elle entendit prononcer son nom. La jeune femme se retourna, ne vit personne d’abord, et elle allait continuer son chemin lorsque, derrière elle, tout près de son oreille, si près même qu’elle sentit une haleine tiède lui frôler la nuque, le même appel fut répété.
Blanche était à ce moment-là sur le bord du trottoir et dépassait sans y faire attention une voiture automobile arrêtée à proximité. La jeune femme, étonnée, se retourna. La rue était mal éclairée à cet endroit mais, malgré la quasi-obscurité qui y régnait, la jeune femme vit enfin son interlocuteur et elle sursauta. Non seulement l’homme qui l’avait appelée était coiffé d’un grand chapeau de feutre dont les bords étaient abaissés, mais il portait sur le visage un masque, un loup noir. Au même instant, Blanche Perrier sentit que quelque chose l’enveloppait, qu’elle était immobilisée, paralysée, elle voulut crier, un foulard lui comprima les lèvres. Au même instant elle se sentit enlever, jeter dans la voiture automobile qui démarra rapidement. Atterrée, la jeune femme s’efforça de s’arracher à l’étreinte qui la maîtrisait, mais quelqu’un, l’un des agresseurs qui se trouvaient avec elle dans l’intérieur de la voiture, resserra encore ses liens, et lui couvrit les yeux d’un bandeau.
La voiture ralentit. Portière claquée. Le mystérieux individu qui venait de l’enlever devait être descendu. La voiture reprit son allure, Blanche Perrier faillit s’évanouir. Elle était seule dans ce véhicule qui l’emmenait elle ne savait où, et une atroce douleur lui étreignait le cœur : on lui avait arraché son petit Jacques. Qu’était devenu l’enfant ?
Trois heures durant, la voiture continua de rouler toujours plus vite, et donnant l’impression à la captive qu’après avoir été retenue par des embarras et des rues encombrées, la machine allait désormais sur des routes désertes. On ralentit enfin. La voiture s’arrêta. Quelques instants auparavant, Blanche Perrier avait entendu neuf coups sonner à une lointaine horloge. Trois heures déjà qu’on l’avait enlevée de force, jetée dans ce véhicule mystérieux.
La portière s’ouvrit, Blanche Perrier sentit qu’une main robuste et vigoureuse la prenait par le bras, la tirait contre lui.
Son supplice ne devait plus durer. Une à une, les cordes qui la serraient se délièrent et les bandeaux qui lui couvraient les yeux et la bouche tombèrent. Ouvrant des yeux hagards et terrifiés, Blanche Perrier regarda autour d’elle. Elle se trouvait devant le perron d’une maison d’assez belle apparence dont la porte était ouverte. Un homme était à côté d’elle, un seul, celui qui l’avait enlevée, c’était assurément lui qui avait conduit l’automobile jusqu’à ce lieu. II avait toujours son loup noir sur le visage. Blanche Perrier se laissa tomber à genoux, joignit les mains :
— Que me voulez-vous ? Qu’avez-vous fait de mon enfant ?
— Je n’ai pas à répondre à vos questions, Blanche Perrier. Qu’il vous suffise de savoir que si vous exécutez les ordres que je vais vous donner, il ne vous sera point fait de mal.
— Mais mon enfant ?
— Si vous obéissez, il sera épargné. Voici une maison, dans laquelle vous allez entrer. Vous monterez au premier étage. Vous pénétrerez dans une chambre, une fois là, vous attendrez. Est-ce clair ?
— J’attendrai quoi ?
— Vous verrez bien.
Et Blanche Perrier, dont le cœur battait à rompre la poitrine, s’introduisit dans la maison conformément aux ordres reçus. Elle sentit un froid glacial lui tomber sur les épaules, cependant qu’une forte odeur de moisi et de renfermé la prenait à la gorge. S’aidant de la rampe, elle gravit un escalier large, aux marches de pierre et parvint, comme l’avait annoncé l’homme, dans la chambre, où il lui était recommandé d’attendre. Cette pièce était sombre, nullement éclairée et par la fenêtre sans rideaux, tombait un rayon de lune qui permettait à la jeune femme de se rendre compte de l’endroit où elle se trouvait. La pièce était meublée d’un grand lit de fer, d’une table ronde, de deux armoires sans glace et de chaises de paille. Machinalement, elle allait jusqu’à la fenêtre et regarda dehors. Il lui sembla qu’elle était au milieu de la campagne, dans une maison grande et de belle apparence, et qu’entouraient des arbres dont la ramure touffue lui dissimulait l’horizon. Chose curieuse, alors qu’elle s’approchait de la fenêtre. Blanche Perrier vit l’automobile qui l’avait amenée disparaître à l’extrémité d’une allée sablée qui tournait devant la maison. Son cœur se serra. Elle ne tenait pas à revoir celui qui l’avait amenée, mais elle frissonnait à l’idée de l’inconnu, se demandant de quel événement nouveau elle allait être la victime. Soudain, dans le silence, une question :
— Blanche Perrier ? êtes-vous là ?
Soudain, un bain de lumière. Blanche Perrier vit un inconnu devant elle. Il n’était pas masqué et la jeune femme, en l’apercevant, le reconnut. Elle poussa une exclamation de surprise, presque de joie :
— Monsieur, Monsieur, s’écria-t-elle, je vous reconnais, vous êtes, vous êtes…
— Je vous connais aussi, madame, je suis la personne qui, ce matin même, au palais de Justice, a eu l’occasion de s’entretenir avec vous.
Blanche Perrier poussa un soupir de soulagement.
— Monsieur, sauvez-moi. Je viens d’être enlevée par des bandits, j’ignore ce qu’ils me veulent, mais que m’importe mon sort si je sais ce qu’il advient de mon enfant ? savez-vous quelque chose ? Où est mon petit Jacques ?
— Rassurez-vous, madame, dit-il, il n’a été fait aucun mal à votre enfant, et il ne tient qu’à vous de le revoir d’ici peu, dans quelques instants même. Il est ici.
— Ah monsieur.
— Un instant, donnant, donnant.
— Qu’y a-t-il ? Qu’allez-vous me demander ?
— De vous asseoir, d’abord, et de m’écouter ensuite.
Blanche obéit, l’homme parla :
— Je tiens d’abord à vous dire, madame, qui je suis : Juve, inspecteur de la Sûreté, je vous dis mon nom pour vous seule, dans votre intérêt, je vous engage à ne faire savoir à qui que ce soit que nous sommes en relations. C’est moi, oui, c’est moi, qui vous ai fait enlever ce soir, dans une automobile à mon service.
— Monsieur, vous plaisantez ? ou alors, vous mentez, vous n’êtes pas de la police ?
— Je ne plaisante pas, madame, et je vous dis l’exacte vérité, c’est moi qui vous ai fait enlever, et voici pourquoi : par suite des insinuations, voire même des accusations portées contre vous par la famille Granjeard, M. Mourier, le juge d’instruction, a décidé cette après-midi de vous faire arrêter.
— Moi, monsieur ?
— Vous, madame, précisa l’homme qui poursuivit :
— Sans mon intervention, à l’heure qu’il est, vous coucheriez en prison. Or cela m’a déplu, et j’estime que le juge fait une maladresse en voulant s’emparer de vous. Je vous ai donc fait fuir, dissimulée à ses recherches. Vous pouvez m’en être reconnaissante.
Blanche avait écouté avec stupeur le début de ce récit. C’était d’abord un sentiment de gratitude qu’elle éprouvait pour cet homme, mais une seconde pensée lui vint à l’esprit :