— Ne te fâche pas, le Bedeau, nous ne voulons pas t’attirer d’ennuis, bien au contraire et la meilleure preuve, c’est que j’ai été moi-même, il y a quelques instants, dans les caves d’où tu venais, j’ai regardé, fouillé partout, aussi loin que j’ai pu voir, il n’y a personne dans les souterrains, pas le moindre revenant.
— Ah, dit le Bedeau, et la cassette ? le trésor ? est-ce qu’il est toujours là ?
— Je suppose, nul n’a touché à rien et si le cœur t’en dit, tu peux retourner voir.
— Oh, fit-il, ce ne sont pas les vivants qui m’inquiètent. C’est même tout juste si j’ai peur des morts. Allons, bonsoir vous autres, et tâchons d’être sages.
15 – LA PRISON MYSTÉRIEUSE
Le Bedeau ne s’était pas plutôt éloigné, hochant la tête, l’air complètement rassuré, mais somme toute convaincu qu’il n’y avait plus de revenants à craindre, que Blanche Perrier bondissait vers le rideau derrière lequel était dissimulé Riquet.
Riquet n’attendait naturellement que le geste de la jeune femme pour sortir. Le gosse abandonna sa cachette, et souriant, il lança :
— Bonsoir, M’sieu dame. Alors il est parti le croque-mitaine ? C’est pas dommage.
Puis, comme Blanche et Hélène, encore secouées, le considéraient des pieds à la tête, sans savoir par où commencer, Riquet reprit :
— Dites donc on va pas jouer à la muette ? Ça serait-y par hasard que vous tombez amoureuses de moi, que vous êtes là, toutes les deux, à me regarder, sauf vot’ respect, comme M. Miracle ? C’est bien moi, quoi.
Blanche, la première, retrouva son sang-froid :
— Mon petit Riquet, où sommes-nous ?
— Çà, répondit-il, je ne sais pas, vraiment pas du tout. On est dans une tôle qui n’est pas mal, une boîte à nonnes et à curés, puisque vous le dites, Madame Blanche, mais, moi, je n’en sais rien de rien.
Blanche l’interrompit :
— Oui, notre gardien vient de dire que c’est un ancien couvent. Mais enfin, comment es-tu ici ? d’où viens-tu ? avec qui es-tu ?
Riquet leva les bras au ciel :
— Ah suffit, cria-t-il, fermez le robinet, madame Blanche, vous m’ahurissez. Comment je suis ici ? Et d’où je viens ? et où que je vais ? D’abord et d’une, voilà mon histoire. Hier, je flânais aux environs de Saint-Lago, sauf vot’ respect, Mam’zelle – et le gosse s’adressait à Hélène – c’est le moment où vous êtes montée dans le carrosse de la Préfectance. Bon, et d’une. Tandis que vous filiez grand train, moi, je remarque à quelque distance de Saint-Lago, une automobile et une bath, dans le genre de celle que je me paierai quand je serai milliardaire. Cette auto-là, il n’y avait qu’une seule personne dedans : le nommé Juve.
— Juve ? s’écriaient à la fois Hélène et Blanche. Juve ? Mais c’est lui qui nous retient prisonnières ici ?
Riquet ne se troublait nullement :
— Laissez-moi débiner mon truc ! Donc, Juve était dans cette voiture et il avait l’air de zyeuter terriblement du côté du « panier à salade ». Bon, que j’me dis. Va sûrement y avoir quéque chose d’intéressant à observer. Seulement, voilà, comme Juve était dans une automobile, y avait des chances pour qu’il se tire des pattes avec, et que vot’ serviteur ne puisse rien voir de ce qui allait se passer.
— Alors, Riquet ? plus vite. Tu nous fais mourir.
— J’aurais pas cru, je me presse. Donc, je vous disais que Juve allait se carapater. Chose mauvaise que je pense et illico, sans prévenir personne, je tourne autour de la voiture. Derrière, sous les pneus de rechange, j’avise un coffre : naturellement, je l’ouvre, le coffre était vide, oh oh, que j’me dis, y aurait bien un moyen de le remplir, et immédiatement je me colle dedans. Le temps de rabattre la porte, le couvercle quoi, et me v’là dans la voiture, ah mes enfants, mes côtes, mes reins, ça a duré trois heures. Pendant trois heures on a filé, et bon train, je vous assure. Je me disais : si jamais le patron s’aperçoit que je me suis fichu dans son coffre, il est capable de me débarquer en pleine campagne et de me laisser revenir à pied. Là-dessus, l’auto s’arrête. Par une fente, j’arrivais toujours à voir que je ne voyais rien et que c’était la nuit. Très bien. Je n’entendais pas grand-chose, mais tout de même y avait la voix de Juve qui m’arrivait de temps en temps. Le patron donnait des ordres. De mieux en mieux que j’me dis, et comme j’avais voyagé sur le côté gauche, je me couche un peu sur le côté droit, pour ne pas être tout à fait en capilotade.
— Et alors Riquet ?
— Alors dame, on fait le poireau comme ça un certain temps, puis, tout d’un coup, je sens qu’on embarque quelque chose dans la voiture, les ressorts fléchissent, bref, on va repartir, je ne me trompais pas. Deux secondes après le moteur ronfle, on détale à nouveau, zou, ça a duré trois heures cette nouvelle course-là et pendant trois heures, je n’ai eu d’autre préoccupation que de me caler confortablement, dans mon coin. Je me disais : est-ce qu’on rentre à Paris ? ou est-ce qu’on s’en éloigne ? ah ouitche, pas moyen de le savoir ! Enfin, la mécanique s’arrête. Très bien. J’attends encore. Pas de bruit. Pas de voix. Personne. Tiens que je pense, si j’allais faire un tour ? J’ouvre mon coffre, je sors, je me dis : où que je vas être ? mes agneaux, j’étais ici.
— Ici ? tu étais ici, Riquet ? cria Blanche. Mais où que c’est, ici ?
— Dame ! Je me le demande, ripostait Riquet, c’est pas dans mon coffre que j’ai pu voir le chemin.
— Mais quand tu es sorti de la voiture ?
— Quand je suis sorti de la voiture, j’ai vu que j’étais dans une grande propriété, seulement comme je n’étais pas certain que le propriétaire soit de mes amis, j’ai préféré pas insister. Au lieu de monter l’escalier d’honneur, je me suis faufilé le long des bâtiments. Je vois une petite porte. C’est peut-être par là qu’on s’en va ? J’ouvre la porte, il y avait là un escalier, je le descends. Boum, je tombe dans les caves, ah, zut alors, qu’est-ce qu’elles sont grandes, les caves. Riquet, que je me dis, tu vas te perdre là dedans, et ça sera le diable pour te sortir, enfin n’importe comment, j’avance toujours. C’est plus fort qu’une histoire des Mille et Une nuits ce qui m’arrive. Figurez-vous mesdames, qu’au beau milieu de ma promenade, je rencontre un type qui a un levier dans les mains, une lanterne près de lui, et qui creuse dans le sol. Naturellement, je mets ma casquette à la main, je m’apprête à lui demander le chemin. Ah, ouitche, dès qu’il me voit, c’t’imbécile là, il se met à hurler comme une baleine, qu’il y a des fantômes et qu’il faut pas que je l’étrangle, et patati et patata. C’est le moment que vous êtes arrivée, Mam’zelle Hélène, vous savez le reste.
Hélas, ce que Blanche et Hélène savaient, n’était pas de nature à les rassurer. L’invraisemblable aventure de Riquet, caché dans l’automobile de Juve, tombant à l’improviste, sans être vu de personne dans le château mystérieux, ancien couvent, n’était pas faite pour les rassurer.
Riquet, sa confession terminée, son histoire racontée s’assit tranquillement et tranquillement encore, tira de sa poche, un bout de mégot, qu’il alluma avec un sourire béat :
— Et puis, c’est pas tout ça, déclara-t-il, ayant, à son tour, questionné les deux femmes, et appris comment elles se trouvaient dans le château. Je ne dis pas, que ce n’est pas gentil ici, mais j’aimerais autant me trouver sur le pavé de Pantruche. Faudrait voir à s’en aller, hein ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
Hélène et Blanche étaient bien de l’avis du gavroche. S’en aller. Quitter la prison où elles pensaient mourir de peur et d’ennui. Ah, certes, Hélène et Blanche eussent fait des prodiges pour y réussir, mais hélas, elles ne trouvaient guère le moyen pratique leur permettant de franchir ces hautes murailles, pour se délivrer de la surveillance du Bedeau et pour fuir.
— Mon pauvre Riquet, dit Blanche, j’ai bien peur que tu ne te sois fait prendre à un terrible piège. Tu as toi, toute confiance en Juve, mais pourtant tu conviendras que sa conduite est étrange. Et puis surtout…