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— Malédiction !

Tous deux, en effet, avaient entendu que de l’extérieur, des voix avaient répondu à l’appel :

— Courage, avait crié quelqu’un, courage, on arrive !

Fantômas trépignait de colère, et se rendait compte que c’était désormais une lutte de vitesse, pour lui, avec les sauveteurs éventuels de Blanche, lutte dans laquelle il fallait triompher.

— Blanche ordonna-t-il, laisse-toi prendre. Obéis-moi, ta mort est certaine, mieux vaut pour toi qu’elle soit douce et rapide. Si tu résistes elle sera d’autant plus douloureuse.

Blanche se mit à rire. Se laisser prendre ? Ah, plutôt tout faire, même l’impossible. Désormais, elle se sentait un courage inouï pour résister. N’avait-elle pas entendu dire : on vient ? N’était-elle pas sûre que, dans quelques minutes, les hommes dont elle entendait le bruit des pas allaient venir l’arracher au monstre qui la menaçait ?

Mais Fantômas ne se résignait pas à laisser échapper ainsi sa victime, dont la mort revêtait une si grande importance à ses yeux. Le bandit avait jeté son arme, désormais inutile. Il poursuivait la malheureuse, courant après elle dans la pièce mal éclairée, encombrée d’un extraordinaire désordre : bassines de zinc, étagères en bois. De tous côtés, des ficelles étaient tendues comme pour supporter du linge. Il y avait de longues tables en équilibre sur des tréteaux. Toutes choses qui constituaient des obstacles et rendaient la poursuite de Fantômas plus difficile, la protection de Blanche Perrier plus certaine.

Mais soudain, au moment où Blanche échappait encore une fois à son terrible poursuivant, elle se sentit arrêtée net, renversée en arrière et elle ne comprenait pas pourquoi.

La chose cependant était simple : sa longue chevelure venait de se prendre dans un instrument bizarre, mais dont la présence dans cette ancienne buanderie s’expliquait. Ses lourdes nattes s’étaient engagées entre les deux cylindres en bois d’une machine à calendrer le linge, et dès lors, il semblait à le jeune femme que tout mouvement lui fût interdit. Fantômas, en une seconde, s’apercevait de la situation, et poussait un cri de triomphe, car il se rendait compte de tout le parti qu’il pouvait en tirer.

D’un geste violent, le monstre s’empara de la manivelle, et lui imprimant un mouvement brusque, il actionna la crémaillère. Celle-ci fit tourner le cylindre, et dès lors un cri effroyable de douleur humaine retentit, cependant que les yeux de Fantômas, pourtant habitués à voir tant d’horribles choses, se détournaient une seconde, pour ne pas contempler ce spectacle.

Attirée entre les deux rouleaux, et comme prise dans un engrenage, la chevelure épaisse et lourde de Blanche Perrier avait disparu, puis une force invincible avait attiré la tête de la jeune femme contre les rouleaux mêmes. L’effort continuait, un craquement effroyable se produisit, et tout à coup, en une seconde l’infortunée Blanche Perrier était scalpée vivante, sa peau s’arrachait à la nuque, entraînait ses oreilles, son front, ses joues, ne firent plus qu’une bouillie sanglante.

Mais Fantômas, après son premier mouvement d’émotion, prit une décision définitive. Hurlant sa rage et sa colère, il apostropha la malheureuse :

— Crève donc et qu’il ne soit plus question de toi.

Il ramassa le revolver qu’il avait lâché, en assena un coup violent sur le crâne de la pauvre femme, dont la cervelle jaillit de toutes parts.

Il était temps, Fantômas entendait toute une troupe de gens qui s’appelaient les uns les autres :

— La police, grommela-t-il, eh bien, ils s’en arrangeront.

Avec une surprenante agilité, repoussant du pied le cadavre qui baignait dans une mare de sang, Fantômas s’aida de la machine à calandrer pour monter jusqu’au niveau d’une fenêtre percée haut dans la pièce, puis, ouvrant la croisée, il sauta dans le vide, tomba dans le jardin, disparut dans la nuit.

Il s’était à peine enfui, que la porte de la buanderie s’ouvrait, un policier pénétra et s’arrêta sur le seuil, terrifié.

C’était Michel, l’un des meilleurs policiers, inspecteur de la Sûreté.

— Trop tard, murmura-t-il.

Puis d’une voix vibrante, il appela :

« Juve, Juve, venez donc. »

20 – LE BATEAU DES MOUCHES

Pris par derrière, violemment jeté sur le sol, accablé par une grêle de coups de poing qui lui meurtrissaient le crâne, Jérôme Fandor, au moment même où il pensait se saisir de Fantômas, avait été renversé et mis dans l’impossibilité de se défendre sans qu’il eût trop le temps de se rendre compte de ce qui se passait.

— Eh bien, pensait Fandor, elle est saumâtre, celle-là. Je vois le Fantômas devant moi. Je m’élance pour l’attraper. Je tends le bras et crac. C’est lui qui m’attrape par derrière, c’est lui qui me tambourine la tête avec ses poings. Il y a de quoi renoncer aux plus louables intentions.

Jérôme Fandor, en même temps, essayait de se dégager. Jamais, avec son caractère intrépide, son courage à toute épreuve, il n’eût accepté de ne point résister à un agresseur quelconque. De plus, instinctivement, et bien qu’il n’eût vu personne, il avait l’intuition que c’était Fantômas qui s’acharnait sur lui. C’était là un motif suffisant pour le pousser à résister de son mieux. À tâcher d’échapper à son agresseur, même si en résistant il risquait d’augmenter sa rage et de recevoir un coup de poignard ou quelques balles de revolver.

— Gigotons, se disait Fandor.

En conscience, Fandor s’appliquait à « gigoter » de son mieux. On lui maintenait la tête contre le sol. De la terre lui entrait dans les yeux, dans le nez, dans la bouche. Il étouffait à moitié, mais, profitant de ce que ses jambes étaient encore libres de toute entrave, que ses bras n’étaient point ligotés, il ruait tout en s’efforçant de secouer le poids qu’il avait sur la tête. Les ruades de Fandor ne rencontraient que le vide et, en voulant libérer sa tête, il parvenait tout bonnement à s’enfoncer le visage plus profond dans le sable, à se meurtrir douloureusement. Voilà. Il étouffait. L’horrible sensation de la mort commençait, que c’en était fini de lui et que selon son expression favorite : « le petit bonhomme était fichu ».

Fandor, heureusement, avait plus d’un tour dans son sac. Au moment même où il se sentait mourir, philosophe, il décida :

— Sapristi, puisqu’il le faut, mourons.

Cette décision, à laquelle se résignait si à propos Fandor était en réalité le fruit d’une réflexion fort avisée. Le journaliste, en effet, ne s’illusionnait pas le moins du monde sur le péril réel où il se trouvait :

— Si je continue à me débattre, se disait-il, il est évident que le premier résultat auquel je vais arriver sera de me faire tuer complètement, ensuite de me faire briser le crâne par l’énergumène qui me tient en sa puissance. Au contraire, si je meurs, il va me lâcher et dame, alors, j’ai une petite chance de ressusciter le moment venu.

— Mourons, dit Fandor.

Une dernier fois ses jambes battirent l’air, puis il ne résista plus, mou comme un sac de son. Et il mourut.

À présent, l’assassin ne le sentant plus se débattre, desserrait un peu son étreinte, cessait de le frapper, Fandor eut tout juste le temps de happer une bouffée d’air, de reprendre connaissance. Déjà, il se sentait saisi par les pieds, emporté en l’espace de quelques mètres, puis, jeté brutalement dans quelque chose, une caisse peut-être, où il se meurtrissait douloureusement, et là, enfin, réellement, il perdit conscience.

***

Quand il revint à la vie, il s’aperçut avec stupeur, non seulement qu’on venait de le précipiter dans un tonneau, mais encore qu’on avait rabattu le couvercle de ce tonneau, et qu’en grande hâte, à vigoureux coups de maillet, on en clouait le couvercle.

Certes, il avait frôlé la mort de près nombre de fois. Nombre de fois il avait senti le souffle glacial du sépulcre lui effleurer le front et il était toujours prêt à faire le sacrifice de sa vie, mais là, il eut peur, ou presque.

— Bouclé, se dit-il, je suis irrémédiablement bouclé dans ce tonneau. Hum, c’est un drôle de cercueil que l’on m’a choisi.

Et, comme il était très faible, étourdi encore par les coups qu’il avait reçus, mal remis de sa syncope, il demeura sans mouvement, cependant que l’on continuait de clouer le couvercle de son cercueil.