Fandor fit jouer la combinaison permettant d’ouvrir l’intrigante petite boîte, il amena les lettres H.E.L.E.N.E.
— « Hélène », se disait le journaliste. À coup sûr Fantômas doit avoir pris le nom de sa fille comme combinaison.
Le journaliste, une fois encore, venait d’être bien inspiré. À peine avait-il formé le nom que la serrure rendit un petit craquement, la patte formant le cadenas se souleva d’elle-même, un ressort poussa le couvercle, le coffre s’ouvrit, il était vide.
De rage, Jérôme Fandor rejeta la boîte :
— Ah, nom d’un chien, j’arrive trop tard.
Au même moment, un formidable coup de point l’atteignait à la tempe, cependant qu’une voix gouailleuse lui hurlait aux oreilles :
— Eh bien, j’arrive à temps, moi, ah punaise, c’est comme ça que tu cambrioles à domicile ? Attends voir que je t’aplatisse.
Jérôme Fandor – qui, dans son ardeur à ouvrir la boîte, ne s’était nullement aperçu que quelqu’un avait pénétré dans la pièce, quelqu’un qui n’était autre que le Bedeau, – s’écroula sur le sol, à demi étourdi par le coup de poing formidable qui venait de lui être assené.
Il tomba, mais sans perdre sa présence d’esprit pour autant.
— Mon vieux Bedeau, criait Fandor, on a des comptes à régler, rends-toi ou gare à ta peau.
— Gare à la tienne, hurla le Bedeau.
Le jeune homme n’eut pas le temps de prendre son revolver dans sa poche. Il n’y songeait peut-être point dans l’angoisse de la minute. En revanche, il s’empara d’une autre arme, d’une arme terrible. Et, tandis que le Bedeau s’élançait vers lui, le bras levé, un eustache affilé à la main, Jérôme Fandor, ramassant sur le sol l’un des carreaux qu’il avait déplacés pour trouver le coffret, se relevait, évitait le coup de l’apache et le frappa violemment au visage avec la brique qu’il tenait :
— Rends-toi, hurla-t-il.
Aveuglé, étourdi, le Bedeau avait reculé.
— Je vais te saigner, salaud ! criait l’apache.
Et, prêt à subir un nouveau choc, Fandor, le dos au mur, s’apprêta à bondir. Or, à ce moment même, la porte de l’étroit logement s’ouvrit. Et Fleur-de-Rogue entra, hurlant :
— Acré, la paix, fais attention, l’Bedeau, v’là l’grand mec qui monte, il est sur mes talons.
Fandor vit la situation d’un coup d’œil. Arrêter à lui seul le Bedeau dans cette maison où chacun s’ameuterait probablement pour délivrer son prisonnier, il n’y fallait pas songer. Quelqu’un montait, Fleur-de-Rogue venait de le crier. Quel était ce quelqu’un ? à coup sûr un ami du Bedeau.
Fandor pensait :
— Le coffret est vide, l’argent n’est plus là, je n’ai plus rien à faire ici. Et, vif comme à son ordinaire, Jérôme Fandor, au moment même où Fleur-de-Rogue allait l’apercevoir, bondit sur la jeune femme. Le journaliste saisissant la pierreuse par la taille, l’enleva littéralement de terre, la jeta sur le Bedeau, qui manqua rouler sur le sol en recevant ce projectile d’un nouveau genre : Fandor, de son côté, sans s’occuper des cris du Bedeau et de Fleur-de-Rogue, se hâta de s’enfuir, claquant la porte derrière lui. Mais au lieu de prendre l’escalier, il courut jusqu’au fond du corridor, de l’autre côté du palier. Le journaliste était à peine caché dans l’ombre, qu’il voyait en effet, une silhouette d’homme se diriger de l’autre extrémité du couloir, vers la chambre du Bedeau.
— Bien du plaisir, pensa Fandor, je reviendrai demain, mes bons amis.
Et sans demander son reste, le journaliste reprit l’escalier, le dégringola à toute allure avec la vague idée que peut-être, une fois dehors, il trouverait des agents, pourrait revenir.
Or, tandis que Fandor s’enfuyait, dans la chambre du Bedeau, l’apache repoussant sa maîtresse s’emportait :
— Sacrée sale môme, hurlait-il. Ah, je t’étranglerai ce soir, saloperie que tu fais. Au moment où j’allais aplatir cette vermine, faut qu’t’arrive et qu’il foute le camp. Ah, nom de Dieu ! Et le coffret qui est vide et le pèze qu’il emporte. Ah, si jamais Fantômas venait.
Fleur-de-Rogue, encore suffoquée d’émotion haleta :
— Mais justement, le Bedeau, je venais te prévenir, Fantômas monte. Il est derrière moi. Sur mes talons. Tiens.
Fleur-de-Rogue n’acheva pas. D’un vigoureux coup d’épaule, quelqu’un du dehors, arrachait la porte de ses gonds, apparaissait à l’entrée de la chambre, riant, se croisant les bras, hautain et dédaigneux. C’était Fantômas. Alors le Bedeau vit rouge. Il ne s’était pas aperçu qu’au cabaret du Drapeau, en lui confiant le coffret à garder, Fantômas s’était joué de lui, subtilisant adroitement les billets de banque et ne laissant à sa garde qu’un coffret vide. Le Bedeau découvrant le coffret ouvert par Fandor, était donc persuadé que Fandor venait d’emporter les billets de banque. Et juste à ce moment Fantômas apparaissait. Qu’allait dire Fantômas ? Le Bedeau ne se faisait pas d’illusion. Il devinait la colère du chef, il devinait qu’il allait être condamné à mort et, peut-être, exécuté sur l’heure.
— Mort pour mort, pensa le Bedeau, il ne sera pas dit que je ne ferai pas tout au monde pour sauver ma peau.
Et, tandis que Fantômas le contemplait sans mot dire, l’apache, d’un mouvement plus vif que la pensée, abandonna son eustache pour se saisir d’un revolver qui gonflait la poche de sa veste. Le Bedeau ajusta Fantômas, appuya sur la détente, fit feu en pleine poitrine :
— Crève donc Fantômas, gueula le Bedeau.
Un éclat de rire lui répondit. Fantômas avait-il été atteint par la balle ? Mais oui, Le Bedeau avait tiré de trop près pour pouvoir le manquer. Pourtant, Fantômas n’était pas tombé. D’une voix calme, il disait à son adversaire :
— Mais mon pauvre Bedeau, tu deviens fou, est-ce que tu ne sais pas que l’on ne me tue pas, moi.
Or, Fantômas, recevant en pleine poitrine un coup de feu et n’étant même pas blessé, c’était, aux yeux du Bedeau, quelque chose de si étrange, que l’apache, une fois encore, perdait la tête. Il avait d’abord été certain d’atteindre Fantômas. Se rendant compte qu’il l’avait manqué, il n’avait pas douté que Fantômas allait immédiatement se jeter sur lui, le punir immédiatement de sa tentative d’assassinat. Et voilà que Fantômas demeurait calme. Mieux, il riait. Le Bedeau, d’un mouvement fou, repoussa Fleur-de-Rogue qui, terrifiée se serrait contre lui. En deux enjambées, l’apache traversa la chambre, d’un coup de poing, il fit voler en éclats la vitre où la balle de revolver, en ricochant sans doute, avait marqué une étoile, il enjambait la barre d’appui, il sauta. Fantômas eut juste le temps de courir à la fenêtre et d’apercevoir le Bedeau qui, tombé sur un toit s’enfuyait en dégringolant par la lucarne entr’ouverte. Et Fantômas, voyant cette fuite, haussait les épaules et murmurait :
— Quel imbécile.
24 – LA SILHOUETTE MYSTÉRIEUSE
— D’abord, avec vos billets de troisième, mes petites demoiselles, vous n’avez pas le droit de rester dans l’express. Et puis, d’ailleurs, vous seriez rudement embêtées de vous y trouver. Car il ne s’arrête pas à la station où vous descendez. Pensez donc, Rion-des-Landes, c’est une gare de rien du tout, si les grands trains s’y arrêtaient, ils n’arriveraient jamais à destination. Descendez de voiture et prenez patience, vous monterez dans l’omnibus, tout à l’heure, il part du quai n° 6, à dix heures quarante et une.
Ces renseignements étaient fournis, dans la gare de Saint-Jean, à Bordeaux, par un employé complaisant et jovial, à deux jeunes femmes qu’accompagnait un petit enfant, et que l’employé venait de faire descendre du rapide de Paris quelques instants auparavant.
Les deux femmes descendirent, avec le petit enfant et les nombreux paquets qu’elles possédaient, sur le trottoir.
Il n’était que huit heures du matin : elles avaient près de trois heures à attendre, et le séjour dans le vaste hall de la gare où retentissaient de perpétuels coups de sifflets, le halètement des machines ou le sourd grondement des trains en marche, cependant que le vent soulevait des nuages de poussière, n’avait rien de bien réjouissant.