— Écoutez, Monsieur…, commença-t-il.
— Ne discutons pas, je vous en prie, fit-il, je me fais là, bénévolement, l’intermédiaire d’une cause excessivement délicate à plaider. J’agis dans votre intérêt. Personnellement je n’en tire aucun avantage, je n’ai qu’une chose à vous dire : c’est un million ou l’arrestation, un million tout de suite.
M me Granjeard attira Juve à part, elle s’approcha avec lui de la fenêtre :
— Monsieur, demanda-t-elle en étouffant le son de sa voix, sur tout ce que vous avez de plus sacré, jurez-moi que vous m’avez dit la vérité lorsque vous avez accusé mon fils Paul.
Imperturbable et cynique, Fantômas répondit :
— Je vous le confirme, Madame, c’est votre fils Paul qui a tué Didier.
— C’est bien, monsieur, dit M me Granjeard. Je veux que cette affaire-là s’arrange, qu’elle s’arrange à tout prix, vous aurez cet argent, monsieur, je m’en occupe immédiatement.
M me Granjeard fit signe à son fils Robert, de quitter la pièce, Paul Granjeard restait en tête à tête avec le faux policier :
— Que vous a dit ma mère ? interrogea Paul d’un ton plein d’anxiété.
Fantômas n’en n’était pas à un mensonge près :
— M me Granjeard parle de se tuer, elle est affolée à l’idée que, peut-être, on va s’apercevoir, découvrir que c’est elle qui, dans un moment de folie a frappé mortellement votre frère Didier et elle veut que je paie ce qu’il faut pour acheter les silences, pour désorienter la Justice.
— Ah Monsieur, murmura Paul Granjeard, faites cela, je vous en conjure. Merci. Merci.
Paul Granjeard, à son tour, s’éclipsa, mais il revint au bout d’un instant, d’un geste suppliant, il s’adressa à Juve :
— Monsieur, fit-il, le temps de réaliser la somme importante qu’il faut et elle est à votre disposition.
Fantômas fronça le sourcil :
— Ne pouvez-vous pas la donner aujourd’hui ?
— Demain seulement, fit Paul Granjeard inquiet, mais demain, je vous le jure. Viendrez-vous la chercher ?
Le bandit réfléchissait, il était perplexe, ennuyé :
— Demain, fit-il, c’est bien long. J’aurais préféré… j’ai peur pour vous.
Mais, Fantômas comprenait que les Granjeard réellement n’avaient pas l’argent disponible et que, par conséquent, il serait parfaitement inutile d’insister, il accepta :
— Toutefois, fit-il, nous ne savons pas si nous ne sommes pas surveillés les uns et les autres, il importe de détourner les soupçons : voulez-vous, nous nous verrons ailleurs que dans votre domicile ? Demain, précisément, je fais une filature aux environs de Montrouge, voulez-vous que nous nous rencontrions à huit heures pour dîner au restaurant de L’Épervier, rue Froidevaux, derrière le cimetière Montparnasse ? Ma présence, dans ce lieu ne surprendra personne, et la vôtre passera inaperçue.
Les deux hommes prenaient rendez-vous pour le lendemain à huit heures au restaurant de L’Épervier.
***
— À qui ai-je l’honneur de parler ?
M. Havard, directeur de la Sûreté, venait de poser cette question à un homme d’une trentaine d’années, correct, distingué, tout vêtu de noir et qui avait demandé à être introduit auprès de lui pour une affaire importante, disait-il, et de la plus grande urgence.
Conformément à son habitude, M. Havard qui tenait toujours à faire le plus de choses possibles par lui-même avait reçu l’inconnu, et maintenant qu’il se trouvait en tête à tête avec lui, dans son cabinet, où le visiteur n’avait pas à craindre d’indiscrétions, le chef de la Sûreté l’invitait à se nommer.
L’inconnu obéit :
— Je suis, déclara-t-il, Monsieur Robert Granjeard.
M. Havard hocha la tête avec un geste poli, n’ayant pas l’air du tout de se souvenir de ce nom qui, depuis quelque temps avait défrayé la chronique judiciaire de tous les journaux et provoqué les commentaires les plus divers et les plus variés.
— De quoi s’agit-il, Monsieur Robert Granjeard ? demanda le chef de la Sûreté.
— Eh bien voilà, fit le jeune homme : ma famille, monsieur, est la victime d’un chantage, d’un odieux chantage qu’on exerce contre elle, actuellement, et dont il faut que nous sortions à tout prix. Ma mère est affolée depuis la mort de mon frère Didier. Mon frère Paul a des hésitations incompréhensibles. Moi seul conserve un peu de sang-froid dans cette affaire. C’est pour cela que je viens vous parler.
M. Havard, habitué aux confidences les plus étranges, aux révélations les plus extraordinaires, ne se troublait pas :
— Monsieur, fit-il d’une voix aimable et pour mettre son interlocuteur à son aise, je vais vous demander de procéder avec netteté et méthode dans ce que vous allez me raconter. S’agit-il, d’abord, d’un chantage effectué ou d’une tentative de chantage ?
— D’une tentative, monsieur, seulement.
— Bien, murmura le chef de la Sûreté, rien n’est encore perdu. Maintenant, poursuivit-il, veuillez me raconter votre histoire par le commencement et me dire par suite de quelles circonstances vous avez été atteint par ces menaces et pourquoi votre frère et votre mère ne paraissent pas aussi nettement disposés que vous à les écarter ?
— Ça, je n’en sais rien, fit Robert Granjeard, répondant à la dernière question.
Et il ajoutait :
— Vous verrez vous-même. Monsieur le chef de la Sûreté quels sont les mobiles que vous devez attribuer à leurs hésitations.
Robert Granjeard, alors, raconta à M. Havard tout ce qu’il savait de l’extraordinaire et dramatique aventure, survenue depuis la mort de leur père : l’assassinat de Didier, l’arrestation de son frère et de sa mère, le faux testament, l’inculpation morale de Jérôme Fandor et le meurtre, enfin, de Blanche Perrier.
Puis, Robert Granjeard en vint aux entretiens que sa famille avait eus avec la personne qui, dans toutes ces affaires semblait les avoir guidés :
— Ce qu’il y a de plus extraordinaire, déclara-t-il, c’est que cette affaire a été menée par l’un des hommes qui jouit assurément de la réputation de probité la plus grande et dont le nom même est synonyme, de conscience, honneur et de devoir. Je sais cela, je me le suis répété chaque jour et malgré mes efforts, je suis obligé de convenir aujourd’hui que j’ai été aveuglé, aveuglé volontairement plus qu’on ne peut l’être et que ce grand honnête homme à qui nous avons, comme bien d’autres, accordé notre confiance, n’est qu’un effroyable maître chanteur.
— Mais de qui voulez-vous parler ?
— Je veux parler de Juve.
Havard haussa les épaules. Mais Robert Granjeard tenait à son idée :
— Tout ce que je vous ai raconté, fit-il, tous les propos que je vous ai rapportés, les demandes qui nous ont été faites, tout cela émane de Juve, c’est Juve qui est venu, que j’ai vu comme je vous vois, que j’ai entendu comme je vous entends.
— Mais Monsieur, tout cela me paraît bien invraisemblable et je crois que le plus simple serait, puisque vous prétendez être en relations avec Juve, que vous nous ménagiez un rendez-vous, afin que nous puissions causer de cela tous les trois.
— Non, Monsieur, fit-il, il ne faut pas d’un rendez-vous privé, d’une entente préalable. D’ailleurs, nous avons promis à Juve, du moins mon frère et ma mère ont promis à Juve de garder sur ces incidents le plus grand secret. Juve trouverait moyen de nous duper encore et c’est moi qui aurais l’air d’un imposteur. Écoutez, Monsieur, il n’y a qu’un moyen de procéder lorsqu’on a affaire à des gens aussi redoutables et aussi habiles, c’est de les prendre sur le fait, la main dans le sac. Rendez-moi un service, un grand service ? sauvez-nous.
— Qu’entendez-vous par là ? fit M. Havard…
— J’entends, précisa Robert Granjeard d’abord, que vous ne souffliez mot de cet entretien à personne et qu’ensuite vous alliez demain soir au rendez-vous que nous a assigné Juve, le maître chanteur, nous aurons le million qu’il a demandé, ce million, nous le lui remettrons et alors, à ce moment, j’espère que vous serez convaincu. Nous devons nous réunir demain soir à huit heures au restaurant de L’Épervier, 32, rue Froidevaux.