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Ce qui l’émouvait, c’était le son de la voix de Fantômas, c’était l’attitude anéantie du bandit.

Et Juve, avec un sourire froidement railleur, répondit :

— Allons donc. Tirez si vous l’osez, Fantômas. Mais prenez garde de lâcher prise, je vois vos mains qui glissent. Trois cents mètres. Songez-y bien.

Et certes, Juve ne parlait pas au hasard. À l’attitude du monstre, il avait deviné le drame effroyable qui se débattait en son âme, Fantômas pouvait bien avoir un revolver, pouvait bien le menacer, c’était lui, Juve, le plus fort. Si Fantômas s’était arrêté dans sa fuite, il était là immobile, livide, défaillant, c’est que le vertige, un épouvantable vertige s’était emparé de lui.

Certes, la situation de ces deux hommes suspendus à trois cents mètres de haut, dans l’inextricable forêt métallique que constituent les montants de la tour, était épouvantable. Mais Juve méprisant le vertige, ne connaissait pas la peur. Fantômas, au contraire, ne pouvait dompter l’attirance de l’abîme. Incapable de répondre aux seules paroles de Juve, il fixait de ses yeux hallucinés, le sol lointain, creusé, indistinct.

Le Maître de l’Effroi qui jusqu’alors avait ignoré l’épouvante, maintenant suait l’angoisse.

— Il va lâcher prise, pensait Juve, il va se tuer.

L’horreur était si bien marquée, d’ailleurs, sur le visage de Fantômas, que Juve éprouvait, sans même sans rendre compte, une véritable commisération pour son ennemi épouvanté.

— Fantômas, cria Juve, lâchez votre revolver, il tombera au second étage où il n’y a personne. Tenez-vous bien je vole à votre secours.

Mais que se passa-t-il alors dans l’âme du tortionnaire ? Aux paroles de Juve, Fantômas tressaillait violemment. On eût dit qu’il se réveillait d’un cauchemar épouvantable. Une crispation atroce défigurait ses traits.

— Juve, Juve, râlait le bandit, vous ne m’aurez pas vivant. Jamais.

En même temps, Fantômas jeta dans le vide, non seulement son revolver, mais encore la serviette bourrée de billets de banque.

Un rire effroyable, un rire où des cris passaient, s’échappait de sa gorge. Et Juve, impuissant, vit le bandit se dresser sur les montants de la tour, se jeter dans le vide.

— Le malheureux, s’écria le policier.

Mais le cri de compassion qui s’échappait des lèvres du policier se changea en cri de rage.

— Ah malédiction !

Le bandit venait d’inventer une ruse dernière, une ruse qui le sauvait. Fantômas ne s’était pas renversé en arrière dans l’abîme, il avait, au contraire, bondi en avant, vers la cage de l’ascenseur. C’est sur le toit de l’ascenseur, arrêté à quelques mètres de là, que le misérable tomba. Le poids de son corps ébranla l’appareil qui, lentement descendit vers les étages inférieurs. Et Juve, la rage au cœur, le désespoir dans l’âme, ne put que hurler :

— Il s’enfuit. Il s’échappe. Il va rattraper à coup sûr le portefeuille aux billets de banque.

Juve était toujours cramponné aux poutrelles de fer. Avec des yeux où s’amassaient des larmes de dépit, il voyait Fantômas qui, sur le toit de l’ascenseur continuait à crouler, à disparaître dans la nuit.

29 – LE DERNIER MOT

M me Granjeard, ce matin-là, le 31 du mois, jour de l’échéance, pénétrait, effroyablement pâle, dans le bureau où son fils Paul, blême, lui aussi, alignait fiévreusement des chiffres sur une longue feuille de papier blanc.

— Bonjour, Paul.

— Bonjour, ma mère.

M me Granjeard, la porte fermée, traversa le cabinet de travail de son fils, s’approcha de son bureau et là, debout, hautaine et autoritaire, froissant rageusement dans ses mains divers documents annotés au crayon bleu, elle rit :

— Tu vérifies l’échéance ?

— Oui, ma mère. Je faisais le total des créances que nous devons solder aujourd’hui.

— J’ai fait aussi ce calcul.

— Et vous avez trouvé combien, ma mère ?

— Sept cent dix mille francs. Nous payons aujourd’hui la majeure partie des approvisionnements de l’usine.

— En effet, ma mère.

— Je voulais vous demander, maman, dit Paul Granjeard, enfin, si vous avez tenu compte de la note que j’ai laissée il y a quatre jours sur votre bureau. Nous nous sommes si peu vus ces temps-ci. Sans témoins.

De pâle qu’elle était, M me Granjeard était devenue livide.

Lourdement, la sèche commerçante se laissait tomber sur un fauteuil ; elle ne répondait pas.

— Maman, continuait Paul Granjeard d’une voix qui maintenant tremblait, sans qu’il fît rien pour la rendre plus assurée, maman, vous me faites peur. Voyons, vous avez bien trouvé cette note, n’est-ce pas ? vous avez bien compris ce que je vous disais ? Je vous prévenais que pour faire face à l’échéance, il était nécessaire que vous réunissiez les fonds qui ont représenté votre part dans la succession de mon père. Je vous disais que moi-même je ne pouvais liquider assez rapidement ma propre part. Vous avez cet argent, maman ?

D’une voix sourde, accablée, M me Granjeard répondit :

— Non.

— Vous n’avez pas réuni les cinq cent mille francs dont vous disposez ? Ah Maman, pourquoi ? vous me faites peur. Ne savez-vous pas qu’alors, dans quelques minutes, quand on va nous présenter les traites qui viennent à échéance, nous n’y pourrons faire face. Ce sera la faillite, la ruine de l’usine. Maman, Maman, vous avez cet argent ?

M me Granjeard, d’une voix lassée, brisée, répondit encore :

— Je n’ai pas un sou, Paul.

— Mais comment allons-nous faire ?

— Tu paieras. Tu feras des billets. Tu as cinq cent mille francs aussi, Paul ?

— Maman, Maman, il faut que ce soit vous qui payiez, je n’ai pas un sou.

— Je ne dispose pas d’un centime, Paul.

— Mais ce n’est pas possible, Maman, ce n’est pas possible, vous avez votre part certainement, il faut que vous payiez. Vous ne disposez pas d’un centime ? Allons donc Vous voulez sans doute me contraindre à faire face à cette échéance, eh, si cela était possible, je ne demanderais pas mieux. Mais comprenez-moi bien, je ne mens pas. Je n’ai plus un sou. Je suis ruiné, absolument ruiné.

— Tu es ruiné, misérable ? Qu’as-tu fait ? Comment as-tu dilapidé cette fortune qui nous est nécessaire maintenant ? Allons, réponds.

Il y avait des éclairs dans le regard de la malheureuse femme, son ton était fait d’un épouvantable dédain, elle était prête à maudire.

— Ma mère, vous n’avez rien à me reprocher. Si je n’ai plus un sou, c’est que j’ai donné toute ma fortune à Juve pour qu’il sauve votre tête de l’échafaud.

— Tu as donné cinq cent mille francs à Juve ? Mais c’est fou. C’est horrible. Moi aussi j’ai donné cinq cent mille francs à ce policier.

— Ah, hurla-t-il dans un paroxysme de colère et de douleur, voilà donc où nous entraîne votre crime, ma mère ? Vous avez payé pour qu’on vous sauve de la justice, j’ai payé moi aussi et maintenant nous sommes ruinés.

— Tais-toi. Tu fais semblant de me croire coupable. Allons donc, je connais la vérité, c’est toi, Paul, qui a tué Didier, et si j’ai donné cinq cent mille francs à Juve, c’est pour t’empêcher de monter sur la guillotine.

Mère et fils, debout l’un devant l’autre, stupéfaits par les révélations qu’ils venaient de se faire, ne se croyant plus, s’accusant mutuellement, demeurèrent silencieux quelques instants :

— J’ai payé pour racheter ma mère, se disait Paul Granjeard.

— J’ai payé pour racheter mon fils, se disait M me Granjeard.

— Assassin, finit par murmurer M me Granjeard.

— Meurtrière, répondit Paul.

Peut-être allaient-ils encore s’accuser de l’horrible forfait lorsqu’à la porte du cabinet de travail, un coup discret fut heurté :