— Entrez.
La bonne Julie entra :
— Monsieur, c’est l’encaisseur de la Banque de France. Il dit comme ça que, à l’usine le caissier lui a répondu qu’il n’avait pas d’ordres, et lui a conseillé d’aller voir Monsieur. Faut-il le faire entrer ?
— Qu’il vienne.
— Ma mère, dit Paul, vous prétendez que c’est moi qui ait tué Didier, je suis certain que c’est vous qui avez ordonné cet assassinat. J’ai payé pour vous racheter du déshonneur.
— Tais-toi, Paul, j’ai payé pour te sauver.
— Ah laissons cela, laissons. Que ces souvenirs maudits ne soient plus jamais évoqués. Vous m’accusez. Je vous accuse. Nous ne saurons jamais la vérité. En tout cas, adieu. Vous êtes ruinée et je le suis. Mon frère Robert ne peut aucunement nous aider puisque, dans la succession de mon père, sa part a été représentée par les immeubles et les machines, et que l’usine ne peut désormais servir qu’à être mise aux enchères pour solder nos immenses créances. Ce garçon de recettes qui vient, qui nous apporte des traites, je vais donc le renvoyer. C’est la faillite ce soir. Ce sera la banqueroute demain. Ma mère, ne me répondez pas, voici mes dernières paroles. Quand cet homme sortira d’ici, je me brûlerai la cervelle. Je vous pardonne. Adieu.
M me Granjeard, pour toute réponse, bondit hors de son fauteuil, courut à son fils. Cette femme froide et sèche, qui n’avait jamais eu, jusqu’alors qu’un seul souci : l’argent, qu’une préoccupation : l’argent, qu’un désir : l’argent, ne trouva qu’un mot à répondre, qu’un mot à crier, et tout son amour maternel sanglotait dans ses paroles :
— Paul, Paul, Paul !
Hélas, au moment même, la porte du cabinet de travail s’ouvrit, un garçon de recettes, le bicorne sous le bras, entra :
— Bonsoir, messieurs dames, dit-il, je viens pour l’échéance. Six traites à vous présenter. Total, sept cent dix mille francs.
Paul Granjeard s’était levé. Il allait répondre, l’inévitable allait se produire.
Soudain, dans l’antichambre des pas résonnèrent. Deux hommes se précipitaient dans la pièce.
Le dernier entré interpella le premier.
— Monsieur Havard.
L’autre se retourna, demeura immobile, figé par une stupéfaction :
— Juve, vous ici. Ah, par exemple.
Mais Juve, car c’était bien Juve qui venait d’entrer dans la pièce derrière M. Havard, Juve avait déjà retrouvé son calme :
— Au fait, dit Juve, nous arrivons au moment où l’on parlait d’affaires. Ne retardons pas plus longtemps ce brave encaisseur. M. Paul Granjeard, je pense. Oui ? Eh bien voici les fonds que vous attendiez. Voici le million que Juve vous devait. Vous pouvez payer.
Juve jeta sur le bureau de Paul Granjeard une liasse de billets de banque.
***
Dix minutes plus tard, l’encaisseur réglé, payé jusqu’au dernier centime, quatre personnages demeuraient seuls dans le bureau de travail.
C’étaient M. Havard, Juve, Paul Granjeard et sa mère.
Un instant, les uns et les autres restèrent silencieux, comme étourdis.
Puis, en même temps, M me Granjeard et son fils demandèrent, d’une même voix :
— Mais enfin que signifie ?
Juve haussa les épaules, M. Havard répondit :
— Cela signifie, Madame, répliquait-il, que d’abord la justice sait maintenant de façon absolue que vous êtes innocents, vous et votre fils. Celui qui a tué Didier Granjeard, c’est Fantômas, l’épouvantable, le terrifiant criminel dont vous avez dû entendre parler.
Bientôt, mère et fils s’étreignirent.
— Pardon, maman, de vous avoir cru coupable, disait Paul Granjeard.
— Pardon, mon fils, de t’avoir soupçonné.
— Autre chose, poursuivait M. Havard, si c’est Fantômas qui a tué votre fils, je ne vous cacherai pas que c’est aussi un peu Juve. Ou plutôt, – car il ne faut pas laisser flotter le moindre équivoque là-dessus – le Juve que vous avez connu, un Juve qui, en réalité était Fantômas, qui vous a fait chanter, comme me l’a appris Robert Granjeard, en prenant la personnalité du vrai, du grand, du célèbre policier Juve. Et j’ajouterai, Madame, que c’est à Juve, au vrai Juve et à son ami Fandor, que vous devez de pouvoir aujourd’hui, non seulement être absolument indemnes de toute accusation, mais encore faire face à votre échéance.
— Mais, ce Juve, le vrai Juve, où est-il donc ?
Juve, en guise de réponse, éclatait de rire :
— Je vous salue, madame, faisait-il et j’ai l’avantage de me présenter moi-même à vous. C’est bien moi Juve, et ce n’est personne d’autre, je vous prie de le croire.
***
Une heure plus tard, Juve et M. Havard, prenaient congé de M me Granjeard et de son fils, définitivement innocentés, sauvés du déshonneur et de la ruine. Le chef de la Sûreté et le policier les abandonnaient à leur bonheur, à la paix enfin retrouvée.
Seulement, M. Havard, amicalement, frappait sur l’épaule de Juve :
— Mon cher, je vous retiens à déjeuner. Vous avez bien des choses à me dire, car enfin, il y a un détail que j’ignore, et qui a son importance, si je sais comment vous avez établi que Fantômas était le coupable, je ne vois pas du tout comment vous avez retrouvé l’argent des Granjeard.
— Bah, cela n’a pas grand intérêt.
Sur les instances du chef de la Sûreté, pourtant, Juve se décida à sortir de sa modeste réserve. Il conta, en détails, comment, de la rue Froidevaux il avait poursuivi Fantômas, saisi par le vertige avait jeté dans le vide le portefeuille bourré de billets de banque, puis, avait bondi sur le toit de l’ascenseur qui le mettait hors d’atteinte :
— À ce moment, précisait Juve, j’étais naturellement furieux. Remarquez, Monsieur Havard, que ces événements avaient lieu ce matin, à une heure et demie. Il faut encore que nous ayons eu la veine d’arriver à temps. Je me disais : il a laissé les billets en bas. S’il trouve moyen de descendre pour les rattraper, je suis roulé de toutes les manières.
— En effet, et alors ?
— Alors, continuait Juve, je me trompais tout bonnement. Figurez-vous qu’à peine Fantômas était-il disparu sur le toit de son ascenseur, que j’apercevais, remontant vers votre serviteur, toujours cramponné aux charpentes de la tour, l’énorme contrepoids de l’ascenseur. Or, savez-vous, ce que le hasard avait fait tomber sur ce contrepoids, ce que ce contrepoids me rapportait ?
— Ma foi, non.
— Les billets de banque. Fantômas avait jeté son portefeuille au hasard, et il était tombé là-dessus. Je n’ai eu que la peine de les cueillir au passage. Descendu de la tour, je suis naturellement parti à toute allure, non pas à la recherche de Fantômas, disparu, évanoui, comme bien vous pensez, mais à Saint-Denis. Je savais que nous étions le 31, jour d’échéance, je connais la situation désespérée des Granjeard. Bref, vous avez vu le reste. J’ai encore eu la veine d’arriver à temps. Tout est bien qui finit bien, monsieur Havard. Mais une fois de plus Fantômas m’a échappé. Ah, par exemple, je vous promets bien que je ne lui laisserai pas un long répit. Je vais me reposer deux jours, puis…
— Vous tenez à vous reposer, Juve ?
— Dame, sans doute, pourquoi ?
Le visage tout à l’heure souriant du chef de la Sûreté s’était singulièrement rembruni :
— Figurez-vous, faisait-il lentement, que ce matin même, on m’a signalé par télégramme, un crime inouï, atroce, incompréhensible, quelque chose qui dépasse en horreur et en mystère tout ce que l’on peut inventer… cela se passe dans les Landes, Juve, mon vieux Juve, j’avais pensé à vous. Est-ce que ?
Juve ne semblait plus du tout songer à prendre de repos. Avec une voix tranquille, comme parlant d’une chose toute naturelle, le policier déclara :
— Donnez-moi tous les détails connus, chef, je vais partir là-bas immédiatement.
FIN