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Ils approchaient de l’immeuble dans lequel habitaient le fameux Taxi et Blanche Perrier, lorsque Riquet s’arrêta brusquement :

— Qu’est-ce qu’il y a ? fit Juve.

— Regardez.

C’était une sorte de poussette, de petit véhicule constitué par une grossière caisse de bois montée sur un essieu, aux extrémités duquel des roues étaient assujetties. Le chariot gisait dans le ruisseau en piètre état. La caisse était défoncée, l’essieu brisé, les roues tordues.

— Aussi sûr que je suis ici, déclara-t-il, c’est le chariot de Fandor. Mais lui, qu’est-il devenu ?

Juve s’était rapproché, il arracha l’engin du ruisseau, le mit sous son bras et fit volte-face.

— Juve, que faites-vous ? interrogea Riquet. Renoncez-vous à votre projet ? ne montons-nous pas voir ?

— C’est inutile, du moment que la cage est dans la rue, tu peux être sûr que l’oiseau est envolé, d’ailleurs je me contente d’emporter ceci comme pièce à conviction, l’avenir nous dira le parti qu’il faut en tirer, car demain il y aura du nouveau, tu peux m’en croire.

— Est-ce au sujet de Fandor ? interrogea Riquet anxieusement.

Évasivement Juve répondit :

— Au sujet de Fandor, je ne puis te le dire, mais au sujet du mort, certainement.

— Ah, s’écria Riquet, je suis sûr que vous savez qui est le cadavre.

— Hum, ne cherche pas à me faire bavarder Riquet, je ne te dirai qu’une seule chose, mais celle-là, je te l’affirme : avant demain soir, il va y avoir un coup de théâtre.

8 – UNE ARRESTATION

M. Bagot, le commissaire de police de Saint-Denis, arriva fort tard ce matin-là à son commissariat, où on l’attendait depuis plusieurs heures.

— Rien de particulier ? demanda le commissaire, en entrant.

— Rien, monsieur le commissaire, absolument rien. Nous n’avons, depuis hier soir, qu’un ivrogne arrêté pour outrages aux agents, et un marchand des quatre-saisons, qui n’avait pas sa carte de circulation.

— Bien, fit M. Bagot, d’un air distrait, où sont ces gaillards-là ?

— Au violon, monsieur le commissaire.

— Vous avez fait le nécessaire et vérifié leur identité ?

— Oui, monsieur le commissaire.

— Alors tout va bien. On ne m’a pas demandé ?

Le secrétaire sourit :

— Si, tous ces gens qui sont là, et l’employé désignait la foule entassée dans la salle d’attente.

M. Bagot passa dans son bureau, non sans avoir invité son secrétaire à l’y suivre.

Lorsque les deux hommes furent seuls, M. Bagot répéta sa question, en la précisant :

— Vous êtes sûr que personne ne m’a demandé ? Je veux dire, demander par mon nom. Personnellement.

— Non, monsieur le commissaire.

— Bien, fit M. Bagot, vous pouvez vous retirer.

— Monsieur le commissaire, recevrez-vous tout ce monde ?

— Pas tout de suite, en tout cas. Je vais voir d’abord les affaires que j’ai à débrouiller, et ce courrier.

M. Bagot décacheta les lettres. Une à une, il les parcourut. Un document, machinalement, lui fit faire la grimace. Il grommela :

— Naturellement, je m’y attendais.

C’était une lettre à en tête du Parquet du Tribunal de la Seine. Le substitut de service qui, conformément à l’usage, avait signé d’une façon illisible, réclamait en termes nets et précis, une solution dans l’affaire que l’opinion publique qualifiait désormais de : « Crime de la Plaine Saint-Denis ».

— Une solution, une solution, monologua le commissaire en levant les bras au ciel. Comme c’est facile. Ces ronds-de-cuir sont extraordinaires, ils s’imaginent que je puis aller plus vite que je ne vais. Ils ont le cul sur leur tabouret et ça vient vous presser.

Le commissaire s’arrêta de décacheter. Il se renversa en arrière dans son fauteuil, alluma un cigare, en tira des bouffées méthodiques, puis, après avoir longuement considéré le plafond, il se leva, alla à un placard, dont il retira un dossier assez volumineux :

— L’affaire de Saint-Denis, dit-il, la voilà parbleu. Les paperasses commencent déjà à s’entasser. Il faudra que je dise à mon secrétaire de les mettre dans une chemise plus solide, cerclée d’une sangle. J’ai comme une idée que ce dossier-là va encore grossir.

Le magistrat feuilleta les documents, puis il s’arrêta, regarda l’heure.

— Dix heures et demie déjà. C’est assommant, la matinée va se passer sans nouvelles de Juve. Si c’est lui…

M. Bagot ne pouvait oublier que c’était à cet homme étrange, mais intelligent à coup sûr, qu’il devait d’avoir pu reconstituer une partie du crime. Et, à certains détails, à certaines paroles prononcées, M. Bagot avait acquis la conviction, d’abord, qu’il avait affaire à un agent de la Sûreté, ensuite que son collaborateur bénévole devait être le fameux policier Juve, qui, pour des raisons ignorées de M. Bagot, vivait en se faisant appeler autrement.

Mais pourquoi Juve, une fois le cadavre du noyé envoyé à la morgue, avait-il déclaré :

— Inutile de chercher à savoir qui c’est pour le moment. Dans quelques jours, le mort révélera tout seul son identité.

Or, les quelques jours s’étaient écoulés. Il y en avait six exactement que le noyé avait été sorti de l’eau, et M. Bagot n’avait plus entendu parler de son aimable collaborateur.

— Il faudra bien, pensait-il, que je sorte d’une façon ou d’une autre de cette affaire, et si à midi mon Juve n’est par revenu, eh bien, j’agirai seul.

Il en était là de ses réflexions, lorsqu’un coup discret fut frappé à sa porte. Le secrétaire apparut.

— Monsieur le commissaire, fit-il, il y a quelqu’un qui vous demande, qui veut vous voir en particulier. C’est précisément le monsieur qui…

— Qu’il entre tout de suite.

Une seconde plus tard, M. Bagot poussait un soupir de soulagement. Le visiteur annoncé était bien Juve.

— Enfin, vous voilà monsieur Juve.

— Mon cher Bagot, je vous en prie, appelez-moi Jandrop. Je ne suis qu’un petit rentier. Un tout petit rentier.

— Bien, fit le commissaire. C’est une affaire entendue, je sais qui vous êtes, c’est-à-dire ce que vous dites être. Un tout petit rentier, M. Jandrop, Eh bien ! m’apportez-vous du nouveau ?

— Je l’espère, fit-il. Si vous voulez bien, nous allons rendre visite à l’infortuné défunt, et lui demander de bien vouloir nous faire connaître son identité.

— C’est-à-dire ?

— C’est à dire que nous allons le prier de nous révéler son nom.

— Vous plaisantez ?

— Je jure que je suis très sérieux. Le mort parlera. Enfin, nous saurons quelque chose.

— Dieu vous entende, murmura le commissaire, qui prit son chapeau, et quitta son cabinet avec son compagnon.

Dix minutes après, les deux hommes étaient à la morgue de Saint-Denis, non loin du poste de secours et de la bascule de l’octroi. C’était un local exigu, une petite maison construite en brique, entourée de hauts murs, et autour de laquelle le gardien entretenait un modeste jardinet où picoraient des poules étiques.

Sur la demande de Juve, M. Bagot avait amené avec lui son premier secrétaire, Gaston, et les deux agents de service au commissariat, plus un brigadier.

Le gardien de la morgue, à l’arrivée du magistrat et de ses collaborateurs, s’en vint les recevoir, la casquette à la main.

— Ouvrez-nous le caveau, ordonna le magistrat.

L’employé obéit, fit tourner une clé, qui grinça dans une grosse serrure, et les visiteurs pénétrèrent dans une salle mal éclairée, aux murs froids et nus, et sur le sol de laquelle, sous un plancher en lattes, courait une eau sans cesse renouvelée.

Sur l’ordre du commissaire, un des agents souleva le linceul en grosse toile grise. Des piqûres anatomiques avaient été faites au cadavre, pour en empêcher la décomposition. Ce corps avait singulièrement diminué de volume, depuis le jour où on l’avait retiré de l’eau. Le visage s’était dégonflé, le ventre ne ballonnait plus. Aussitôt que ses yeux se furent fixés sur les traits du défunt, M. Bagot poussa une exclamation de surprise :