Выбрать главу

Les gardiennes pressaient leur monde sans la moindre pitié. Le règlement prévoyait, en effet, que chaque matin et chaque après-midi, par mesure d’hygiène, pour mieux résister à l’étroitesse de ces murs où l’atmosphère empuantie était asphyxiante, irrespirable, les détenues seraient conduites toutes ensemble, dans la grande cour de la prison, où elles devraient se promener, par rangs, les unes derrière les autres, en rond, de droite à gauche. Dans la prison, en l’argot familier de la maison, cela s’appelait « faire la queue de rat ». C’était, à vrai dire, pendant cette « queue de rat » que les prisonnières trouvaient moyen de causer, d’échanger des renseignements propres à les armer contre les subtilités du juge d’instruction, ou encore de prévoir des « coups ».

— Allez, au trot, et vivement.

Parvenues dans la cour, avec une remarquable docilité, les détenues se mettaient en rang, et commençaient précisément la « queue de rat ».

De distance en distance, dans la cour, il y avait, immobiles, les gardiennes. Sur le mur d’enceinte, en face, un mur très large constituant un véritable chemin de ronde, des gardiens se tenaient debout, toujours prêts à intervenir. Mais, ce jour-là, la « queue de rat » ne semblait pas devoir être marquée du plus petit incident. Très sages, les détenues, six par six, effectuaient leurs rondes circulaires. Seule, une vieille femme grimaçante criait qu’elle allait avoir sa crise. Cette vieille femme n’était autre que l’extraordinaire créature qui, le jour même où Fandor, en paralytique, à la porte de la prison, avait rencontré Riquet, avait jeté aux deux jeunes gens un regard subtil et satisfait. Elle semblait avoir, cette détenue, le plus détestable des caractères. Elle avait commencé par affirmer aux gardiennes qu’elle ne ferait pas la « queue de rat », qu’elle était trop vieille pour se soumettre à une promenade si rapide. Puis, sur les injonctions de la gardienne, elle s’était soumise assez facilement, mais avait alors exigé qu’une détenue lui donnât le bras, et elle s’était, de la sorte, emparée d’autorité du bras droit d’une détenue qui n’était autre que la malheureuse Hélène.

La prisonnière qui aidait la vieille femme à accomplir la sempiternelle ronde dans la cour de la prison, était depuis quelques jours seulement soumise au régime ordinaire. Arrêtée, alors qu’elle était entre la vie et la mort, à la suite de sa tentative de suicide à bord du sous-marin l’Œuf, à Cherbourg, Hélène sortait de l’infirmerie. Un matin, elle s’était réveillée hors de danger. Dès lors, la convalescence n’avait pas été longue et, très rapidement, grâce à sa constitution robuste, elle s’était trouvée en état de quitter l’infirmerie pour être mise en cellule.

Quelques minutes avant la promenade, la fille de Fantômas avait été avertie qu’elle serait dorénavant non plus astreinte aux travaux des ateliers, mais bien à cette infirmerie dont elle était sortie la veille, et qu’elle avait quittée avec chagrin.

La gardienne-chef lui avait dit :

— Les infirmières vous ont appréciée, ma petite, il paraît que vous êtes assez sage, vous retournerez à l’infirmerie, vous y aiderez à soigner les autres.

Hélène s’était bien gardée de refuser cette faveur. Malheureusement, le premier bénéfice moral qu’elle tirait de son nouveau profit, d’auxiliaire à l’infirmerie, était cette corvée. La gardienne l’appelait, en effet, pour donner le bras à l’épileptique :

— Venez un peu ici, ma petite, et faites-moi marcher cette vieille rouspéteuse-là. Allez hop, les jeunes doivent aider les vieilles.

Tandis que la « queue de rat » continuait sa marche, Hélène fut interrompue dans ses réflexions par une interpellation de la vieille invalide.

— Tiens, regardez donc. Il est fou ce bonhomme-là, il va se casser les reins.

Hélène leva la tête, regarda dans la direction que lui indiquait sa compagne : sur trois côtés, les préaux étaient bornés par les bâtiments vétustes et crasseux de la prison. Sur une face enfin, il y avait une échappée qui permettait de voir le côté d’une des maisons faisant bordure à la rue du Faubourg-Saint-Denis. Bien entendu, il n’y avait là nulle fenêtre d’où l’on pût apercevoir la prison. Le mur plein montait du sol jusqu’au toit, sans saillie, une servitude avait dû défendre au propriétaire d’y faire percer des jours de souffrance. Or, c’était le long de cette muraille que la vieille femme venait d’apercevoir celui qu’elle désignait à l’attention de sa compagne.

C’était un jeune ouvrier. Apparu sur le toit de la maison, il avait d’abord considéré avec curiosité la promenade des prisonnières, puis s’était remis à son travail. Il avait noué une longue corde à une cheminée, l’avait laissée tomber dans le vide et, maintenant, suspendu à cette corde lisse, il se laissait glisser, vertigineux et souple, n’ayant nullement l’air de se douter que si jamais l’une de ses mains lâchait prise, il ferait une chute effroyable. Les détenues, à leur tour, avaient aperçu l’ouvrier. Elles hurlaient à l’adresse de l’imprudent des plaisanteries obscènes.

— Viens donc, mon joli.

— C’est-y pour venir voir ta môme que tu descends par là ?

Les gardiennes allaient interrompre ce vacarme, en faisant rentrer toutes les détenues dans le couloir, lorsqu’il se produisit quelque chose d’effroyable :

Parvenu sans encombre aux deux tiers de sa descente, le plombier, peut-être étourdi par le bruit qu’il entendait, peut-être à bout de forces, s’arrêta de glisser. On le vit entortiller l’une de ses jambes dans la corde, puis se balancer et, soudain, l’horrible vision du corps se détachant de la corde, tournoyant dans l’espace, rebondissant sur le mur d’enceinte et venant s’écraser avec un bruit mou sur la terrasse du préau.

Les gardiennes s’affolant, firent rentrer les prisonnières à coups de poings. Pendant quelques instants, le malheureux ouvrier restait là, à l’endroit même où il était tombé, sans un mouvement, mort peut-être.

Les détenues, pourtant, avaient à peine disparu dans les couloirs de la prison, bousculées par les gardiennes impitoyables qui s’affairaient surtout à la pensée des responsabilités qu’elles pouvaient encourir, qu’à leur tour, les gardiens intervenaient.

On se précipita vers le malheureux toujours inerte, on le souleva. C’était un tout jeune homme, il avait la figure intelligente, des mains fines, il semblait à la fois frêle et bien découplé :

— Il est mort ?

— Ah, il n’en vaut guère mieux. Emportez-le, emportez-le.

Le blessé fut soulevé par des bras vigoureux, le cortège s’achemina vers l’infirmerie.

***

— Faites-lui respirer des sels, faites-lui une injection de cocaïne, avait d’abord ordonné le praticien.

Sous les remèdes énergiques, le blessé avait ouvert les yeux, mais, chose curieuse, il n’avait prononcé aucune parole. Aucun geste. Seul, à ses yeux ouverts, dont les prunelles étaient fixes, on avait pu deviner que son évanouissement s’était enfin dissipé.

— Bigre ! avait alors murmuré le docteur, se tournant vers ses deux internes, vous devinez le cas, messieurs ?

Et comme les deux internes hochaient la tête, interrogateurs, le praticien reprenait :

— Vous notez, n’est-ce pas, qu’il n’y a aucun membre de brisé, aucune fracture. Donc, le choc ne s’est pas produit sur l’un des membres. Donc, l’homme, n’est pas tombé sur un bras, sur une jambe, ni même sur la tête. Car il y aurait plaie au crâne. Enfin, messieurs, cette impuissance à s’exprimer, cette immobilité que garde ce blessé est encore significative. L’homme a dû tomber sur les reins. Ce sont les reins qui ont porté, quand il a rencontré le mur d’enceinte, vous comprenez ?

Les deux internes ne semblaient pas encore très sûrs du fait.

— Mon Dieu, c’est bien simple, continuait le chef. Nous devons être en présence d’une rupture de la colonne vertébrale avec distension de la moelle. Les centres nerveux ne correspondent plus, d’où impossibilité pour ce blessé de s’exprimer. Les centres vitaux, les réflexes principaux n’étant pas atteints, le cœur bat, la respiration s’effectue, la vie subsiste. En revanche, le corps doit être insensible. J’ajoute que si, par malheur ce blessé faisait le moindre mouvement, ou pour mieux m’exprimer, si par malheur, on le déplaçait sur son lit, il y aurait chance de rompre la moelle distendue dans le canal des vertèbres. Alors la mort serait foudroyante.