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— Ah, Monsieur, s’était écriée la jeune femme, je vous en conjure, faites l’impossible pour retrouver les meurtriers de mon pauvre Didier.

Blanche descendait lentement l’escalier qui, du cabinet du juge d’instruction mène à la sortie du palais de Justice, lorsqu’un homme s’approcha d’elle et murmura :

— Blanche Perrier, vous êtes bien Madame Blanche Perrier ?

— Oui, Monsieur.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, entièrement rasé, vêtu de noir, à chapeau mou, dont le bord assez large, dissimulait sous une ligne d’ombre, l’éclat perçant du regard.

— Je suis inspecteur de la Sûreté, Madame, dit-il, et j’ai un renseignement à vous donner. Êtes-vous au courant d’un certain testament rédigé par M. Didier Granjeard et qui vous concernait ?

— Ma foi non.

— Ce testament vous rendra riche, très riche.

— Je ne comprends pas.

— C’est pourtant clair. D’ailleurs, je vous en ai assez dit pour le moment.

L’homme disparut. Blanche essaya de le rejoindre. En vain.

Ne fallait-il pas mettre le juge au courant ?

— Non, se dit Blanche, ce n’est pas la peine d’embrouiller les choses.

Puis, elle poussa un soupir en se disant :

— D’ailleurs, tous ces gens-là me font peur.

Pendant ce temps-là, une scène dramatique se déroulait dans le cabinet de M. Mourier. Le magistrat avait reçu en même temps les deux fils Granjeard et leur mère. Tout de suite, il était entré dans le vif du sujet, en disant aux prévenus :

— Maintenant, venons-en au crime. Voyons, c’est le lundi après-midi, deux jours après l’enterrement de M. Granjeard père, que vous, Madame, et vous, Messieurs, avez eu avec Didier une violente discussion. On vous représente comme des gens d’argent, inaccessibles à tout sentiment de cœur ou d’indulgence. Vous seriez âpres au gain, durs avec vos ouvriers, sévères pour vous-mêmes d’ailleurs, capables des actes les plus inattendus, et même d’horribles forfaits, dit-on.

À ces mots, la mère et les deux fils jaillirent comme mus par un même ressort :

— C’est indigne, Monsieur.

— Vous écoutez les jaloux !

— Nous ne sommes pas des assassins !

Le magistrat s’efforça de les calmer.

— Madame Granjeard, fit-il, vous n’ignorez pas que lorsqu’un magistrat recherche les auteurs d’un crime, il doit, par principe, s’interroger sur le mobile du crime qui a été commis. Vous qui connaissiez votre fils, qui étiez au courant de ses relations, n’avez-vous pas songé, depuis que vous êtes arrêtée, à quelqu’un qui aurait pu être la cause directe ou indirecte de sa mort ? Ne soupçonnez-vous personne qui aurait pu avoir intérêt à la disparition de votre fils ?

— J’ai beaucoup réfléchi en effet, Monsieur, à l’épouvantable malheur qui nous frappe et j’ai en effet une idée, dit M me Granjeard.

— Laquelle, Madame ?

— Je vous jure, que c’est ma conviction absolue que je vais vous exprimer. Je suis innocente du crime dont on m’accuse. Mes fils aussi. La coupable ne peut être que la maîtresse de Didier. Elle ou quelqu’un de son entourage. C’est cette Blanche Perrier qui avait intérêt à la mort de mon fils.

Paul prit la parole :

— Maman a menacé Didier de le faire interdire s’il persistait à exiger sa part d’héritage. Mon frère à dû le dire à cette fille. L’interdiction, nous l’aurions obtenue facilement, c’était les vivres coupés. Mais Didier mort, plus moyen de l’interdire. Alors, Monsieur le Juge ?

— Alors quoi ?

Robert prit la parole à son tour :

— Didier mort, le fils qu’il a eu de Blanche Perrier devient l’héritier de son père et elle, sa mère, est assurée d’avoir l’argent.

— Possible, dit M. Mourier. Votre thèse peut se soutenir. À une seule condition.

Laquelle, Monsieur le Juge ?

— Que l’enfant ait été reconnu par votre frère.

— Cela doit être facile à vérifier.

— Très facile, en effet, fit le magistrat, et nous serons fixés très rapidement.

— Monsieur, dit madame Granjeard, vous voyez bien que nous ne sommes pas coupables et que nous ne désirons qu’une chose : faire toute la lumière. Remettez-nous en liberté et vous verrez.

— Je suis désolé, madame, mais ce que vous sollicitez est absolument impossible. Je dois vous rappeler qu’il y a contre vous des charges telles que votre détention préventive s’impose. Celle de vos fils également. Remarquez que je ne prétends point pour cela que vous soyez forcément coupable, on a d’ailleurs beaucoup de peine à admettre qu’une mère puisse assassiner son fils, que des frères puissent tuer leur cadet. J’espère que d’ici peu la situation sera éclaircie. Mais pour le moment, je ne puis que maintenir l’ordre d’arrestation dont vous êtes l’objet.

Cependant que Paul et Robert, emmenés par les municipaux, quittaient le couloir de l’instruction, M me Granjeard y demeurait quelques instants encore et la foule était si serrée, on paraissait si peu s’occuper d’elle, que la veuve du marchand de fer eut un instant l’impression qu’elle allait pouvoir s’évader. Elle n’avait pas de menottes. Aucun signe ne dénotait qu’elle était prisonnière.

Mais soudain la vue d’un homme la glaça. La veuve du marchand de fer venait, en effet, de reconnaître l’inspecteur de la Sûreté qui, l’avant-veille, avait décidé le commissaire de police de Saint-Denis, à procéder à son arrestation. Cet homme l’abordait :

— Je suis le policier Juve, lui souffla-t-il.

— C’est indigne, c’est abominable ce que vous avez fait, m’arrêter, m’accuser d’un crime.

— J’ai agi, Madame, vis-à-vis de vous, honnêtement, impartialement, sans condescendance particulière pour votre situation sociale, je le reconnais, mais sans haine aussi. La meilleure preuve, c’est que j’ai une importante communication à vous faire. Elle pourrait changer la nature de l’inculpation dont vous êtes l’objet.

— Je vous écoute.

— Il existe, Madame, un testament, de votre fils qui institue Blanche Perrier son héritière en cas de décès, la légataire universelle de toute sa fortune.

— Eh bien ?

— Eh bien, vous ne voyez donc pas quel parti on peut tirer de ce document ?

Mais oui, bien sûr, la lumière se faisait dans son esprit. La thèse qu’elle avait soutenue devant le magistrat, à savoir que Blanche Perrier était la coupable, allait se trouver terriblement renforcée du fait que l’on saurait désormais que cette dernière avait été instituée légataire universelle par Didier.

— C’est notre liberté que vous nous apportez là ?

Juve ne répondit rien.

— Je vous en prie, monsieur ?

— Votre liberté ? La vôtre peut-être, Madame, mais pas celle de vos fils.

— Ah, pourquoi, Monsieur ?

— Parce que je sais, Madame, quels sont les auteurs du meurtre, ce sont vos deux enfants, vos deux fils, Paul et Robert.

— C’est impossible, impossible.

— J’en ai la certitude.

Il ajoutait énigmatique :

— Je suis seul d’ailleurs à avoir cette certitude. La possession du testament de Didier va sauver vos enfants.

— Obtenez-moi ce testament, sauvez mes fils.

— Je ne demanderais pas mieux. Malheureusement celui qui détient ce document ne s’en dessaisira pas facilement.

— Combien faudrait-il ?