Et, sans comprendre, ravie pourtant, Hélène pensa :
— Mais c’est la vieille paralytique qui hurle de la sorte. Ah Dieu soit loué ! Si elle continue à faire cette vie, on n’entendra plus Fandor.
***
— Tenez-vous bien, n’ayez pas peur, là, laissez-vous glisser dans mes bras, vous sentez les crampons de fer ? Parfait, le train va tout doucement à cause des travaux, vous allez sauter. Quand je vous le dirai.
C’était chose faite. L’évasion avait réussi.
Hélène, grâce à lui, avait pu se hisser de son wagon. Parvenue sur le toit, les deux amoureux avaient échangé un long, un ardent baiser, puis, sans mot dire, car les minutes pressaient, l’un et l’autre s’étaient remis à fuir.
Fandor avait guidé la jeune fille, il l’avait fait sortir de son compartiment, alors que le train s’engageait dans un long tunnel où les travaux effectués obligeaient le convoi à ralentir. Sans trop de difficultés, Hélène, qui, d’ailleurs, au Natal, avait pris l’habitude des exercices physiques, se laissait glisser comme le lui recommandait Fandor, sur les tampons d’attelage. Fandor, maintenant, examinait autant qu’il le pouvait les dispositions du tunnel.
— Il est très long, expliqua-t-il à la jeune fille, il se termine par une gare, mais nous tâcherons de sortir par la prise d’air qu’il y a au milieu, car, à l’autre extrémité, je sais qu’il y a des ouvriers qui préviennent les trains des travaux. Et maintenant, attention, nous allons sauter.
Il prenait la jeune fille sous le bras, il la maintenait solidement.
— Vous vous pencherez dans le sens contraire à la marche. Vous n’avez pas peur ?
— Je n’ai pas peur, répondit Hélène.
— Vous êtes vaillante, ma chérie. Eh bien, nous sauterons à trois. Je compte : un, deux…
À trois, ils s’élancèrent dans le vide.
Heureusement, Fandor avait merveilleusement choisi son moment. Le train, en effet, ainsi qu’il l’avait prévu, marchait à toute petite allure en raison des réparations effectuées sur la voie. Jérôme Fandor et Hélène évitèrent heureusement d’être jetés sous les roues du convoi. Ils roulèrent bien sur le sol, mais leur chute ne fut pas trop terrible :
— Vous n’avez rien ? cria Fandor.
— Rien du tout, répondit Hélène.
Et, en même temps, avec une gaminerie délicieuse, elle se redressa, elle jeta dans le noir du tunnel où les lumières rouges du train s’éloignaient, un grand cri, un cri de délivrance :
— Vive la liberté !
***
Vingt minutes plus tard, après avoir éprouvé la joie la plus folle au moment où il faisait évader Hélène, Jérôme Fandor était en proie au plus stupide étonnement, et à la plus morne inquiétude.
Il se trouvait toujours dans le tunnel où l’évasion s’était produite, mais il s’y trouvait seul. Hélène n’était plus là. Hélène, en quelque sorte, avait mystérieusement disparu sous ses yeux, sans qu’il pût rien faire pour la rejoindre.
Ayant repris leur marche, en effet, le journaliste et la jeune fille avaient rapidement atteint la prise d’air sur laquelle Fandor comptait pour sortir du tunnel sans être obligé de passer par l’une de ses extrémités, qui était dangereusement gardée, l’une par la gare, l’autre par les ouvriers chargés d’avertir les trains. Malheureusement, la prise d’air qui devait permettre au journaliste et à sa fiancée, de s’évader définitivement, était constituée par une sorte de cheminée débouchant probablement en pleine montagne, et creusée dans la voûte du tunnel qu’elle perçait presque à son sommet.
Fandor n’avait pas pensé à cela !
Trompé par des renseignements inexacts, il avait cru que la prise d’air descendait jusqu’au sol, il n’en était rien, et dès lors, il se demandait comment lui et Hélène allaient pouvoir se hisser dans ce conduit dont l’orifice était ironiquement dressé à plus de cinq mètres au-dessus de leur tête.
Le jeune homme et la jeune fille, perplexes, réfléchissaient encore, lorsqu’ils eurent une surprise absolument extraordinaire. Devant eux, en effet, quelque chose descendait lentement qui raclait les parois de la fameuse prise d’air. Et Jérôme Fandor et Hélène qui, d’abord, avaient cru à quelque éboulement de terrain, à une pierre dégringolant à la suite d’une pluie quelconque, demeuraient muets d’effroi et de joie à la fois en reconnaissant qu’il s’agissait d’une échelle, d’une échelle qui, miraculeusement, semblait venir s’offrir à eux pour faciliter leur escalade.
Jérôme Fandor n’hésita pas.
— Mordieu, murmura-t-il, quand j’ai eu besoin d’une échelle pour sortir de Saint-Lazare, il s’est trouvé une vieille femme extraordinaire pour m’en apporter une juste à point. Tout à l’heure, quand, dans votre wagon, je faisais trop de bruit en sciant le plafond, une autre vieille femme ou la même, je n’en sais rien, s’est trouvée chanter juste au bon moment. Et voici que maintenant, comme nous ne savons de quelle façon nous en aller, une échelle nous arrive, c’est peut-être une troisième vieille femme qui nous l’envoie, car enfin, ce ne peut pas être la même que celle qui chantait dans le wagon ?
Ce n’était pas le moment d’épiloguer.
— Montez, conseillait Fandor à Hélène, cette échelle est fragile et pourrait se rompre sous notre poids. Montez seule, une fois hors de danger et au sommet du puits, vous m’appeliez et je vous rejoins.
Hélène s’empressa d’obéir au jeune homme et gravit quelques échelons. Mais, elle n’en gravit que trois ou quatre. À peine avait-elle commencé à monter, en effet, qu’elle poussait un cri terrible, un cri auquel répondait une exclamation de Jérôme Fandor.
L’échelle à laquelle se cramponnait la jeune fille, venait de bouger en effet. On la hissait. Elle remontait vers l’ouverture. Et, tandis qu’Hélène instinctivement, s’accrochait à l’échelle, sans penser à sauter en arrière, Fandor avait beau, lui, jurer, hurler, faire un vacarme de tous les diables, il ne parvenait pas à rattraper le dernier échelon. On lui enlevait Hélène sous les yeux.
***
Vingt minutes plus tard, n’entendant rien, perdu dans la nuit du tunnel, comprenant bien qu’Hélène, puisqu’elle ne lui donnait pas signe de vie, avait été victime de quelque aventure extraordinaire, Jérôme Fandor se décidait à abandonner l’orifice de la cheminée d’aération.
Un train de marchandises traversait à ce moment le tunnel. Jérôme Fandor, la mort dans l’âme, y monta. Il se faufila dans un wagon, un wagon qu’occupaient d’énormes vaches, qui, de leur mufle roux, le flairèrent mélancoliques, et là, à bout de forces, brisé de fatigue, accablé, il se laissa tomber sur leur litière, et s’endormit d’un sommeil de plomb.
14 – NUIT DE TERREUR
— Qui va là ?
— Qui est là ?
Deux voix retentissaient dans la nuit, troublaient le silence de cette maison déserte où les rares bruits résonnaient, se répétaient lugubrement.
Il semblait que ces deux cris avaient été poussés par deux voix de femmes, l’une atterrée, l’autre un peu plus grave mais gouailleuse. Les interrogations avec un peu plus de nervosité dans le ton reprirent :
— Qui va là ?
— Qui est là ?
Soudain, la lumière qui filtrait sous le pas d’une porte soigneusement close s’éteignit brusquement, puis ce fut le silence qui dura un instant. Enfin la première voix reprit :
— Répondez, c’est moi qui ai marché. N’ayez pas peur.
— Non, non je ne veux pas.
Puis, plus rien, le silence.
Vingt minutes environ passèrent sans que le moindre appel eût été formulé, sans qu’aucune des objurgations faites n’eût été reprise. Et cependant, quelqu’un de l’autre côté de la porte, non pas dans la pièce qui la fermait, mais dans l’antichambre, attendait anxieusement :