Hélène, en effet, avait trop souvent vécu de tragiques aventures pour ne pas s’être accoutumée à la prudence et à la circonspection. Et elle renonça provisoirement à son projet primitif de s’enfuir. Elle décida d’attendre, d’étudier au préalable la situation, la topographie de l’endroit bizarre et mystérieux dans lequel elle se trouvait.
Blanche s’ingéniait à satisfaire les désirs d’Hélène, à prévenir ses besoins. Elle lui préparait un repas avec des provisions trouvées dans une cuisine merveilleusement aménagée, sans que Blanche pût savoir l’origine des approvisionnements que l’on y renouvelait sans cesse.
Blanche avait fait connaître à Hélène le petit Jacques, puis, avant que la nuit ne fût entièrement tombée, les deux femmes étaient allées faire à pied le tour de la maison.
Hélène, aventureuse, audacieuse, sans cesse, voulait s’écarter de la maison, pénétrer sous les bois pour en interroger le mystère, Blanche, craintive la retenait, la suppliait de n’en rien faire, de ne pas s’éloigner.
Puis, elles étaient rentrées et, après une longue conversation au cours de laquelle elles envisagèrent les plus extraordinaires hypothèses au sujet de leur captivité respective, les deux femmes avaient décidé de se coucher.
Blanche avait dressé un lit pour Hélène dans sa chambre.
Et la fille de Fantômas, un peu ironique, avait plaisanté son amie à ce sujet :
— Tu me surveilles ? avait-elle dit. Je vois que tu te méfies encore de mon humeur indépendante et que tu tiens à toujours avoir l’œil sur moi.
Blanche n’avait pas dit non.
***
— Hélène.
— Blanche.
— As-tu entendu ?
— Non, rien.
— Écoute, ça recommence.
Au milieu de la nuit les deux femmes avaient été réveillées en sursaut, elles ne savaient pas pourquoi. Hélène avait nié avoir entendu quelque chose, par simple bonté d’âme vis-à-vis de sa craintive amie. Mais, en réalité, elle avait perçu un bruit, un bruit auquel elle ne se trompait pas, bruit net et catégorique, aisément identifiable, bruit que fait un homme en courant, le bruit de pas lourds et précipités.
Elles prêtèrent l’oreille toutes deux. Après un silence momentané, le bruit des pas recommença. Il provenait du rez-de-chaussée, on reconnaissait fort bien le choc des chaussures, heurtant le dallage en pierre du grand hall.
— Cette fois, murmura Blanche, d’une voix qui tremblait, il n’y a plus de doute.
Hélène, d’une voix nette, répliqua :
— Il n’y a plus de doute en effet, quelqu’un marche au rez-de-chaussée.
— Il monte précisa Blanche. Je reconnais le bruit de ses pas dans l’escalier.
Hélène intriguée, mais courageuse, serrait les poings. Quelques secondes passèrent, angoissantes, les pas se rapprochèrent. Les deux femmes haletaient.
La porte lentement s’ouvrit avec un bruit sec et net, la serrure qui ne tenait que par une ou deux vis tomba sur le plancher, puis, sortant de l’ombre pour se préciser en pleine lumière, la silhouette d’un homme apparut :
Mais à peine l’individu était-il entré dans la pièce que la fille de Fantômas poussa une exclamation :
— Le Bedeau, s’écria-t-elle.
Et, cependant que Blanche ne comprenait pas et reculait instinctivement à l’extrémité opposée de la pièce, la fille de Fantômas voyait s’ouvrir devant elle des horizons nouveaux, rien que par la présence de cet homme. C’était en effet le Bedeau qu’elle avait devant elle, le Bedeau, l’un des plus redoutables apaches, l’un des êtres les plus brutaux et les plus féroces du monde, des bouges et des souteneurs. Le Bedeau était un personnage cruel et néfaste qu’Hélène ne pouvait voir apparaître devant elle sans ira serrement de cœur, car, cette apparition évoquait en elle toute une série de souvenirs, de drames, de tragiques événements, auxquels se mêlait toujours le souvenir de son père, de Fantômas qui, dans de si fréquentes circonstances, s’était trouvé à la tête de bandes de criminels dont le Bedeau avait toujours été l’un des plus acharnés.
L’apache cependant était demeuré stupéfait en présence d’Hélène. Lui aussi la reconnaissait et la saluait d’un surnom que, quelques mois auparavant, on avait donné à la jeune fille, dans le quartier de Belleville qu’elle habitait alors :
— La Guêpe, murmura-t-il, comment se fait-il que tu sois-là ?
Blanche Perrier, pâle comme un linge, venait d’assister à cette scène de reconnaissance, elle interrogea d’un ton alarmé :
— Vous vous connaissez donc ?
— Oui, nous nous connaissons.
Mais Hélène ne précisa pas et, se tournant vers le Bedeau, avec cet air d’autorité hautaine qu’elle savait prendre à l’occasion et qui lui permettait de dissimuler, sous une apparence d’indifférence, ses plus grandes appréhensions, elle interrogea :
— Que fais-tu ici toi-même le Bedeau ? que nous veux-tu ?
— Écoute, la Guêpe, tu n’es pas une mauvaise fille, quoi qu’on ait dit sur toi, je sais d’ailleurs qui tu es et qu’on peut te confier un secret. Je n’aurais pas dû me montrer, je suis monté ici parce que j’ai eu peur.
— Peur ? tu as eu pour toi, le Bedeau ?
— J’ai eu peur, poursuivit l’homme, qui, instinctivement se retournait et devint d’une pâleur livide.
« Voilà, fit-il, je vais te dire toute la vérité. Je suis ici le gardien de cette femme – et le Bedeau désignait Blanche – et j’ai l’ordre formel de ne pas me montrer, de ne pas laisser soupçonner ma présence. La Guêpe, supplia-t-il presque, tu ne diras à personne, n’est-ce pas, que j’ai désobéi, que je me suis fait voir ?
Hélène leva la main :
— Je te le promets, dit-elle, mais explique-nous pourquoi tu as enfreint la défense qui t’était faite ?
— Écoute, dit-il, je n’ai pas peur des vivants, certes, depuis que j’ai été si terriblement blessé, si près de la mort, que j’ai évitée grâce à tes soins, j’ai quelque peu perdu de ma vigueur physique, mais je suis encore robuste et courageux, donc, je n’ai pas peur des vivants, mais les morts me terrifient. Or j’en ai vu, j’en ai vu.
— Quand cela ?
— Cette nuit. Depuis que je suis ici, je vis constamment dans les sous-sols, dans les caves, alors comme je m’ennuie parfois, tu comprends, je fouille un peu de tous les côtés. Je sais que nous sommes ici dans une vieille demeure, un ancien couvent. Les religieux, ce sont des gens riches et j’ai pensé que peut-être, en s’en allant, ils avaient oublié d’emporter des objets de valeur. En visitant les souterrains de cet immeuble, j’ai découvert qu’ils étaient immenses, qu’ils se prolongeaient sous la maison, sous le parc et, cette nuit, guidé par je ne sais quel pressentiment je me suis engagé dans l’un d’eux. Je l’ai suivi, exploré, or figure-toi qu’à un moment donné l’espoir insensé que je formais s’est réalisé, crois-tu la Guêpe, que j’ai trouvé, dissimulé, enfoui dans le sol, un trésor, un véritable, oui, j’en suis sûr, il y a là des mille et des cents enfermés dans une vieille cassette, dans un coffret de fer.
« Mais cet argent je n’ai pas pu m’en emparer, parce que, vois-tu, au moment où j’allais creuser, j’ai vu dans le lointain quelque chose qui passait, un revenant, un fantôme, c’était une forme blanche qui glissait, rasant les parois du souterrain, il avait une chandelle allumée qui éclairait, ses yeux brillaient, sa langue était de feu.
— Tu es complètement fou, dit-elle sévèrement, on ne raconte pas des sornettes pareilles à des personnes sérieuses.
— Je te jure, la Guêpe, que j’ai vu, comme je te vois, ce revenant. Ah, je t’assure, c’était épouvantable, terrifiant, si bien que je n’ai pas osé rester, je suis parti.
Et le Bedeau, soudain s’interrompit. Son regard venait de s’arrêter sur la pendule qui ornait la cheminée :
— Trois heures, dit-il, il est déjà trois heures du matin ?
— Oui, pourquoi ? fit Hélène.
— Parce que, déclara l’apache, c’est l’heure de ma ronde autour de la propriété, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, il faut que je la fasse, je suis contrôlé chaque nuit et les ordres que j’ai reçus sont formels. Si j’y manque une seule fois, j’attire sur ma tête les représailles les plus terribles.