— Vous bilez donc pas, d’abord ça me coupe mes moyens. Je peux pas voir des femmes se faire de la bile. Bien sûr que je vais y aller le trouver m’sieu Fandor. Même voilà ce qu’on va faire : De toute façon, vous m’attendrez ici, qu’il arrive n’importe quoi. C’est rapport au salé, ce que je vous dis, affirmait-il, ici, vous ne devez pas vous amuser beaucoup, mais après tout, vous ne semblez pas courir de danger immédiat. Tandis qu’en voulant vous esbigner, vous pourriez vous faire casser la margoulette. Bon. Quant à moi, je m’en vais tranquillement redescendre dans les caves. Puisque vous avez cherché partout madame Blanche, et vous mam’zelle Hélène, le moyen de vous en aller, en passant par le parc, et que vous n’avez rien trouvé, c’est probablement que le chemin est d’un autre côté. J’ai comme une idée que, par les sous-sols, il doit y avoir une communication avec l’extérieur. Bien du plaisir. Là-dessus je vous quitte. Je vous fait la révérence, j’m’en vais. J’en ai soupé de l’endroit. Je ne suis pas gros, c’est bien le diable si je ne trouve pas moyen de sortir. Et maintenant v’là trois heures qui s’aboulent faut que j’me tire des pattes, pendant qu’y fait encore nuit.
***
Ayant retrouvé le chemin des caves sans trop de peine, Riquet, quelques instants après, s’orientait donc dans les sous-sols du château. Il possédait pour s’éclairer, un vague bout de bougie, et une boîte d’allumettes.
Il devait visiter d’immenses sous-sols, suintants d’humidité, remplis d’objets à l’abandon, où, sans doute, il y avait de nombreux pièges, de nombreuses fosses à éviter, où toujours il pouvait craindre la surprise d’un gardien lui tombant dessus à l’improviste.
Riquet, le plus tranquillement du monde, sifflotant un refrain populaire, fouillait partout, perquisitionnait avec ardeur, se souciait aussi peu que possible des dangers qu’il courait, semblait n’être préoccupé que de trouver le moyen de quitter la maison inconnue :
— Bon Dieu, que je sorte seulement, se répétait-il de temps à autre, et après, on verra à se reposer. Je suis toujours à trois heures de Paris, en automobile, c’est vrai. Ça doit bien représenter quinze ou dix-huit heures de marche à pied. Je trouverai peut-être l’occasion de brûler le dur.
Or, tandis que Riquet découvrait dans un coin de la cave une sorte de petit escalier, tortueux et noir, qui s’enfonçait sous le sol, tandis qu’il commençait à en descendre les degrés, en se demandant si, par hasard, il n’avait pas la bonne fortune d’avoir découvert un souterrain, le gosse prêta l’oreille.
— C’est rigolo, se disait-il, j’entends comme un bruit d’eau. Est-ce que, par hasard, il y aurait une rivière qui passerait sous cette espèce de château-couvent ?
Riquet, dont la bougie était totalement usée et qui venait de perdre ses allumettes en faisant une chute, continua à descendre. Brusquement, il eut la sensation que l’escalier plongeait, en effet, dans une nappe d’eau. L’air qu’il respirait était plus humide, le froid des caves se faisait plus pénétrant.
— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? monologuait-il, c’est donc là que les anciens châtelains avaient leur salle de bains ? ou bien que les moines venaient laver leur linge ?
Riquet descendit lentement, prenant garde de ne pas tomber. Or, soudain, comme il quittait une marche, il jeta un cri d’épouvante. C’est qu’en effet, sans que rien ait pu l’en avertir, il était précisément arrivé au bas de l’escalier. Son pied n’avait plus rencontré d’autres marches et, comme il était penché en avant, c’est en vain qu’il avait essayé de se retenir. Il était tombé, il avait glissé, roulé dans le vide. Dans une rivière, dans une nappe d’eau étendue sous le mystérieux château. Un autre, d’effroi, de surprise, d’épouvante, eût peut-être été paralysé. Mais Riquet, trop de fois, s’était amusé à se baigner dans la Seine, soit aux bains à quatre sous, soit au quai d’Austerlitz, en dépit des agents, pour n’être pas bon nageur. Tombé à l’eau, il se laissa couler, frappa le fond d’un vigoureux coup de talon, revint à la surface, faisant la planche.
— Oh oh, murmurait-il, en reprenant haleine, voilà décidément que je varie les plaisirs. Ah çà, dans quoi suis-je tombé ?
Mais ce n’était véritablement pas le moment de réfléchir longuement. La nappe d’eau dans laquelle se débattait l’apprenti était glaciale, Riquet sentit qu’à peine d’être rapidement paralysé par le froid, il fallait nager :
— Très joli, le lac, songeait-il en lui-même, mais je voudrais bien savoir où je m’en vais accoster.
Hélas, Riquet n’était pas au bout de ses peines, il n’avait pas fait une vingtaine de brasses, en effet, qu’il avait l’épouvantable angoisse de se sentir happé par un courant des plus vifs, qui l’entraînait en dépit d’une résistance désespérée.
— Bougre, pensa Riquet, je me demande comment cela va se terminer ? Si la rivière coule si vite, c’est qu’elle doit aller se jeter dans une autre plus grande. Suivons-là, après tout, qu’est-ce qui prouve que le courant ne va pas m’entraîner hors de ce château ?
Mais Riquet ne réfléchit pas davantage. Au même moment un choc terriblement violent sur le crâne l’étourdit à moitié. En même temps, il eut l’impression qu’il coulait, que l’eau lui passait par-dessus la tête. Il avait beau nager de toute sa force, il était englouti, irrémédiablement.
L’apprenti devina la vérité : la rivière souterraine devait être canalisée dans quelque gigantesque tuyauterie qu’elle emplissait complètement. Il venait de s’engager dans cette tuyauterie. Il y était entraîné. Il allait périr noyé, sans rémission.
***
— Où suis-je ?
Tiens, Riquet était étendu dans une sorte d’appareil dont sa tête seule dépassait. En même temps, sur tout son corps, une brûlure ardente lui donnait une impression de bien-être extraordinaire. Cela lui faisait mal, en même temps que cela le ragaillardissait.
— Où suis-je ?
Autour de lui, penchées sur lui, il voyait de bonnes grosses têtes moustachues, des têtes qui lui demandaient avec sollicitude :
— Eh bien, petit gars, ça va mieux ?
— Ça va tout à fait bien, répondait-il, tout à fait bien. Seulement, où diable que je me trouve ?
— P’tit gars, tu es dans l’appareil à ranimer les noyés du poste de secours du quai de Grenelle.
On lui expliqua, mais ce fut long.
— Dame, c’est bien simple, déclara l’un d’eux, mon collègue et moi nous étions de service sur le quai, tout près du pont. Et puis nous t’avons aperçu. Tu te débattais dans la Seine. Heureusement, on sait nager. On s’est mis à l’eau. On a pu te ramener et te voilà. Bah, dans un quart d’heure, tu seras d’aplomb.
— Çà, pensait le gamin, c’est vraiment plus fort que de jouer au bouchon.
La pendule indiquait trois heures trente-cinq. Riquet demanda :
— C’est le jour ou c’est la nuit ?
— C’est la nuit, voyons. Comment, tu ne te rappelles pas ?
Riquet se rappelait parfaitement, au contraire. Il se rappelait qu’au moment où il avait quitté Blanche et Hélène, il était trois heures précises, donc, il y avait trente-cinq minutes à peine qu’il avait quitté les deux jeunes femmes. En trente-cinq minutes, la rivière souterraine dans laquelle il avait si bien failli périr l’avait donc conduit du château à la Seine, où on l’avait repêché ? D’autant plus extraordinaire que Blanche Perrier, Hélène et lui le savaient, il fallait près de trois heures d’automobile pour aller de Paris au château inconnu.
— Bien sûr, je deviens marteau, se dit le pauvre Riquet. Tout de même, avant de me rendre à Bicêtre, je vais tâcher d’aller trouver Jérôme Fandor. Si je peux le joindre, celui-là, peut-être bien qu’il sera assez costaud pour m’expliquer mon aventure, car c’est pas pour dire, elle me semble bizarre, mon aventure.