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17 – AU COUVENT

Dans son misérable logis où il continuait à habiter sous son nom d’emprunt, Taxi, ou plutôt Jérôme Fandor, eût été curieux à contempler. Fandor avait reçu la visite de Riquet, et, par le jeune homme, avait appris les péripéties d’Hélène depuis sa soudaine disparition dans la cheminée d’aération du tunnel par où elle s’était évadée.

Il avait appris, en outre, que Riquet s’était caché dans le coffre d’une automobile qui stationnait à la porte de la prison de Saint-Lazare, avait fait un voyage des moins confortables. Enfin, était descendu de voiture dans le château mystérieux où Blanche Perrier avec Hélène étaient retenues prisonnières.

Riquet n’avait pas dit à Fandor que l’automobile était occupée par Juve. Sans qu’il pût s’en rendre compte exactement, Fandor se doutait bien que Riquet lui avait caché quelque chose, mais il était à cent lieues d’imaginer que c’était la rencontre de son ami, le fameux policier que tout le monde s’obstinait à considérer comme mort, et que lui seul, Fandor, soupçonnait d’être encore en vie.

— Riquet, s’était dit Fandor, ne m’explique pas par quel mystérieux hasard il s’est trouvé enfermé dans le coffre de cette automobile. Soyons discret et ne cherchons pas à le savoir trop exactement. Hum, il y a bien des outils dans le coffre d’une automobile capables de séduire un individu de l’espèce de Riquet, et de réveiller en lui des instincts de chapardeur.

Justifiant de la sorte la montée de Riquet à bord de la voiture inconnue, Fandor qui ne songeait pas à imaginer que Riquet se taisait tout simplement parce que, ne comprenant rien à l’attitude de Juve, il ne voulait pas se mêler de quelque chose qui lui faisait un peu peur, Fandor s’occupait seulement de démêler l’intrigue qui semblait se nouer autour d’Hélène et de Blanche Perrier.

Petit à petit, Fandor désespérait de trouver le mot de l’énigme en ce qui concernait la raison de la captivité de Blanche, ou de l’enlèvement d’Hélène.

En revanche, il ne voulait pas s’avouer à lui-même qu’il était infiniment difficile avec les pauvres renseignements dont il disposait, de définir exactement l’endroit où pouvait se trouver le château dont Riquet lui avait parlé. Riquet, d’ailleurs, avait été peu explicite. Ce qu’il avait dit du château, où son séjour n’avait duré que quelques instants, stupéfiait et ahurissait Fandor.

— C’est un lieu, avait affirmé le jeune apprenti, qui est à trois heures de Paris, quand on y va, et à trente-cinq minutes quand on en sort. Il y a une rivière qui passe en dessous et dans le jardin il y a des marronniers. Enfin les murs sont élevés, les caves sont profondes, et j’ai relevé sur la façade une statue qui représente un petit bonhomme tout nu, avec des pigeons sur l’épaule. Le type qui m’a pris pour un revenant a raconté que c’était un ancien couvent.

Riquet n’avait rien dit de plus, et Fandor avait eu beau torturer les phrases de son indicateur bénévole, il ne pouvait leur faire dire beaucoup plus. Certes, le renseignement était précieux, qui le mettait à même de deviner que la façade du château était ornée d’une statue de l’amour apprivoisant des colombes. La composition même de ce groupe, permettait de deviner à peu près à quel style appartenait l’architecture de l’habitation, mais il y a en France une infinité de châteaux, et Fandor se disait avec juste raison qu’une vie entière lui suffirait à peine pour visiter après les avoir découvertes, toutes les maisons dont la façade pouvait comporter la statue d’un Amour surchargé de colombes. Il est vrai que Riquet également avait déclaré à Fandor que ce château était un ancien couvent. Cela tout d’abord semblait inadmissible au journaliste qui ne pouvait croire que la statue de l’amour figurât ainsi devant le perron d’une demeure aussi sainte.

Et puis, il y avait un autre détail qui, dans sa précision, apparaissait absolument incohérent. S’il fallait trois heures de route pour se rendre à ce château, avec une auto marchant à toute vitesse, comment Riquet pouvait-il en être revenu en trente-cinq minutes, emporté par le courant d’une rivière souterraine ?

Jérôme Fandor, sitôt Riquet parti, avait commencé par pousser avec une conviction profonde la longue série de tous les jurons de son répertoire. Il s’était mis dans une colère abominable. Il s’était révélé à lui-même qu’il en avait assez, qu’il en avait trop, qu’il fallait que ces aventures finissent, qu’elles le rendraient fou. Et puis, quand il avait assez tempêté, quand sa violence même avait eu calmé l’irritation de ses nerfs, il s’était convaincu qu’il importait de partir immédiatement à la recherche d’Hélène.

— J’ai trois choses, trois indices pour me guider, s’était dit Fandor, d’abord, la statue de l’Amour, ensuite, le temps qu’il faut pour aller ou revenir de cet endroit mystérieux. Enfin, je sais que ledit château est un ancien couvent.

Jérôme Fandor, réflexion faite, avait sauté sur son chapeau : de La Chapelle, il s’était rendu en toute hâte sur les boulevards où il avait fait l’acquisition de « l’Annuaire des châteaux de France ».

Rentré chez lui, une par une, Fandor avait feuilleté chaque page, examiné chaque gravure, lu ligne par ligne toutes les indications, tous les renseignements pouvant coïncider avec les déclarations de Riquet : malheureusement le journaliste s’était vite rendu compte qu’il existait une infinité de châteaux dont le parc était planté de marronniers et la façade plus ou moins ornée d’une statue. Comment donc choisir, trouver parmi tant de domaines, la demeure où gémissait Hélène ?

Or, tandis que ses recherches ne lui donnaient aucun résultat, tandis que ses yeux commençaient à pleurer de fatigue et de rage, tandis qu’il s’énervait de plus en plus, brusquement Fandor se redressa tout à coup pour exécuter une gigue effrénée qu’il dansa dans sa chambrette. Certes, les locataires voisins eussent été fort effrayés d’apercevoir les entrechats que réussissait à la perfection ce pauvre paralytique Taxi dont ils avaient si grand-pitié.

Jérôme Fandor venait d’avoir une idée :

— Mon petit Fandor, s’était dit le journaliste, se parlant à lui-même ainsi qu’il avait coutume de le faire dans ses moments d’expansion, mon petit Fandor, tu es le plus immonde des crétins de l’univers. Ta cervelle doit être en putréfaction. Ton idiotie ferait reculer d’horreur un académicien de l’Académie française. Enfin, je ne te reconnais plus. Parbleu, un endroit dont il faut trente-cinq minutes pour s’évader par la voie de l’eau en se trouvant amené à la Seine est un endroit qui est à trente-cinq minutes de la Seine. Il n’y a pas à aller contre. C’est un fait indiscutable. Maintenant il est très facile, en cas de besoin, de mettre trois heures pour y parvenir.

Fandor interrompit sa gigue, souffla, se frotta les mains, fit trois grimaces de plaisir dans la glace de sa cheminée, puis poursuivit son raisonnement :

— Admettons que Fantômas ait tourné en rond pour rallonger la route. La première conclusion à en tirer, c’est qu’Hélène et Blanche sont prisonnières dans l’enceinte de Paris. Cela explique parfaitement, dès lors, que Riquet, tombé dans la rivière souterraine, ait pu être amené à la Seine au pont de Grenelle en trente-cinq minutes. Il y a mieux, cela va peut-être me donner le moyen de retrouver en l’espace d une seconde la prison de mes deux amies.

Tout en parlant, Fandor choisissait dans une valise cachée sous son lit, la chemise toilée sur laquelle on lisait : Plan de Paris.

Fandor fouilla dans ce dossier. C’était la collection très complète de tous les plans qui ont été publiés : plans ordinaires, plans des tramways, du Métropolitain, des monuments, des théâtres, des curiosités, cartes géologiques.