Blanche s’arrêta une seconde, pour souffler. Mais sa tranquillité ne devait point durer. Elle entendit des bruits de pas précipités à l’extérieur de la maison, des pas qui se rapprochaient. Des claquements secs retentirent également, et bien qu’elle fût peu au courant de ces choses, la malheureuse soupçonna qu’il devait s’agir d’armes que l’on rechargeait.
Puis, brusquement, presque sous la fenêtre de la pièce, où elle se trouvait, la fusillade crépita. Des lueurs rouges, sinistres, vinrent frapper ses yeux agrandis par la terreur. Blanche entendit des cris de fureur et de souffrance, et stimulée par une épouvante qui croissait sans cesse, elle quitta la pièce où elle s’était dissimulée, alla droit devant elle, avançant toujours au hasard des portes ouvertes qui semblaient lui indiquer le chemin à suivre.
Sans doute, Blanche avait bien fait. Les bruits de pas se rapprochaient. Ils provenaient de la maison, et c’était désormais dans le hall que les coups de feu retentissaient, suivis de bruits bizarres, de cliquetis qui faisaient comprendre que des objets lourds tombaient sur le sol, ou que des vitres perforées par les balles venaient se briser sur les dalles de pierre.
Blanche qui, enfin, s’était arrêtée dans une pièce située tout à l’extrémité de la maison, répéta :
— C’est une boucherie, une effroyable boucherie.
Ses dents claquaient de peur et ses exclamations interrompaient une plainte sourde, monotone.
— Mon enfant, qu’est devenu mon enfant ?
Soudain, la porte de la pièce dans laquelle elle se trouvait, et qu’elle avait refermée de son mieux, s’ébranla, s’ouvrit tout entière.
Blanche sentit son cœur battre violemment dans sa poitrine, l’homme qui s’introduisait dans la cachette où la malheureuse se croyait en sécurité, venait de pousser un formidable juron et à haute voix, il grommela :
— Imbécile que je suis, ce n’est plus la peine de tourner le commutateur, cet animal de Bedeau depuis qu’il est parti, a naturellement abandonné le moteur qui faisait marcher l’électricité, nous n’avons plus de lumière.
Blanche l’entendait, elle se félicitait déjà du renseignement. Peut-être allait-elle passer inaperçue du fait que la lumière manquait ?
Et, dans l’angle de la pièce où elle se trouvait, elle se recroquevilla de son mieux, se fit toute petite, s’empêcha de respirer pour ne pas attirer l’attention de l’arrivant. Mais son espoir ne devait pas être exaucé, car l’homme avait fait craquer une allumette, il l’approcha d’une lanterne qu’il avait apportée avec lui, la mèche s’alluma, la lampe projeta une lueur blafarde sur la salle, que l’homme examina soigneusement aux rayons de son fanal.
Blanche fut éclairée par ce rayon, et l’apercevant, l’homme poussa un cri de triomphe.
Mais la jeune femme qui voyait l’arrivant avait, elle aussi, un cri, et ce cri n’était point un cri de terreur, mais plutôt un cri de soulagement, presque de satisfaction :
— Juve, c’est Juve, je suis sauvée.
Blanche alla vers le policier, l’homme qu’elle reconnaissait pour être celui qui, quelques jours auparavant, l’avait enfermée dans le couvent, rendue prisonnière, et constituée gardienne de son amie Hélène :
— Monsieur ? Monsieur ? interrogea Blanche alarmée, que se passe-t-il ? renseignez-moi ! Que signifient ces coups de feu ? Où est mon enfant ? Où sont mes amis ?
L’homme avait posé sa lanterne sur une petite table ; il considéra Blanche d’un air sinistre, les bras croisés, le front plissé. Puis il ricana.
— Blanche Perrier, déclara-t-il, le moment des explications est venu. Écoute. Tu m’as désobéi, tu vas être châtiée. Ta punition servira d’exemple, montrera que ce n’est jamais impunément que l’on enfreint mes ordres.
— Mais qu’ai-je fait ? demanda-t-elle interdite, en quoi vous ai-je désobéi ?
— Tu as cherché à fuir malgré ma défense, tu as quitté le couvent en emmenant avec toi Hélène et ton enfant.
— Mais, protesta Blanche au comble de la stupéfaction, si j’ai agi de la sorte, c’est sur les conseils de votre meilleur ami, de celui que vous considérez, comme votre frère, comme votre fils, sur le conseil de Jérôme Fandor.
— Ah, ah, Fandor, mon meilleur ami ? mon frère ? mon fils ? ah oui donc !
Il s’arrêta un instant, fit quelques pas, dans la pièce, jeta sur Blanche de plus en plus abasourdie, des regards féroces, puis, soudain, il bondit sur elle, lui prit le poignet, attira la jeune femme contre lui.
— Écoute bien, Blanche Perrier, dit-il, et retiens ce que je vais te dire, car ce sont les dernières paroles que tu entendras.
— Les dernières paroles ?
— Les dernières paroles, car tu vas mourir.
— Mourir ? pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Grâce, Juve, Juve, défendez-moi !
— Te défendre ? Allons donc. C’est moi qui vais te tuer.
Déployant une vigueur extraordinaire de la part de sa frêle personne, Blanche Perrier s’arracha à l’étreinte de celui qui la maintenait.
— C’est impossible, hurla-t-elle, Juve ne tue pas. Juve n’est pas un assassin. Juve, au contraire, sauvegarde et protège.
Elle n’acheva pas.
— Triple sotte, tu n’as donc pas compris qui je suis ? Moi, l’homme qui te parle en ce moment ? Celui qui va te châtier et te faire périr ? Aussi bien en ai-je assez de passer sans cesse pour Juve, Juve le perspicace, Juve l’honnête homme, Juve l’irréprochable. Non, non, je ne suis pas cela et je m’en vante. Regarde-moi bien Blanche Perrier, pour que tes yeux emportent jusqu’au fond de la tombe le souvenir de mon visage. Je ne suis pas Juve. Je suis Fantômas. Fantômas !
Blanche Perrier bondit à travers la pièce comme une bête fauve, comme une folle. Elle allait au hasard, se heurtant aux murs, trébuchant dans les meubles, ensanglantant ses mains au contact de pointes qu’elle rencontrait, de vitres brisées, mais, insensible, indifférente, elle allait quand même, comme si elle voulait enfoncer les murs, rompre les cloisons. Le sang coulait sur tout son corps, elle était à demi dévêtue, ses vêtements se déchiraient, tombaient par lambeaux, et sa lourde, son opulente chevelure complètement défaite, flottait sur sa nuque et ses épaules. Assurément, elle était belle à voir, dans la tragique horreur de son épouvante.
Fantômas, à deux ou trois reprises, avait poussé des jurons d’impatience. En vain, avait-il cherché à recharger son revolver, il n’avait pas trouvé une seule balle, il avait déjà tellement tiré qu’il ne lui restait plus de munitions :
— Quelle malchance, jura-t-il, est-ce qu’elle va m’échapper ?
Le monstre grinça des dents :
— Il faut pourtant que je la tue, cette mort est indispensable au plan que j’ai échafaudé, à toute la combinaison que je prépare. Blanche épargnée, vivante, ce serait la ruine de mes espérances et de mes projets.
Cependant, de l’extérieur, parvenaient des bruits qui faisaient tressaillir Fantômas.
Blanche Perrier les avait entendus aussi. Elle n’était pas de ces femmes qui se résignent aisément et que le désespoir ou la terreur paralyse. Elle sentait sa vigueur décupler. Les bruits lointains d’abord, mais qui se rapprochaient, lui donnèrent de l’espoir.
— Au secours, au secours ! hurla-t-elle.
Puis, elle s’arrêta une seconde, pour écouter, cependant que Fantômas grommelait :
— Malédiction !
Tous deux, en effet, avaient entendu que de l’extérieur, des voix avaient répondu à l’appel :
— Courage, avait crié quelqu’un, courage, on arrive !
Fantômas trépignait de colère, et se rendait compte que c’était désormais une lutte de vitesse, pour lui, avec les sauveteurs éventuels de Blanche, lutte dans laquelle il fallait triompher.
— Blanche ordonna-t-il, laisse-toi prendre. Obéis-moi, ta mort est certaine, mieux vaut pour toi qu’elle soit douce et rapide. Si tu résistes elle sera d’autant plus douloureuse.
Blanche se mit à rire. Se laisser prendre ? Ah, plutôt tout faire, même l’impossible. Désormais, elle se sentait un courage inouï pour résister. N’avait-elle pas entendu dire : on vient ? N’était-elle pas sûre que, dans quelques minutes, les hommes dont elle entendait le bruit des pas allaient venir l’arracher au monstre qui la menaçait ?