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Or, les réflexions du jeune homme, au moment même, furent brusquement interrompues.

Sa cachette se renversait à l’improviste, on roulait le tonneau et Jérôme Fandor, Diogène d’un nouveau genre, était bien obligé de subir l’étourdissant supplice de ce voyage à l’intérieur d’une barrique qui pivotait sur elle-même.

— Jadis, songeait le journaliste, j’ai déjà voyagé à l’intérieur d’un tonneau, mais c’était sans couvercle. Juve était avec moi et enfin nous échappions à Fantômas. Tandis qu’en ce moment… Où menait-on le tonneau ? Jérôme Fandor se le demandait. Après l’avoir roulé quelques minutes, lui avoir fait parcourir une soixantaine de mètres peut-être, Jérôme Fandor eut l’impression qu’on le relevait. Par bonheur, il avait la tête en haut. En même temps, il avait découvert une petite fente pour lui permettre de voir et lui éviter l’asphyxie.

Brusquement, il entendit quelqu’un qui disait :

— Dites donc, prenez garde, si cette sacrée barrique roulait, elle tomberait dans le trou.

Nouvel et surprenant accident, l’air du tonneau était naturellement chargé de vapeurs alcooliques et ces vapeurs finirent même par lui monter tellement au cerveau, que lentement, mais sûrement grisé, il se prit à chanter.

— C’est rigolo en diable, hurla le jeune homme, c’est farce comme tout, ce qui m’arrive, hé, là-bas, tavernier de mon cœur, ne me laisse pas moisir là-dedans ! Tue-moi, mais ne vous payez pas ma tête. Cré bon sang, si ça vous chante, enfermez-moi dans un tonneau plein, mais pas dans un tonneau vide.

Et puis, Fandor s’arrêta de parler. La vérité alors lui apparut :

— Qu’est-ce que je radote ? se demanda-t-il, je deviens saoul, vingt mille diables. Nous voilà propre. Pas à dire, coûte que coûte, il faut que je sorte de là.

Réagissant de toutes ses forces contre l’ivresse qui lui alourdissait les paupières, Fandor s’arc-bouta contre les parois du tonneau, s’efforçant de les défoncer. Il ne parvint même pas à les ébranler.

— De mieux en mieux. C’est solide comme un tonneau de vin de champagne. Non, au fait ce serait plutôt un bocal de cornichons, et moi, le cornichon. Ce que je dois avoir l’air cloche là-dedans.

N’avait-il pas entendu, quelques minutes avant, une voix qui disait :

— Si ce tonneau roulait, il tomberait dans le trou ?

Cela ne signifiait-il rien ? n’y avait-il rien à tirer de cette seule indication qu’il possédait relativement à sa situation ?

Fandor, après deux secondes de réflexion, se tenait ce discours :

— Mon tonneau est évidemment à côté d’un trou quelconque, je peux à la rigueur, en m’agitant comme un forcené, le faire dégringoler dans ce trou. Bon. Supposons que je le fasse, qu’arrivera-t-il ? De trois choses l’une : d’abord, si le trou est profond, j’ai grande chance de me briser le crâne, ensuite si le trou n’est pas trop profond, je peux espérer casser le tonneau sans trop me casser moi-même et de cette façon m’évader. Enfin, si le trou n’est pas profond du tout je n’obtiendrai aucun résultat, mais en tout cas je ne serai probablement pas plus en mauvaise posture que maintenant. Essayons. Il vaut encore mieux se briser le crâne que de périr lentement comme un rat muré dans un trou.

Il se recueillit un instant, une seconde. Il revit les visages de ceux qui lui étaient chers. Il songea à Hélène qui certainement devait être en sûreté, hors du couvent maudit. Il pensa à Juve peut-être encore en vie, mais il se roidit vite contre son émotion, il se brusqua :

— Allons-y.

À l’intérieur de son tonneau, Jérôme Fandor se livrait à une fantastique manœuvre. Comme un diable dans un bénitier, comme une sauterelle enfermée par des enfants dans une boîte, le journaliste s’agita, se démena.

Il finit de la sorte par ébranler le tonneau, il se mit dans la posture avec laquelle il avait le plus de facilité pour se renverser. Il en profita et, à un moment donné, alors qu’il ne s’y attendait plus, le tonneau bascula, roula quelques centimètres sur le sol, puis Jérôme Fandor le sentit crouler, c’était la chute.

La dégringolade ne dura même pas une seconde. Très vite, il toucha le fond du trou où il venait de choir.

Et, Jérôme Fandor qui s’était terriblement meurtri mais sans rien perdre de sa présence d’esprit, fulmina :

— Crédibisèque, pensait le journaliste, c’était bien la peine, tout à l’heure, de parler d’un trou. Mon tonneau n’est nullement disloqué, je me suis à peine fait mal. Parbleu, j’ai dû choir d’un mètre cinquante, de deux mètres tout au plus.

Où était-il maintenant ? Où sa prison avait-elle roulé ? Jérôme Fandor ne pouvait s’en faire aucune idée. L’ivresse, d’ailleurs, contre laquelle il avait lutté jusqu’alors, s’emparait de plus en plus de sa raison. Il comprenait qu’il était perdu, qu’il n’avait aucune chance de se tirer d’affaire, que personne ne pouvait venir à son secours. Dès lors, à quoi bon servait de lutter encore ?

Et quelques minutes après avoir eu le courage de risquer la chute du tonneau, Jérôme Fandor se résignait complètement au trépas inévitable. Il ferma les yeux. Il se laissa aller à la somnolence qui le gagnait. Débine noire. Il murmura pour lui seul :

— Mon pauvre vieux Fandor, tu étais un bon camarade, tiens, voilà mon dernier adieu, il est sincère.

***

Tandis que Fandor se débattait dans son tonneau que se passait-il dans le couvent de l’Assomption ?

Sous la conduite de la grosse vieille femme, ou plutôt de l’agent de police qui se cachait évidemment sous ce déguisement, les sergents de ville, fébrilement, fouillaient le couvent.

Ils ne trouvaient personne. Bien entendu, ils étaient arrivés trop tard. Mais ils découvraient en revanche le cadavre effroyablement mutilé de la malheureuse Blanche Perrier. Et juste au moment où Fandor se disait à lui-même un dernier adieu, les agents emportaient sur une civière improvisée faite de quelques planches, les restes de la malheureuse jeune femme.

En tête, précisément la grosse vieille femme. Elle guidait les porteurs, elle indiquait la marche à suivre :

— Par ici, mes amis, nous allons immédiatement appeler un fiacre et faire transporter le corps au domicile de la défunte. Ah, attendez un instant que je vous ouvre la porte.

Sous la conduite de la grosse vieille femme en effet, le cortège venait d’arriver au rez-de-chaussée de l’immeuble, devant une porte qui donnait sur le jardin.

La grosse femme fit jouer des verrous compliqués, tourna une clé dans la serrure, voulant ouvrir une porte qui résistait.

— Tiens.

Naturellement, la grosse vieille femme s’acharna à ouvrir le battant qui ne voulait pas tourner. Elle devait être, cette extraordinaire personne, d’une force herculéenne, car, s’y arc-boutant, elle réussit à repousser le battant. Il n’était pas fermé en effet, mais simplement maintenu, appuyé par un gros tonneau qui avait roulé tout contre.

— Au diable la barrique, pesta la grosse vieille femme qui, par le battant entrebâillé, apercevait ce qui lui faisait obstacle.

L’étrange personne donnait un coup d’épaule, le battant poussait le tonneau, qui roulait, la porte s’ouvrit, les agents pouvaient passer.

***

Dans son tonneau, Jérôme Fandor, aux trois quarts ivre, venait de se souhaiter son dernier adieu, lorsqu’à nouveau, une catastrophe se produisit, d’abord incompréhensible.

Depuis la chute, son tonneau n’était plus debout mais couché. Il avait eu la sensation qu’il avait rebondi plusieurs fois, roulé, puis qu’il s’était calé contre quelque chose. Jérôme Fandor ne bougeait plus, se tenait immobile, mais, soudain, le tonneau se mit à marcher, roula sur quelques mètres.

Mais le sol lui avait manqué encore une fois et Jérôme Fandor, précipité contre les parois de sa prison, manquait de s’y fendre le crâne, tandis que, tombant cette fois de très haut, le tonneau heurtait semblait-il des murailles, rebondissait de droite à gauche, roulait toujours.

Cela ne dura qu’une seconde, cette chute vertigineuse.

— C’est invraisemblable se disait Fandor, je retombe encore, où diable suis-je tombé ? en tout cas, je vais me briser le crâne.