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Il se trompait. Au même moment, dans un heurt plus violent, le tonneau se disloqua et l’habitant de la barrique eut la surprise de choir, non pas sur un terrain solide, mais bien dans une masse d’eau profonde dans laquelle il coulait.

Non seulement l’eau amortit sa chute, mais encore sa fraîcheur rappela au sentiment des choses l’ivrogne involontaire.

Jérôme Fandor revint à la surface dégrisé et prêt à tirer parti des événements. Il comprenait d’ailleurs aussi ce qui venait de lui arriver.

Le tonneau était tombé dans un puits ; dans sa chute il s’était brisé et Jérôme Fandor avait la bonne chance de découvrir que le puits étant d’un ancien et petit modèle, il y avait une corde au bout de laquelle était attaché un seau qui pendait à portée de sa main.

— Hourrah ! s’écria le journaliste.

Et sans plus s’étonner, car, au fond de lui-même, il avait une telle confiance en son étoile qu’il acceptait son sauvetage comme une chose toute naturelle, Jérôme Fandor agrippa la corde et commença à se hisser hors du puits.

Le journaliste était évidemment doué d’un caractère extraordinaire, pour n’être pas complètement abruti par la série des aventures fantastiques qu’il venait de vivre, et aussi Jérôme Fandor, grâce à son existence perpétuellement acrobatique et dure, avait des muscles d’une résistance extrême. Comme les boxeurs et les gens qui luttent, le journaliste était presque insensible aux coups. Il se blessait rarement. De plus, gymnaste consommé, sa souplesse le préservait des chutes dangereuses.

Hors du puits, Jérôme Fandor, à bout de force, mais vaillant, s’assit sur la margelle.

— C’est simple comme bonjour, se dit Fandor, seulement il fallait y penser. Tout de même, je voudrais bien savoir qui a ouvert la porte. Celui-là m’a rendu un rude service, sans peut-être s’en douter.

Il était dit, malheureusement, que Jérôme Fandor ne devait pas pouvoir se reposer ce jour-là.

Une balle lui siffla aux oreilles, écorchant une pierre contre laquelle il était appuyé.

— Bigre, hurla Fandor, déjà sur ses pieds et courant à travers le parc peuplé d’ombres, il grêle des pruneaux.

La nuit était venue cependant. Dans le parc, Jérôme Fandor se faufilait avec d’autant plus de prestesse que, derrière lui, il apercevait sept ou huit inconnus à sa poursuite.

— Très mauvais, se dit le journaliste, des képis, des sabres, des boutons qui luisent. Ce sont de respectables flics qui me donnent la chasse. Décidément je n’ai pas de chance. Je sors des mains de Fantômas pour tomber dans celles des cognes.

Fuyant toujours, Fandor s’orienta dans le parc, trouva une porte ouverte, se jeta dans la rue de l’Assomption. Derrière lui, à cent mètres, des agents débouchaient, eux aussi, du couvent, hurlant à qui mieux mieux :

— À l’assassin ! Arrêtez-le !

— Ils sont charmants, pensa Fandor, et d’une discrétion.

À huit heures du soir, la rue de l’Assomption est quasi déserte, Jérôme Fandor, au grand galop, la suivit. Rue Raynouard, il remontait de quelques mètres, puis tourna à droite, s’élança vers les berges de la Seine. Arrivé près du fleuve il souffla :

— Je pense qu’ils ont perdu mes traces.

Les agents avaient si peu perdu de vue Fandor qu’ils apparaissaient en haut des berges :

— Cela se gâte.

Il jeta les yeux autour de lui, épouvanté, cherchant un endroit où se dissimuler. Il n’y en avait pas.

— Décidément, c’est charmant, reprit-il, sérieusement alarmé.

Mais, après une pause, une seconde d’hésitation, il éclata de rire :

— Ah, zut, après tout, murmura-t-il, il y a déjà sur la Seine les bateaux-mouches, je m’en vais lancer un bateau de mouches.

Le jeu de mots ne valait rien. L’idée était bonne. En trois enjambées, Jérôme Fandor franchit une légère passerelle reliant une péniche au quai.

On l’avait vu, les agents hurlaient :

— Il est pris ! Hardi, il est pris !

— Pas encore, murmurait Fandor.

En même temps, sachant bien qu’à bord de la péniche il était à peu près invisible, Fandor se laissait couler dans la Seine.

Et, tandis que les agents, les cinq agents lancés à sa poursuite, grimpaient à bord du chaland, Fandor nageait, lui, vers la berge.

Le journaliste était à peine revenu sur les quais qu’il se précipitait vers les amarres du chaland. En quelques mouvements adroits il les avait défaites. La Seine était grosse, déjà la péniche s’éloignait, emportée par le courant.

À bord, les agents cherchaient toujours le fugitif.

— Dites donc, cria Fandor, j’aime autant vous prévenir tout de suite que je rentre chez moi.

Et, tandis que les braves serviteurs de la Préfecture s’effaraient, entendant cette voix gouailleuse, Jérôme Fandor, sans se presser, s’éloigna. Les agents à la dérive ne risquaient rien. De toute façon, c’était leur métier.

21 – LE 22 ET LE 41

— Séraphin, cria le père Pioche, d’une voix tonitruante, il faut préparer d’urgence le cabinet 22. Il va venir des clients de luxe, ils m’ont téléphoné tout à l’heure qu’ils le retenaient pour la nuit entière.

— On s’en occupe, patron, on s’en occupe, répliqua Séraphin qui émergeait des profondeurs de la cave où il séjournait depuis une bonne demi-heure, sous le vague prétexte de ranger les bouteilles.

La communication téléphonique informant le père Pioche, « qu’un client le luxe », comme il disait, retenait pour ce soir-là, le cabinet 22, avait déterminé le branle-bas dans l’établissement, ou pour mieux dire dans le sinistre bouge que tenait le gargotier dans une petite rue, derrière l’avenue du Maine, et qui s’intitulait pompeusement : Au Drapeau.

Le père Pioche, en effet, n’était guère habitué à louer les cases infectes qu’il désignait pompeusement sur sa vitrine, « Salons de Société » et « Cabinets particuliers ». Les hôtes habituels du cabaret étaient des gaillards qui n’avaient pas pour coutume de se faire servir à part lorsqu’ils faisaient une partie fine.

Or, les vitres dépolies du cabaret et les gros volets que, dès onze heures du soir, le père Pioche mettait sur sa devanture, suffisaient amplement d’ordinaire, à donner de la sécurité à ses hôtes.

Pioche, cependant, s’affairait. Armé d’un plumeau, il était monté lui-même par le petit escalier, raide comme une échelle, qui faisait communiquer le premier étage de son établissement directement avec la rue et il époussetait de son mieux le canapé avachi, que séparait de deux chaises défraîchies une table oblongue sur laquelle Séraphin s’empressait à dresser un couvert.

— Patron, interrogeait le domestique, dont la tête hirsute et les gros poings noueux étaient tout à fait de circonstance dans ce bouge que l’on ne pouvait fermer chaque soir qu’en distribuant aux clients force bourrades, pour les faire sortir, patron, expliquez-moi donc une chose ?

— De quoi qu’il s’agit ? interrogea Pioche.

— Eh bien ! fit Séraphin, vous allez me trouver curieux, mais je voudrais bien savoir, puisqu’il n’y a que deux salons dans votre boutique, pourquoi celui-ci s’appelle le 22 et l’autre le 41 ?

— Espèce d’imbécile, répliqua Pioche, si j’ai donné ces numéros-là, c’est histoire de faire croire aux clients que ma boîte est beaucoup plus importante qu’elle n’en a l’air et qu’elle comporte au moins une cinquantaine de cabinets particuliers.

— Tiens, je n’aurais jamais pensé à cela.

— Et puis, le 22 c’est de circonstance, ici, c’est comme aux lotos, 22, c’est deux cocottes. Tu comprends bien que si le client de luxe qui vient de me téléphoner a retenu ce salon, c’est parce qu’il n’a pas l’intention d’y venir tout seul, mais au contraire avec une dame. Les dames qui viennent comme ça dans les cabinets particuliers, d’ordinaire ne sont pas des vertus farouches.

— J’comprends, fit Séraphin.

— Ah, il doit s’en passer des choses.

— C’est pour cela fit-il, qu’il y a tellement de trous dans la cloison, histoire de rigoler pour les voisins.