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Cependant que Fleur-de-Rogue parlait, l’homme s’était radouci. Ses traits énergiques et durs se détendaient, il répondit :

— Tu me plais, Fleur-de-Rogue. Tu as du culot. Le Bedeau peut se dire que si je suis disposé à l’épargner, c’est uniquement grâce à toi et pour te faire plaisir. Maintenant, Fleur-de-Rogue, écoute bien ceci : ce coffret, tu l’as rapporté ici dans l’intention généreuse d’en partager le contenu avec moi je ne t’en remercie pas, car tu n’as fait que ton devoir, toutefois, il ne s’agit pas de partager mais de me donner tout ou pour mieux dire de me donner ce qui m’est dû et me rendre le coffre et l’argent. Vous ne vous imaginez pas, vous autres poursuivit-il, en haussant le ton, que Fantômas est un homme à consentir un partage avec les gens qu’il emploie ?

Fantômas ?

C’était en effet Fantômas, qui se trouvait tenir tête au redoutable Bedeau et à sa tragique maîtresse. L’empire que le Génie du Crime exerçait sur l’apache et sur la pierreuse était tel que l’un et l’autre filaient doux.

Le Bedeau, toutefois, en apprenant que la totalité de l’argent qu’il avait découvert, allait lui échapper, essaya de solliciter une indemnité quelconque, une petite part personnelle.

— Imbécile, triple idiot, fit Fantômas, t’imagines-tu par hasard que tu as découvert quelque chose et que tu puisses avoir un droit de propriété sur ce coffret ? Mais malheureux, l’argent que tu as trouvé, les billets de banque enfermés dans cette cassette tout a été apporté par moi dans la cave du couvent. Le contenant et le contenu m’appartiennent et la meilleure preuve est que si tu as trouvé à côté du coffre une clé permettant de l’ouvrir, j’ai, moi aussi, le double de cette clé, et que je m’en vais, à l’instant même vérifier le contenu de cette cassette qui m’appartient.

— Fantômas, proféra le Bedeau, je te jure que la somme est intacte, tu peux vérifier.

Dompté désormais, résigné à tout perdre, le Bedeau, de plus en plus confus, allait chercher le coffret qu’il avait déposé dans un angle de la pièce. Puis il fit silence et Fantômas, qui lui tournait le dos, ainsi qu’à Fleur-de-Rogue, ouvrit lentement la cassette et s’assura qu’elle contenait toujours les liasses de billets de banque qu’il avait déposés quelque temps auparavant, billets de banque qui n’étaient autres d’ailleurs que ceux qu’il avait obtenu, tant de la veuve Granjeard que de son fils Paul, lorsque, se faisant passer pour Juve auprès d’eux, il avait réussi l’abominable chantage qui devait lui rapporter un million.

— Fleur-de-Rogue, fit Fantômas, et toi le Bedeau, écoutez bien ceci, je vous épargne, je ne vous punis pas des fautes que vous avez commises. Quoi qu’on dise le contraire, je suis bon. Mais c’est à une condition. Tu garderas ce trésor, le Bedeau, je te le confie, qu’il te soit plus cher et plus précieux que la prunelle de tes yeux. Tu t’engages, quoi qu’il arrive, à le défendre jusqu’à la mort.

Le Bedeau leva la main.

— C’est juré, patron.

— Bien, fit Fantômas. D’ailleurs si tu ne tenais pas ta parole, aussi vrai que je suis le Génie du Crime, tu périrais dans les tortures les plus affreuses.

Les trois interlocuteurs s’arrêtèrent soudain : ils venaient d’entendre du bruit dans la pièce voisine. Fantômas fit un signe. Ils bondirent au rez-de-chaussée, non point par l’escalier qui faisait directement communiquer le premier étage avec la rue, mais par celui qui descendait dans la salle commune.

Ils bousculèrent le père Pioche, le renversèrent :

— Misérable, hurla Fantômas, en décochant un formidable coup de poing dans le visage du gargotier, misérable. Qui donc t’as payé pour venir nous espionner ? Qui donc as-tu mis dans le cabinet voisin de celui que j’occupais ?

Pioche s’était à peine redressé et allait balbutier quelques excuses sans bien comprendre ce dont il était coupable, que son interpellateur qui, majestueusement, traversait la salle commune, atteignait la porte et s’éclipsa.

— Bon Dieu, jura Pioche, au milieu des éclats de rire de l’assistance, ce salaud-là se débine sans payer, heureusement qu’il reste les autres.

Pioche monta. Le cabinet 41 était vide. Fleur-de-Rogue et le Bedeau avaient disparu, mais, après un instant de stupéfaction et de désespoir, Pioche se rassura :

— Qu’est-ce que cela me fait ? C’est à Fleur-de-Rogue que je m’en prendrai.

Le départ des trois interlocuteurs avait été soudain et rapide et non sans raison, Fantômas, le Bedeau et Fleur-de-Rogue s’étaient aperçus, en effet, tout d’un coup, que dans le cabinet voisin il y avait du monde. Or, ils se doutaient que ces gens devaient écouter, et comme ils craignaient d’être découverts, appréhendés par eux, ils s’étaient sauvés, trouvant préférable de ne pas risquer une bagarre dans un semblable lieu. Toutefois, si Fantômas et ses compagnons s’étaient imaginé qu’ils avaient autour d’eux des adversaires, le Génie du Crime était à cent lieues de songer que ceux-là même qui les écoutaient n’étaient autres que Fandor et sa fille. Fantômas, assurément, malgré son audace et sa témérité, aurait frémi s’il avait su qu’à travers la mince cloison qui séparait la pièce dans laquelle il se trouvait, du cabinet 22, le canon d’un revolver avait été, quelques instants, braqué sur sa poitrine.

Fandor, en effet, en écoutant la conversation dont il percevait nettement les échos, n’avait pas tardé à reconnaître ceux qui occupaient le cabinet voisin.

Avec stupeur, il s’était aperçu de la présence de Fleur-de-Rogue et du Bedeau, avec une indicible colère il avait reconnu Fantômas.

Et dès lors, le jeune homme, comme électrisé, avait bondi, pris son arme dans la poche de son pardessus. Mais Hélène était là et la jeune fille ne pouvait oublier, malgré tout, que Fantômas était l’auteur de ses jours et que son devoir à elle était de le protéger en dépit de tout et contre tous.

Fandor, le bras tendu, avait visé à travers la cloison par un interstice des planches disjointes, la poitrine de Fantômas qu’il voulait transpercer.

Mais Hélène s’était précipitée devant le journaliste, elle avait interposé son corps souple et élégant entre le canon du revolver et la cloison menacée :

— Vous ne tirerez pas, Fandor, avait-elle murmuré.

Le journaliste, en effet, avait laissé tomber son arme.

— Hélène, murmura-t-il, en s’efforçant d’écarter la jeune fille pour sortir de la pièce, laissez-moi, il faut que j’intervienne, Fantômas est là, à ma merci et je ne puis…

Mais Hélène avait arrêté Fandor, elle l’avait retenu en nouant autour de son cou ses deux bras, en unissant ses lèvres aux siennes.

Cela n’avait duré qu’un instant, qu’une seconde, mais Fantômas et ses compagnons en avaient profité pour disparaître. Fandor s’était arraché à l’étreinte amoureuse d’Hélène, mais lorsqu’il sortit du cabinet 22, le 41 était vide.

22 – LA LOGIQUE DE RIQUET

Debout dans le cabinet de son fils Paul, M me Granjeard, le véritable directeur de l’usine, l’âme même de la formidable industrie qui représentait sa fortune, dictait ses instructions à Paul Granjeard.

— Tu leur répondras, disait-elle, désignant une lettre que son fils venait de lui passer, que nous n’avons pas cette sorte de fers et que nous ne tenons pas à les avoir. Écris cela sur un ton désagréable, qu’ils comprennent bien que s’ils veulent s’adresser à un concurrent, ils devront rompre toutes relations commerciales avec nous. On n’a pas idée de cela. Voilà maintenant que les clients se documentent avant de s’adresser à nous. Je les ai moi-même reçus la semaine dernière, j’avais étudié la question, et ils ne s’en rapportent pas à ce que je leur ai dit. Nous avons autre chose à faire qu’à discuter technique pour des commandes de si peu d’importance.

Au même moment, on frappait à la porte de la pièce. M me Granjeard répondit :