— Je vais toujours monter un étage, au hasard, se dit le journaliste.
Il tourna dans l’étroit corridor de l’une des deux maisons. Les murs en étaient sales, recouverts d’inscriptions obscènes et l’humidité suintait en larges taches, des enfants jouaient à la marelle ou se volaient des billes, Jérôme Fandor n’y prit pas garde. Il passa.
Au bout du corridor, au fond de l’innommable boyau, il monta. Les marches étaient branlantes et d’autant moins rassurantes que les locataires, pour ne pas avoir la fatigue de descendre, vidaient depuis longtemps leurs boîtes à ordures à même la cage de l’escalier. Des pelures d’oranges, des épluchures de salades, de vieux chiffons souillés sur lesquels des essaims de mouches tourbillonnaient, garnissaient les marches, çà et là, mêlés à des éclats de verre, tessons de bouteilles, boîtes de conserves, à d’autres ordures encore.
— Charmant séjour, pensa Fandor.
Et il monta, bousculant une bande de marmots qui l’avaient envahi et se laissaient glisser le long de la rampe, au risque de se briser le crâne. Jérôme Fandor, d’ailleurs, en passant, n’attirait l’attention de personne. Dans cette maison où il y avait bien, comme il l’avait deviné, plus de deux cents chambres, il y avait chaque jour de nouveaux locataires, car, chaque jour, les huissiers venaient procéder à des expulsions parfois tapageuses. Une figure nouvelle n’était donc point faite pour surprendre, d’autant qu’en ses vêtements de pauvre hère, Jérôme Fandor pouvait fort bien passer pour un indigène.
Parvenu au troisième étage, – la maison en comportait sept, – Jérôme Fandor, pourtant, commençait à hésiter sur la conduite à tenir.
Le journaliste, heureusement, avait plusieurs fois déjà visité de semblables demeures. Il connaissait à peu près la façon dont les initiés se conduisent en pareil lieu et il en profita pour agir comme eux.
Jérôme Fandor monta encore un étage, sourit en entendant un refrain comique, lugubrement fredonné par un ivrogne accroupi au milieu d’un corridor et semblant convaincu qu’il était dans sa chambre, car il commençait à se déshabiller. À haute voix, le journaliste cria, s adressant au chanteur :
— Le Bedeau, s’il vous plaît ? c’est-y par là qu’est sa carrée ?
Il ne reçut pas de réponse. Jérôme Fandor renouvela sa question, puis se décida :
— Ça ne doit pas être son étage. Voyons plus haut.
Au cinquième, dans un corridor qui, à midi devait être obscur et qui, en ce moment, où il était neuf heures du soir, n’était éclairé par aucune installation de gaz, Jérôme Fandor appela encore :
— Le Bedeau, s’il vous plaît, la compagnie ? c’est-y par là qu’il gîte ?
À la cantonade, de loin, une voix de femme s’informa :
— Qui c’est qu’on demande ? et pourquoi ?
— Le Bedeau. Je cherche après mon poteau. C’est-y par ici ?
Sa voix devait être rassurante, il devait avoir imité de façon satisfaisante le parler faubourien, car on lui cria à travers une porte fermée :
— Au-dessus, la porte du fond.
Cette fois, Jérôme Fandor était parfaitement documenté. En guise de remerciement il cria, lui aussi :
— Ça va, la bourgeoise, ça colle.
Et, traînant les pieds, d’un pas lourd qui imitait la démarche d’un ouvrier fatigué, Jérôme Fandor monta au sixième.
Toutefois, tandis qu’il gravissait l’étage, le journaliste, tout en affectant un laisser-aller parfait, prenait en réalité des précautions sérieuses.
— Mauvais, se disait-il, je viens d’être obligé, par trois fois, de crier le nom du personnage, l’oiseau pourrait bien s’être envolé.
Et, pour éviter d’être aperçu de l’escalier, Jérôme Fandor monta en se collant à la muraille.
La maison remuait d’ailleurs. De toutes parts, les portes s’ouvraient, des femmes, parfois une honnête ménagère, le plus souvent des pierreuses ou de terrifiantes mégères, descendaient pour appeler les gosses qui ne semblaient avoir nul souci de remonter se coucher dans la chambre où le père, en guise de bienvenue et de bonsoir, allait, comme d’habitude, leur administrer la raclée.
Jérôme Fandor se hâta. Au sixième, on voyait un peu plus clair dans le corridor car il donnait de plain-pied sur le toit d’une maison avoisinante.
Jérôme Fandor tourna sur la droite, chercha la chambre du Bedeau. Il la heurta d’un coup de poing :
— T’es là, l’Bedeau ? commença-t-il d’une voix qu’il voulait avinée.
Le Bedeau ne devait pas être dans la chambre. Jérôme Fandor n’entendit aucune réponse, aucun bruit.
— Décidément, j’ai de la veine, pensa-t-il.
Et, en professionnel expert, profitant d’un moment où le couloir était désert, Jérôme Fandor introduisit un passe-partout dans la serrure, fit jouer la gâche, ouvrit brusquement la porte.
Il ne s’était pas trompé, la chambre était vide.
— De mieux en mieux, se déclara Fandor.
Et, sans aucun scrupule, Jérôme Fandor, ayant pénétré dans la mansarde, referma tranquillement la porte sur lui. Au surplus, il n’y avait pas à s’y tromper. Il était bien chez le Bedeau. À un clou, une défroque pendait qui suffisait à lui enlever tout doute à cet égard, car il reconnaissait la veste que portait la veille même, chez le père Pioche, le sinistre Bedeau.
La chambre d’ailleurs était épouvantablement sale, sale à faire reculer. Dans un coin, près d’un grabat, d’une paillasse jetée à même le sol et sur laquelle des vêtements étalés en désordre figuraient les couvertures, se trouvait une chaise éventrée. Plus loin, sur une vieille table dont les pieds étaient cassés et consolidés par des planches, se trouvait une cuvette remplie d’eau sale, un pot à eau encombré d’une serviette encore trempée.
C’était là tout le mobilier.
Fandor apercevait encore un journal étendu sur le sol sur lequel étaient amassés des bouts de cigarettes recueillis dans les rues, aux terrasses des cafés et constituant évidemment les provisions de tabac de l’apache.
Aux murs enfin, avec quatre épingles tordues, une grande affiche rouge, qui commençait par les mots : « Citoyens, on vous trompe », attestait que le Bedeau, à ses moments perdus, ne négligeait pas la politique.
Mais tout ce pauvre et ignoble désordre était bien indifférent à Fandor qui ne perdit pas de temps à le considérer.
— Hé, hé, monologua le journaliste, il s’agit de faire vite, si je ne veux pas que mon homme me tombe dessus et me fasse passer le goût du pain.
Jérôme Fandor, tout en parlant, s’agenouilla, tapa du poing sur les briques formant le carrelage du plancher. Il était venu en effet beaucoup moins avec le désir de rencontrer le Bedeau qu’avec l’intention de rattraper le coffret que Fantômas avait confié à la garde de son complice. Ce coffret, à coup sûr, le Bedeau avait dû l’emporter dans sa chambre, dans cette chambre où, précisément Fandor venait perquisitionner. Qu’en avait-il fait par exemple ? où avait-il pu le cacher ? Et Jérôme Fandor n’avait pas hésité longtemps, vu l’absence de meubles, à deviner qu’un trou devait être pratiqué dans le carrelage et que, dans ce trou, le coffret devait être dissimulé. Le journaliste ne se trompait pas.
Comme il tirait à lui la paillasse, il découvrit en effet qu’un des carreaux rouges, formant le plancher, branlait légèrement dans son alvéole. Introduire une lame de canif sous ce carreau, le faire sauter, lever aussi les carreaux avoisinants, découvrir le coffret fut l’affaire d’une seconde.
— Ma parole, murmura Fandor, je crois que je n’aurai pas perdu ma soirée.
Pourtant, en soulevant le coffret, Fandor éprouva une vive surprise. Il était étonnamment léger.
— Ah çà, commença le journaliste, est-ce que par hasard, le voleur que je suis, en ce moment, serait volé ? est-ce que l’argent ne serait plus là ? C’est fermé, murmura-t-il tout d’un coup, par une serrure à secret. Quel peut être le secret de Fantômas ? Tiens, une idée.
Fandor fit jouer la combinaison permettant d’ouvrir l’intrigante petite boîte, il amena les lettres H.E.L.E.N.E.