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Comme une furie, Fleur-de-Rogue s’était précipitée sur Hélène, et c’était désormais, entre les deux femmes une lutte terrible et sauvage. Hélène avait ramassé près d’elle une bûche de bois et menaçait d’en frapper sa terrible adversaire. Mais celle-ci avait une arme plus redoutable, un énorme couteau, dont la lame miroitait, dont la pointe acérée menaçait à chaque instant le visage, la poitrine de l’infortunée fille de Fantômas. À deux ou trois reprises, Hélène avait réussi à parer le coup fatal, à éviter la blessure meurtrière, mais cette lutte était inégale et la jeune fille sentait que, peu a peu, ses forces allaient l’abandonner.

Fleur-de-Rogue était plus forte qu’elle et la colère qui l’animait décuplait sa vigueur. Une petite fenêtre donnant sur la forêt était ouverte et Hélène avait appelé au secours. Plainte inutile. Comme l’avait dit Fleur-de-Rogue, la sinistre masure était bien isolée au milieu de cette forêt déserte. Dans un angle de la pièce, Hélène avait dû reculer et, désormais, Fleur-de-Rogue la serrait de près. Elle avait comprimé un des bras de la jeune fille sous l’étreinte puissante de sa main nerveuse et elle le tordait ce bras à le faire craquer, arrachant à Hélène un affreux cri de douleur. De sa main restée libre, Fleur-de-Rogue brandissait le couteau. Elle allait le plonger dans le sein de celle qu’elle considérait déjà comme sa victime et, pour appuyer son geste d’un blasphème, Fleur-de-Rogue hurla :

— Crève donc, crève !

Mais son cri s’arrêta dans sa gorge et s’acheva par une plainte, une plainte qui n’était autre qu’un râle. Une détonation venait de retentir, Fleur-de-Rogue tombait en arrière, en gémissant, un flot de sang s’échappait de sa mâchoire fracassée, de sa gorge ouverte. Que s’était-il passé ? Hélène se relevait d’un bond, se penchait sur la pierreuse et, avec les yeux agrandis par l’épouvante, elle assistait, crispée par l’émotion, aux derniers spasmes de la maîtresse du Bedeau qui agonisait en se tordant.

À deux ou trois reprises, Fleur-de-Rogue essaya de se soulever, malgré la douleur effroyable qu’elle éprouvait, une de ses mains cherchait le couteau qu’elle avait dû lâcher, l’autre se portait à son visage, à sa mâchoire fracassée, puis la pierreuse tomba lourdement sur le sol. Elle était morte.

Cependant, Hélène était demeurée quelques secondes paralysée de surprise et d’effroi, unique témoin de cet horrible spectacle. Mais une pensée, soudain, lui venait à l’esprit :

Elle cria :

— Mais qui donc ?

D’un bond, la jeune fille couru à la fenêtre ouverte sur la forêt. Elle se pencha dans l’embrasure étroite, regarda aux abords de la maison, il faisait tout noir, elle ne voyait rien. Mais, cependant, au bout de quelques instants, ses yeux, qui s’étaient habitués à l’obscurité, devinaient plutôt qu’ils ne voyaient nettement une ombre qui se profilait à la lisière des arbres. Hélène tressaillit d’émotion, c’était une ombre humaine, une ombre aux formes gracieuses, élégantes, il n’y avait pas à en douter : c’était une femme qui s’enfuyait, qui disparaissait au loin, s’enfonçait dans la nuit, mais quelle était cette femme ?

25 – LE MAÎTRE CHANTEUR

Fantômas, qui, depuis quelque temps déjà, avait réussi à se faire passer, auprès de certaines personnes, pour le célèbre policier Juve, arrivait ce matin-là d’un pas précipité à Saint-Denis, s’engouffrait dans la rue de l’Estacade et carillonnait à la porte de la propriété occupée par la famille Granjeard.

Les ateliers venaient de s’ouvrir depuis quelques instants seulement. Il n’était que huit heures et demie du matin. Fantômas attendit sous le porche de la maison cependant qu’il jetait un regard sournois et rapide sur l’enfilade des ateliers et des vastes hangars qui s’élevaient tout autour de l’immeuble.

Avec une audace inouïe, une témérité fantastique, le bandit revenait à la charge. Il n’hésitait pas à se présenter dans la famille Granjeard et il le faisait sans redouter, en apparence du moins, les conséquences de la conversation que la veuve et ses deux fils avaient eue, la veille, avec le véritable Juve, venu précisément les voir au moment où Fantômas se présentait, ce qui, d’ailleurs, avait déterminé le bandit à s’enfuir, non sans avoir glissé au préalable dans la poche du policier la chevelure de Blanche Perrier, qu’il avait assassinée.

Fantômas ignorait que Juve n’avait pas révélé sa personnalité et qu’il s’était présenté à M me Granjeard sous le nom du courtier en vins. C’est pourquoi le bandit était anxieux de connaître les déclarations éventuelles de Juve, c’est à quoi il songeait lorsqu’il sonna. Son visage avait une expression dure, tourmentée. Machinalement, Fantômas palpait sous l’épaisseur de son vêtement à l’intérieur de sa poche, la crosse de son revolver.

— Il est bien chargé, cette fois, se disait-il, on ne sait pas ce qui peut arriver.

Et, en pensant à « ce qui pouvait arriver », Fantômas eut un sourire sardonique.

La porte enfin s’ouvrit et Julie, la domestique, s’effaçant pour laisser passer le visiteur, l’invita respectueusement à pénétrer dans le petit salon :

— Je vais aller prévenir madame et ces messieurs, déclara la bonne. Si monsieur Juve veut prendre la peine d’attendre ici quelques instants.

Le faux policier répondit sur un ton protecteur qu’il n’était pas pressé, qu’il avait bien le temps, demeurant fort convaincu, d’ailleurs, que les personnes auxquelles il venait rendre visite ne le feraient pas languir, désireuses d’entendre Juve. Plus Fantômas pensait à la personnalité du policier qu’il s’était acquise, plus il songeait au rôle terrible et redoutable qu’il jouait sous ce nom qui était pour lui la meilleure des sauvegardes. Il éprouvait une indicible satisfaction à l’idée qu’il avait dupé tout le monde et qu’il avait merveilleusement profité des circonstances et des événements.

Pourquoi et comment Fantômas s’était-il fait connaître sous le nom de Juve ?

Les choses étaient venues pour ainsi dire malgré lui. Cela remontait à quelques semaines, à une certaine matinée où Fantômas, à la recherche du cadavre de son ancien associé, le cocher Prosper, sur les ruines de l’immeuble appartenant à Juve, avait été rencontré par un gavroche effronté et sympathique. Fantômas s’était amusé à se faire passer, auprès de ce gamin, pour le policier Juve. Il avait raconté cela par gaminerie, comme il eût voulu éblouir et intéresser un petit enfant à un conte fantastique. Seulement, il était arrivé qu’au cours de ses conversations avec le petit Riquet, il avait appris les dissensions intestines qui divisaient la famille Granjeard. Il avait connu toute l’histoire de Didier et il savait combien sa mère, ainsi que ses frères, gens âpres à l’argent, étaient opposés à la conduite qu’il avait, à l’existence qu’il menait, et Fantômas, très perspicace, s’était aussitôt dit que ces gens-là seraient capables de tout pour éviter une liquidation de leur maison. C’est alors que, dans son esprit fertile et cruel, une idée avait germé.

Fantômas avait décidé d’assassiner Didier et de faire croire que les auteurs de ce crime n’étaient autres que ses parents, puis, après avoir fait arrêter ces derniers, de les libérer par un artifice dont ils lui sauraient gré.

D’autres se seraient contentés d’avoir obtenu cinq cent mille francs de la mère, en lui disant que, moyennant cette somme, elle arrachait son fils aîné à l’échafaud et cinq cent mille francs de ce fils, en lui persuadant qu’à ce prix sa mère coupable ne serait pas inquiétée. Mais Fantômas n’était pas satisfait : il voulait mieux encore, le bandit savait que la fortune des Granjeard s’élevait à plusieurs millions, et l’appât du gain lui donnait le désir de se les approprier tous. Les Granjeard, libres et innocentés, ne voulaient pas payer, Fantômas avait imaginé autre chose. Il s’agissait de les compromettre encore et c’est pourquoi il avait assassiné, quelques jours auparavant, la malheureuse Blanche Perrier. Fantômas, en attendant l’arrivée des Granjeard, réfléchissait à tous ces événements :

— Mon coup est très avancé, se disait-il, il ne me reste plus qu’une passe à franchir et j’aurai gagné la partie.