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Le visage de Fantômas, cependant, se rembrunit.

— Le tout, grommelait-il tout bas, est de savoir ce que Juve leur a dit hier. Suis-je brûlé à leurs yeux ? ou cet imbécile de policier, ne voulant pas se nommer encore, par prudence, a-t-il de la sorte, laissé le champ libre et la voie ouverte à mes désirs ?

C’était là, en effet, toute la question qui se posait pour Fantômas. Lorsque les Granjeard allaient entrer dans le salon, y pénétreraient-ils avec la conviction qu’ils se trouvaient en face d’un imposteur, doublé d’un maître chanteur, ou alors croiraient-ils encore au Juve qu’ils avaient déjà connu et par lequel ils se pensaient protégés ?

Mais il fallait s’attendre à tout, c’est pour cela que Fantômas avait dans sa poche un revolver chargé. Le bandit était optimiste et il se disait que sa bonne étoile lui permettrait certainement de mener à bien son entreprise. Dès lors, pensait-il, il faut agir carrément, nous n’avons plus une minute à perdre.

Fantômas s’arrêta de penser, car l’heure de l’action sonnait : la porte s’était ouverte, M me Granjeard, suivie de ses deux fils, entrait dans le petit salon.

Dès le premier coup d’œil, dès l’échange du premier regard, Fantômas poussait un imperceptible soupir de satisfaction. En voyant ses interlocuteurs, il se rendait compte que rien n’était changé, il comprenait que Juve n’avait point révélé sa propre personnalité et que, par conséquent, le policier ne l’avait point brûlé, lui, Fantômas, dans l’esprit des Granjeard.

Rassuré de ce côté, Fantômas, dès lors, se révéla d’une audace et d’un cynisme qui n’avaient plus de bornes. Il n’avait rien à craindre, il n’allait pas se faire faute de terrifier les Granjeard pour en obtenir le plus d’argent possible d’eux.

Et, tout d’abord, prenant une physionomie hypocritement triste et sévère, Fantômas salua les nouveaux venus de ces mots :

— Blanche Perrier est morte, morte assassinée.

— Oui, dit M me Granjeard, nous avons appris cet épouvantable drame. Nous sommes désolés. Nous regrettons. Pauvre femme.

Paul Granjeard intervint à son tour :

— C’est désolant, mais nous n’y pouvons rien.

— Croyez-vous ? fit Fantômas.

Les Granjeard le regardèrent, surpris. Le faux Juve poursuivit :

— Vous aurez peut-être à vous expliquer très prochainement sur le décès de cette malheureuse.

— Nous ? s’écrièrent ensemble la mère et les deux fils.

Imperturbable, Fantômas poursuivit :

— Le juge d’instruction Mourier a décidé de procéder à nouveau à votre arrestation. C’est une question d’heures.

— Mais pourquoi ? que signifie ?

— Oh, le raisonnement du magistrat est fort clair, il vous sera bien difficile de le détruire. Voilà : vous êtes suspects d’avoir fait disparaître la seule personne qui pouvait constituer pour vous un témoin gênant. Blanche était, en effet, l’unique femme susceptible d’innocenter celui sur qui vous cherchez à faire retomber les soupçons, c’est-à-dire sur le journaliste Jérôme Fandor, que vous avez accusé formellement d’être l’auteur de l’assassinat de Didier. Saisissez-vous ?

— Pardon, dit Robert Granjeard, mais nous n’avons jamais accusé ce monsieur d’avoir tué notre frère.

Avec une audace inouïe, le faux Juve affirmait :

— La lettre existe. Au surplus, si elle n’existait pas, la situation serait la même.

— Je ne comprends pas, je ne comprends pas, balbutia M me Granjeard, qui, effondrée dans un fauteuil, se comprimait la tête dans les mains.

— C’est bien simple, pourtant, reprit Fantômas, et je m’en vais préciser pour vous, madame. Voilà la situation. Une première fois, lorsque vous étiez sous les verrous, vous accusez la maîtresse de votre fils d’avoir été l’instigatrice du crime. Pourquoi ? Parce que le testament de Didier fait de cette Blanche Perrier sa légataire universelle. L’argument est si probant, d’ailleurs, que le magistrat vous libère immédiatement. Bien. Je continue. Vous avez peur que le magistrat ne s’aperçoive que le testament que vous avez invoqué pour accuser Blanche Perrier est en réalité un testament faux, c’est ce qui arrive, mais vous avez prévu le cas. Et, dès lors, vous venez dire : « Eu égard aux enquêtes postérieures qui ont été faites, aux suppléments d’information que nous avons recueillis, nous basant sur l’affaire du chariot, nous estimons que le coupable, l’auteur du meurtre de Didier, est un étrange mendiant, un simulateur d’infirmités, un homme suspect enfin, le journaliste Jérôme Fandor ». Moi, Juve, j’interviens à ce moment et je vous objecte que cette version a un inconvénient, c’est que Jérôme Fandor, qui habite à côté de Blanche Perrier, trouvera auprès d’elle tous les alibis nécessaires, qu’il soit coupable ou innocent. Je continue. À peine ai-je soulevé devant vous ces hypothèses, à peine vous ai-je fait toucher du doigt cette question délicate, que Blanche Perrier meurt assassinée. Qu’est-ce que je dois donc conclure en bonne logique ? c’est que, excusez-moi de ne pas vous mâcher les mots, pour compromettre plus sûrement Fandor et lui enlever le seul témoin qui l’innocente, vous avez fait assassiner Blanche Perrier.

M me Granjeard, qui, à grand peine, se condamnait au silence pendant que parlait le faux policier, ne put contenir plus longtemps son indignation :

— Mais, hurla-t-elle, c’est épouvantable ce que vous racontez-là. Ce que vous imaginez, car nous ne sommes pour rien dans ces affreuses combinaisons.

Elle s’arrêtait. Le faux Juve avait fait un signe de la main et d’un ton très calme, il reprenait :

— Je ne veux pas me demander, Madame, si, dans la famille Granjeard, il est ou non quelqu’un de coupable, je vous signale simplement l’opinion qui se forme, qui se précise à votre égard et je vous préviens des risques que vous courez. Si les juges raisonnent comme je viens de le faire, vous aurez bien du mal, les uns et les autres, à vous sortir d’affaire.

Ce n’était ni M me Granjeard ni Paul Granjeard qui pouvaient protester.

La mère, en effet, était sans cesse retenue, paralysée par cette pensée que c’était son fils, Paul, qui avait tué Didier et, d’autre part, Paul avait acquis, croyait-il du moins, la certitude absolue que le meurtrier de son frère n’était autre que celle qui lui avait donné le jour.

La mère et le fils se tordaient les bras, absolument désespérés, convaincus que, d’un instant à l’autre, Juve allait leur annoncer qu’u était venu les voir, officiellement, de la part de la justice, et qu’il allait à nouveau procéder à leur arrestation.

Robert Granjeard semblait, lui aussi, désolé. Il était plongé dans les plus sombres réflexions, assis dans un angle de la pièce, le visage dissimulé derrière ses mains.

Le faux Juve, estimant que ces gens étaient au paroxysme de l’émotion, insinua alors :

— Il n’y aurait pour vous qu’un moyen de vous tirer d’affaire et ce moyen je vous l’apporte.

Les trois Granjeard, avec surprise et espoir, considéraient l’imposteur. Celui-ci poursuivit :

— Pour vous innocenter il faut un coupable. Or, ceux sur lesquels, jusqu’à présent, vous avez jeté vos vues vous ont échappé d’une façon ou d’une autre. Il en reste un, c’est Fandor, et Fandor est disposé à assumer, dans une certaine mesure, la lourde responsabilité dont il vous déchargerait. Il veut bien disparaître. Il veut bien partir, sa fuite l’accusera. Y consentez-vous ?

Le policier ne précisait pas, n’achevait pas autrement sa phrase, mais elle avait néanmoins un sens très net, les Granjeard ne s’y trompèrent pas.

Paul et sa mère demandèrent ensemble, catégoriquement, en gens habitués à traiter avec précision les affaires de toute nature :

— Combien ?

Sans hésitation, Fantômas répliqua :

— Cette fois, pas moins d’un million !

Il y eut un instant de silence. M me Granjeard était devenue toute pâle, Paul Granjeard laissait échapper un profond soupir :

— Écoutez, Monsieur…, commença-t-il.

— Ne discutons pas, je vous en prie, fit-il, je me fais là, bénévolement, l’intermédiaire d’une cause excessivement délicate à plaider. J’agis dans votre intérêt. Personnellement je n’en tire aucun avantage, je n’ai qu’une chose à vous dire : c’est un million ou l’arrestation, un million tout de suite.