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— Je me demande, songeait Fandor, quel peut-être le domestique de Juve ? Un imbécile probablement, un type incapable de réfléchir ou de comprendre quoi que ce soit. Juve, qui s’est laissé passer pour mort, vis-à-vis de moi, n’a certainement pas avisé son vieux domestique qu’il vivait encore. Et par acquit de conscience, il a dû choisir un larbin aussi borné que possible.

La porte s’ouvrit, c’était la figure avenante d’une jeune bonne qui apparaissait à Fandor.

— Mademoiselle, commença le journaliste, voulez-vous prévenir votre maître, que M. Jérôme Fandor demande à lui parler ? Il est au courant.

La jeune bonne, semblait être, elle aussi, prévenue de la visite du jeune homme, car, en souriant gracieusement, elle répondit :

— Entrez, Monsieur.

Fandor fut introduit dans un cabinet de travail situé tout près de la porte d’entrée, un cabinet de travail dont l’aspect, immédiatement, lui apparaissait familier. Il était meublé d’un bureau-ministre surchargé de paperasses, de dossiers, d’une bibliothèque, où des cartons-classeurs s’écroulaient les uns sur les autres, une machine à écrire était placée sur une petite table contre la cheminée surmontée d’une glace.

Plus loin, un téléphone avec son fil souple déroulé et en désordre, attestait que le maître des lieux, devait être un homme d’affaires.

— Pas d’hésitation à avoir, se déclarait Fandor, dépouillant son pardessus, c’est bien cet animal de Juve qui va m’apparaître tout à l’heure. Qu’est-ce que je vais lui chanter ?

Jérôme Fandor, complètement rassuré, – car il reconnaissait dans la disposition des moindres détails, l’arrangement ordinaire des objets appartenant à Juve, et n’était nullement étonné du léger pêle-mêle de la pièce, car il savait que le policier ne brillait pas par des qualités d’ordre – attendit quelques minutes, puis s’impatienta, tira un journal de sa poche, et commençait à en parcourir les premiers articles.

— Le Ministère est tombé. Ah le pau’vieux. Heureusement que les hommes politiques ça ne se fait pas de mal. Ce sont des lascars en caoutchouc, décidément, il me fait attendre Juve. Encore une petite bonne volée par ses patrons. À qui donc se fier grand Dieu ? Bon, un article sur la Ligue contre les intempérances de pianos. Voilà une ligue que j’approuve. Ah çà, il ne vient pas. Cet animal de Juve…

Fandor qui s’était assis, se releva d’un bond, commença à arpenter le cabinet de travail.

— Ça n’est pas gentil, pensa le journaliste, de me faire poser ainsi : ça m’étonne de la part de Juve.

Par la porte entrouverte, il entendit enfin, venant de l’antichambre, des bruits de pas se rapprochant. À tout hasard, Jérôme Fandor rectifia ce qu’avait de négligé sa tenue, prit même une position respectueuse, prêt à s’incliner en une profonde révérence très ironique lorsque Juve allait entrer.

La porte s’était ouverte. Une tenture qui en masquait l’entrée, était rapidement repoussée, un homme était devant Fandor, qui lui disait simplement, d’une voix étrange, à la fois railleuse et méprisante.

— Bonjour.

Le journaliste avait un peu pâli. Sans le moindre tressaillement cependant il avait répondu :

— Bonjour.

Ce n’était pas Juve, le policier Juve qui venait d’apparaître à Fandor. C’était Fantômas, c’était le Roi du Crime, le Maître de l’Effroi, c’était l’Insaisissable, c’était le terrible Tortionnaire. Et Jérôme Fandor était seul avec lui, et Fantômas riait.

Une seconde, un silence tragique plana entre les deux hommes. Tandis que Fantômas riait, énigmatique, ayant l’air fort amusé de la situation, Jérôme Fandor gardait un visage impassible. Ses réflexions cependant étaient tumultueuses. Les pensées se bousculaient dans son cerveau en foule désordonnée.

Ainsi il était tombé dans un piège, piège enfantin et puéril, ainsi, il avait cru venir chez Juve, et il était venu chez Fantômas ? Ainsi, c’était l’effroyable bandit qu’il avait devant lui, et l’effroyable bandit le tenait à sa merci ?

Jérôme Fandor, brusquement, se rappelait à la minute même, qu’ayant changé de vêtements, le matin, il avait précisément oublié de prendre son revolver. La fatalité était contre lui. Le destin voulait qu’il fût sans armes, au moment même où il aurait eu le plus grand besoin d’être armé jusqu’aux dents. Jérôme Fandor, en une minute, saisit tout ce qu’avait de tragique sa position présente. Et, avec une parfaite lucidité, il se dit à lui-même :

— Cette fois, je suis foutu, fichu sans rémission. Fantômas ne m’a pas fait venir pour m’offrir le thé, évidemment, ce doit être pour se débarrasser de moi.

Fantômas lui, pendant que Jérôme Fandor réfléchissait, riait toujours. Puis, brusquement, le bandit changea d’attitude.

Debout, derrière son bureau, considérant Fandor qui se tenait en face de lui, il lui adressa la parole :

— Je vous ai salué, Jérôme Fandor, et vous m’avez très courtoisement répondu. J’espère que notre entretien gardera des allures de conversation amicale. Y voyez-vous un inconvénient ?

Ce fut au tour de Jérôme Fandor de sourire : dans le ton de Fantômas, dans le soin que le bandit prenait à se conduire en homme du monde, il reconnaissait la manière habituelle de son formidable adversaire. Fantômas aimait, le plus souvent, couvrir ses plus atroces forfaits, d’apparences aimables. Il prenait des précautions oratoires pour dire les pires cruautés.

— Fantômas, répondit Jérôme Fandor, mon ton sera le vôtre. Vos paroles inspireront les miennes. Pourquoi m’avez-vous fait venir ?

— Pourquoi êtes-vous venu ?

— Je n’ai pas l’habitude, Fantômas de négliger les appels que l’on m’adresse et que je peux prendre pour des demandes de secours, votre lettre était équivoque. Je pouvais supposer qu’elle émanait de l’une de vos victimes ayant besoin de mon appui, je pouvais supposer aussi…

Fantômas, de la main, interrompit le jeune homme :

— Inutile de vous justifier, je n’ai nullement l’intention de vous blâmer. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, vous êtes venu ici croyant venir chez Juve. Est-ce exact ?

Fandor s’inclina :

— C’est exact.

— Vous voyez, Fandor, que je ne me suis pas trompé à la tranquillité avec laquelle il y a deux minutes encore, quand vous étiez seul dans cette pièce, vous feuilletiez le journal.

— Vous m’observiez ?

— Je vous observais, en effet, vous n’êtes point surpris  j’imagine,  que  l’appartement  que  j’habite  soit quelque peu truqué. Vous comprenez qu’il y a des trous dans la muraille, et…

À son tour, Jérôme Fandor interrompait :

— Aucune importance. Que désirez-vous Fantômas ?

Le bandit semblait hésiter à répondre. Il fronça les sourcils, soupira, puis, brusquement mit la main à sa poche :

Fantômas avait vu l’involontaire tressaillement de son visiteur. Avec une intonation bonasse, il s’empressa de le rassurer :

— Tranquillisez-vous donc, commençait-il, je ne vous veux aucun mal.

En même temps il tirait de sa poche un étui d’argent qu’il présentait à Fandor.

— Une cigarette, voulez-vous ?

La situation était embarrassante. Pour qui connaissait Fantômas, il était téméraire d’accepter quoi que ce fût de sa part. Était-ce bien une cigarette ordinaire, en effet, qu’il tendait au journaliste ? Cette cigarette n’était-elle pas empoisonnée ? Ne cachait-elle aucun artifice terrible, épouvantable ?

Jérôme Fandor, considérant l’étui ouvert, fut sur le point de refuser l’offre du bandit. Mais, au même moment, avec sa gaminerie habituelle, Jérôme Fandor remarquait que les rouleaux de tabac que lui offrait son interlocuteur étaient du meilleur aspect, semblaient provenir d’une boîte de tabac de luxe.

— Après tout, pensa Fandor, je ne m’offre pas souvent des cigarettes de cette espèce, et du moment que c’est Fantômas qui régale, je ne vois pas pourquoi je ne goûterais pas à ce tabac blond.

— Vous êtes trop aimable, Fantômas, j’accepte avec plaisir.

Fantômas, au même moment, venait brusquement de retirer la main :